"La maison sur les nuages", de Raymond Farina
Raymond Farina dont les poèmes sont présents dans de nombreuses revues est aussi l'auteur de dix-neuf recueils poétiques publiés entre 1979 et 2006. Depuis, ce poète et traducteur semble surtout se consacrer à la traduction de poètes contemporains de diverses langues. Et c'est avec intérêt qu'on accueille cette anthologie dans laquelle il a réuni de nombreux poèmes puisés dans la quasi-totalité de son oeuvre auxquels s'ajoute un poème inédit. Car le choix des textes composant La maison sur les nuages rend moins compte de la diversité d'une oeuvre qu'il n'en privilégie certains thèmes, soulignant à la fois sa constance et son évolution et lui donnant un éclairage particulier : une tonalité lumineuse et apaisée semblant réconcilier les contraires, «effaçant / la frontière/ entre mourir et vivre».
Raymond Farina fut confié à une nourrice maltaise qui l'éleva tendrement jusqu'à huit ans dans une maison sur les hauteurs d'Alger où il vécut proche des bêtes, faisant défiler la «fable des nuages», mêlant dans ses songes la réalité à la Légende. Puis il grandit dans un petit village de pêcheurs de la côte atlantique marocaine, courant librement la campagne et apprenant les oiseaux des petits bergers de son âge.
Profondément ancrée dans la nature dont elle célèbre la beauté dans ses aspects les plus simples, lui conférant souvent une portée révélatrice, sa poésie, bien que marquée par l'absence et par la mort, transcende la confuse et douloureuse histoire familiale, et la recherche de la figure paternelle y prend une dimension ontologique, «l'énigme de soi» semblant toucher aux «entrailles de l'Etre».
C'est une poésie qui prend sa source dans le "pays-lumière" de l'enfance, véritable "matière éruptive à rêver", dans ce chaos apaisé où le mystère était apprivoisé, dans un temps où «hommes, bêtes & dieux parlaient tous» une «langue limpide».
Un pays, une langue et un sens perdus, un enfant «disparu corps & biens / dans le conte d'hier» dont le poète serait un peu le fantôme errant, prisonnier du gris d'un monde hivernal et aspirant à retrouver la paix de son «jardin des merveilles», de son «Arcadie pré-symbolique». Un poète nomade exilé du bleu d'une saison à la floraison éternelle, ce bleu confinant au blanc - aux «pierres des morts» et à «l'Infini d'un amandier en fleurs». Un poète aimanté par son «soleil d'origine», qui prendrait «au vol une migration de sternes» pour retrouver «l'été d'un texte indestructible» :
«Au bout de mes doigts je détiens/ ces blancs oiseaux cunéiformes/(...) ces moments d'ailes donnant ciel/ à mes mots»
Et le poème s'anime («Ici l'été s'exalte/Le poème sent battre/ ses sèves jugulaires»), luttant contre «l'hiver/ comme négation de vivre» :
«Naître en prenant le temps et l'espace
comme on prend un train pour l'ailleurs
pour des vergers comme des pages
d'abeilles butinant le blanc
quand l'allégresse des enfants
surgit de la légende fraîche
du linge qui giffle le vent
*
(...) Et pour n'être pas rien
pour ne pas m'effacer
ces mots de mes deux langues
gardés tout près de l'âme»
(La prison du ciel, 1980)
Une poésie pour naître et renaître capable «d'inachever l'enfance» et de ranimer les gisants («sous le granit de leurs paupières/ leurs tempes battant encore/ d'accacias ivres d'abeilles»).
Centrée d'abord sur le besoin d'exister et d'accepter la vie, de la «conduire en douceur» en «apaisant l'épopée trop proche», cette anthologie, au fur et à mesure que l'on avance dans la chronologie des poèmes, semble guérir le coeur «de sa vieille manie horlogère», le poète s'éloignant de «l'anecdote du monde» et atténuant «l'horreur de mourir» en apprenant à s'effacer:
«se sentit proche des nuages
(...) Apprit comme eux
comment on passe
s'effaça comme eux
de son ciel
Apprit
sans le savoir
l'Invisibilité»
(Fantaisie, 2006)
Un poète «célestement présent absent» devinant même «le temps léger de ce pays/ qui ne sait pas encore son nom».
A l'image de cet éphémère papillon, «fin saphir égyptien/ à l'aile à peine/ ourlée de deuil», l'art poétique de Raymond Farina est ainsi un art de vivre mais aussi de mourir :
«Vraiment l'enfance est devant toi
(...) ta façon libre & musicale
d'immobiliser temps et espace
une sorte d'art poétique
qui pourrait être également
un art de vivre en allégresse
(...) pour ne capter à tout instant
que la fine fleur du réel»
1990)
Une «métaphysique de la légèreté» accompagnant - peut-être même au-delà - notre passage sur cette terre, et nous libérant - aux deux sens du terme – de la "gravité" de ce monde.
La maison sur les nuages, Raymond Farina, Recours au poème éditeurs, avril 2015, ebook 165 p., 7 €
Raymond Farina est né à Alger en 1940 et réside à Saint-Denis de la Réunion.
Il a traduit des poètes américains, espagnols, italiens et portugais, et lui-même a publié dans de nombreuses revues françaises ou étrangères. Il est également l'auteur de nombreux recueils.
Parmi ses recueils figurent : La Prison du ciel (Rougerie, 1980), Les lettres de l'origine (Temps Actuels,1981), Fragments d'Ithaque (Rougerie, 1984), Pays (Folle Avoine,1984), Virgilianes (Rougerie,1986), Anecdotes (Rougerie, 1988), Epitola posthumus (Rougerie, 1990, Prix Thyde Monnier de la Société des Gens de Lettres), Anachronique (Rougerie,1991), Ces liens si fragiles (Rougerie,1995), Exercices (L'Arbre à Paroles, 2000), Italiques, édition bilingue, version d'Emilio Coco (I Quaderni della Valle, 2003), Fantaisies (L’Arbre à Paroles, 2005), Une colombe une autre (Edition des Vanneaux, 2006), Eclats de vivre (Editions Bernard Dumerchez, 2006).
On peut consulter les trois articles de ce blog - accompagnés de nombreux poèmes - que j'ai consacrés à Virgilianes,
Anecdotes et Epistola Posthumus,
Eclats de vivre et Une colombe une autre