"Contesa per un maialino italianissimo a San Salvario", de Amara Lakhous

Publié le par Emmanuelle Caminade

Contesa per un maialino italianissimo a San Salvario, quatrième roman (1) d'Amara Lakhous, écrivain algérien récemment naturalisé Italien ayant émigré en Italie en 1995 s'insère, comme les deux précédents qui se déroulent à Rome, dans un projet original d'écriture bilingue d'"histoires jumelles mais non identiques" en italien et en arabe. La version française, Querelle autour d'un petit cochon italianissime à San Salvario, est une traduction de la version originale italienne. 

1) Un premier roman, Le cimici e il pirata (Arlem, 1999 ) écrit en arabe en Algérie à 23 ans, fut traduit en italien par F. Leggio pour être publié en version bilingue. Légèrement remanié, il fut republié sous le titre Un pirata piccolo piccolo (Edizioni e/o 2011)

 

L'auteur qui vécut sa jeunesse à Alger se familiarisa très tôt à passer d'une langue à l'autre : du berbère familial à l'algérien de la rue parlé avec ses copains, mais aussi à l'arabe littéraire enseigné dès l'école coranique et parlé avec ses professeurs. Sans compter le français étudié en classe et parlé avec ses cousins venant passer leurs vacances en Algérie. Arrivé à 25 ans à Rome, il apprit très vite l'italien, exerça le métier de journaliste qu'il avait déjà pratiqué en Algérie et y poursuivit ses études, faisant une thèse de sociologie sur les immigrés arabes et musulmans en Italie. Après son second roman romain (2), il s'installa à Turin pour entreprendre un travail de recherche sur les mémoires de l'immigration piémontaise, travail qui nourrira très largement ce roman turinois.

2) Scontrò di civilità per un ascensore a Piazza Vittorio (Edizioni e/o 2003) avait succédé à Divorzio all'islamica a viale Marconi (Edizioni e/o 2010)

Contesa per un maialino italianissimo a San Salvario est un petit roman plein de dérision et d'imagination qui traite de manière rocambolesque, vivante et divertissante, mais aussi très bien documentée, des problèmes d'immigration, d'intégration et de cohabitation. Et son grand intérêt est de le faire sur le plan de la réalité comme des fantasmes, montrant les crispations identitaires dans les rapports individuels concrets et le poids des représentations collectives globalisantes fallacieuses véhiculées par les médias.

L'action se déroule en 2006, époque où la perspective imminente de l'entrée de la Roumanie dans l'Union européenne avait déchaîné dans l'Italie berlusconienne un racisme extracommunautaire - visant en premier lieu les Roumains - entretenu par la presse et relayé en plus haut lieu. Et au moment où notre pays cible de manière phobique l'islam comme incompatible avec les valeurs de la République, et la population d'origine musulmane comme inintégrable, lire ce petit roman semble une bonne manière d'aborder avec humour une question sérieuse car fondant notre cohésion nationale. Et cela même si l'Italie et la France, historiquement et géographiquement parlant, ne sont pas exactement dans la même situation. Il nous offre par ailleurs une satire désopilante de notre monde moderne dépassant les spécificités propres de la société italienne.

 

Fourmillant de personnages tirés délibérément vers le comique et même le grotesque, le roman emprunte beaucoup de ses références au cinéma, reprenant les codes de la comédie italienne et, dans une moindre mesure, du thriller américain, tout en mêlant allègrement réalité et fiction. Amara Lakhous, très habilement, y développe deux intrigues parallèles mettant en scène son héros, journaliste italien d'origine calabraise vivant et travaillant à Turin, tant dans son métier que dans le quartier de San Salvario où il habite. Deux intrigues menées sur le rythme trépidant de la vie urbaine moderne d'une société où chacun s'agite, connecté en permanence à son portable. Un rythme épousant celui de la précipitation journalistique comme de la vie grouillante de ce quartier populaire multi-ethnique. 

Reporter de faits divers criminels dans l'édition locale d'un quotidien national, Enzo Laganà, sympathique jeune homme épris de liberté qui aurait rêvé être journaliste d'investigation, exerce son métier de manière désabusée et bien peu consciencieuse. Alors qu'il a abandonné son poste pour rejoindre à Marseille sa petite amie finlandaise, les cadavres mutilés de quatre Albanais et trois Roumains sont retrouvés dans un quartier de Turin. Contacté par son rédacteur en chef soucieux de doubler les enquêteurs de la police sur ces crimes mystérieux inquiétant l'opinion publique, il invente alors de toutes pièces un scoop, un scoop crédible car correspondant aux stéréotypes et aux attentes du pays : il aurait eu des informations comme quoi il s'agirait d'un règlement de compte entre mafias rivales.

Il met ainsi un doigt dans l'engrenage médiatique. Poussé à s'inventer des sources secrètes, il finit par orchestrer de fausses interviews à l'aide d'un ami acteur capable d'imiter avec talent les voix d'un mafieu albanais, d'un parrain roumain ou d'une mère-maquerelle nigériane. Des interviews remaniées en confessions, servant à l'opinion ce qu'elle désire entendre et confortant ses préjugés, qui s'intègrent comme des récits secondaires dans un récit ponctué par ailleurs de moult articles du journal autour de ces événements. Mais alors qu'il s'enfonce dans cette mystification délirante, un informateur inconnu mais réel, le met sur la piste d'une toute autre vérité ...

Parallèlement, dans son quartier, ce jeune homme ouvert et tolérant apprécié de tous ses voisins est amené à jouer les médiateurs suite à une absurde querelle, bien réelle mais semblant relever de la farce. Gino, le petit cochon élevé sur son balcon par Joseph, son voisin nigérian de confession chrétienne, aurait été filmé sur un smartphone - et reconnu à son écharpe aux couleurs de la Juventus – déambulant de nuit dans la mosquée du quartier. Criant au sacrilège, les Musulmans de San Salvario réclament le cochon à Joseph qui proteste de son innocence. Et l'incident s'envenime : il est en effet récupéré par une association de défense des animaux accusant le Nigérian de mauvais traitement, et par le président d'une association d'extrême droite, favorable à un référendum sur la fermeture des mosquées et adepte de la théorie du complot, qui va faire de Gino un cochon piémontais pure souche symbole d'une identité nationale menacée par les musulmans ...

Et si cette seconde intrigue, mettant en jeu des rapports humains concrets, aboutira à un compromis de bon sens digne du roi Salomon (3), Amara Lakhous, qui manifestement ne désespère pas totalement des individus,  préférera laisser une fin ouverte à la seconde, sans pour autant rassurer le lecteur.

3) Et du Cercle de craie caucasien, la pièce de Brecht

 

Che c'entra un maialino con la nostra identità ?
(Qu'a à voir un petit cochon avec notre identité ?)

Contesa per un maialino italianissimo a San Salvario ridiculise la menace que représenteraient les musulmans et les extracommunautaires pour l'identité italienne, éclairant le rapport pathologique de l'Italie actuelle à l'immigration : une Italie qui aurait des troubles de mémoire !

Contrairement à la France, cette dernière fut en effet historiquement une terre d'émigration, l'immigration à proprement parler n'y étant qu'un problème récent. Ironie de l'histoire, ce peuple étrange qui a émigré partout dans le monde - et même fortement en Roumanie ! – pour travailler comme maçon voit les choses s'inverser : les Roumains arrivent à leur tour en Italie pour exercer ce même métier, lui renvoyant une image de soi qu'il aurait préféré occulter.

Et plus profondément encore, ce que nous rappellent bien les deux textes en exergue du livre (4), ce pays a vécu au siècle dernier une forte "émigration interne" de ses populations du sud vers les grandes villes industrielles du Nord. Des populations qui furent très mal accueillies, ce dont les «culs-terreux de la seconde génération» n'aiment pas forcément se souvenir... Car il faut savoir que ceux qu'on appelait «les Napolitains» ou même «les Marocains», étaient stigmatisés comme inintégrables par nature, désignés comme des arriérés  analphabètes et dangereux abritant en eux les germes du crime et de la délinquance. Savoir aussi que ces populations du Nord si hostiles à l'immigration actuelle comportent en leur sein beaucoup de «meridionali» (5) de la seconde génération ...

4) Deux extraits édifiants de courriers de lecteurs de La gazetta del popolo et de La Stampa  datant de 1959 et 1961

5) Dans les années 1950 et 1960, à Turin par exemple, il y avait des panneaux où on pouvait lire :"Nous ne louons ni aux gens du Sud ni aux chiens". Et si leurs enfants sont racistes, selon l'auteur, c'est qu'ils ont un problème avec la mémoire

 

 

                                    En Wallonie dans les années 1950

Il y a quelque chose de pourri dans le monde du journalisme

Ce roman qui montre comment notre imaginaire gouverne la réalité dénonce la grande responsabilité des media, et notamment de la presse, dans la diffusion des fantasmes sur l'immigration. Des media qui, plus encore en Italie qu'en France, n'ont plus leur indépendance et sont à la solde de puissants groupes économiques pesant sur la politique. Les journalistes faillissent à leur mission de recherche de la vérité : pris dans la course à l'audience, ils se soumettent honteusement à la doxa pour survivre, contribuant à la perpétuer. Et, comme le rappelle humoristiquement et cyniquement le héros pour se dédouaner, citant une enquête universitaire anglaise sur le «monde de l'information», dans ce monde journalistique soi-disant professionnel : «90% des informations quotidiennes sont fausses, 5 % ne sont pas vérifiées, et les 5% restant seulement sont de vraies informations» !

Une "langue de chair" bariolée

Amara Lakhous, écrivain à l'identité multiculturelle ayant toujours vécu dans la pluralité linguistique, s'intéresse beaucoup à la question de la langue. Son rapport à cette dernière peut même s'analyser comme "un geste de rébellion" pour échapper aux barrières linguistiques et géographiques (6). Il est venu à l'italien par l'oral, par la langue parlée par les gens et entendue dans la rue : une langue bariolée aux multiples accents et "en constante mutation". Avant d'écrire ce roman, il a d'ailleurs beaucoup étudié la pluralité des langues et des dialectes parlée à Turin.

L'écriture de cet auteur hors normes, à l'image de la «méthode artistique» du génial imitateur aidant son héros à monter cette délirante mise en scène, repose ainsi  sur «beaucoup d'étude et peu d'improvisation» (7). Car si visiblement il s'amuse - et nous amuse - en inventant des situations comiques relevant de la farce, celles-ci,  comme la langue qu'il utilise, reposent sur des bases sérieuses. Et l'originalité de son style réside dans cette langue incarnée, familière et volontiers argotique, qui mélange langues étrangères et dialectes en intégrant de nombreux dictons et proverbes. Un style également influencé à ses dires par ses maîtres italiens en littérature : "Gadda, Sciasca et Pasolini qui ont toujours donné de l'importance aux nuances dialectales et aux dictons populaires".

6) cf "Amara Lakhous e le lingue migranti" par Joe Glinbizzi et Marta Russoniello

7) Voir le troisième extrait en fin d'article

Amara Lakhous a déjà entraîné son héros Enzo Laganà dans de nouvelles aventures turinoises (8). Installé depuis peu en France, il envisage désormais d'exporter en Algérie la comédie italienne qui représente pour lui "l'outil parfait pour raconter nos sociétés irrationnelles".

8) Avec La zingaretta della virginella di via Ormea (Edizioni e/o, 09/2014), roman qui n'a pas encore été traduit en français

 

Contesa per un maialino italianissimo a San Salvario, Amara Lakhous, (Edizioni e/o, 2013) Feltrini Tascabili 15/10/2014, 160 p.

 

 

 

 

 

 

 

Querelle autour d'un petit cochon italianissime à San Salvario, Amara Lakhous,  traduit de l'italien par Elise Gruau, Actes Sud octobre 2014, 208 p.

A propos de l'auteur (en italien) :

https://it.wikipedia.org/wiki/Amara_Lakhous

EXTRAITS :

 

extraits de la version française  sur le site de l'éditeur :

http://www.actes-sud.fr/sites/default/files/9782330037048_extrait.pdf

 

CAPITOLO SECONDO

In questo fottuto circo mediatico

p.29/30

(...)

Torno alla prima pagina. A sinistra c'è l'editoriale del direttore Salvini dal titolo : ALLA RICERCA DELLA SICUREZZA PERDUTA. Lo stronzo si è messo a fare Proust adesso ?  Mi bastano le prime righe per capire che aria tira.
 

La sicurezza è un bene prezioso per il nostro Paese. I citadini pagano, attraverso le tasse, per mantenerla. I fatti di cronaca che coinvolgono citadini stranieri sono aumentati nell'ultimo periodo. La criminalità straniera è diventata una realtà innegabile. Assistiamo, preoccupati e angosciati, a un'escalation di violenza nelle nostra città. E questo che il nostro giornale documenta giorno dopo giorno. Adesso il nostro cronista Enzo Langanà ci informa che un regolamento di conti è in corso tra criminali albanesi e rumeni sul territorio italiano, nella nostra bella Torino, la prima capitale dell'Italia dopo l'Unita, la cità del miracolo economico.

 

Perché mi cita, figlio di una puttanissima? Io lo conosco bene, non fa nessuna mossa senza calcolare tutto. E uno che pesa anche le virgole. Inizia a scrivere i suoi fottuti editoriali la mattina, li rivede un centinaio di volte prima di mandarli in stampa. Ha sempre paura di esporsi. Mi usa come scudo per respingere eventuali critiche? E molto probabile. E stato messo in discussione spesso dagli azionisti, da quando ha assunto la direzione del giornale, quattro anni fa. Lo accusano di non fare abbastanza per attirare gli inserzionisti e aumentare le vendite. E per darsi da fare si ispira sempre di più ai giornali scandalistici. Il suo obiettivo è vendere più copie per accaparrarsi una bella fetta di pubblicità. Intanto aspetta l'occasione giusta per fare il grande salto. Dove vuole saltare? Forse punta a dirigere un giornale piu grande? Oppure vuole buttarsi in politica e fare il deputato ? (...) Squilla il cellulare. E quello stronzo di Maritani.
« Hai visto il nostro scoop, Enzo ? »

« Si, ho letto il giornale. »

« Siamo stati gli unici a dare la notizia della faida tra albanesi e rumeni ».

« Bravi ».

« Abbiamo battuto la concorrenza. Contento per la prima pagina ? ».

« Ho soltanto messo in ordine le tue informazioni. Sei stato tu a scovare la nostra Gola profonda. A proposito, mi ha chiamato il direttore. Voleva sapere chi è la nostre fonte sulla faida ».

« La fonte è segreta ».

(...)

 

CAPITOLO TRE

Coltivate il basilico nel la vasca da bagno

p. 44/46

(...)

« Enzo, ti ripeto che il maialino è solo un pretesto. In gioco c'è la nostra dignità e il nostro onore, direi la difesa della nostra identità ».

« Che c'entra un maiolino con la nostra identità? ».

Ci sono cose che mi sfuggono. Ammetto di non riuscire ad afferrare certi concetti da solo. Meno male che c'è gente illuminata e benedetta dalla sagezza come Belezza Mario che si rilancia nell'argomentazione. I musulmani, diversamente da noi, non mangiano la carne di maiale perché è haram, illecita. Così si stabilisce una barriera insormontabile fra noi e loro. Un maialino piemontese, italiano, anzi italianissimo come Gino, diventa un simbolo, una bandiera, un baluardo per salvaguardare la nostra italianità. E dato che la mia mente non è creativa, sopratutto la mattina, Belezza ne approfitta e mi trascina in un lungo monologo intellettualissimo sull'integrazione degli stranieri nel nostro Paese.

« Per me, l'integrazione è accettarte tutto » dichiara.

« Questa non è integrazione ma assimilazione, colonialismo ».

« A me non me ne frega un cazzo. Se viene un immigrato musulmano e mi dice che vuole stare nel nostro Paese e forse diventare cittadino italiano, sai cosa gli chiedo? ».

« Dimmi ».

« Ti piace la birra? Mangi il prosciutto? ».

« E se riponderà di no? ».

« Caro musulmano, mi dispiace ma non hai i requisti necessari ».

« Molto interessante ».

Potremmo aggiungiare ai requisti per la cittadinanza la prova del maiale. Forse sarà più decisiva del test di italiano. Ecco, se c'è una parola che mi fa girare i coglioni è certamente questa : integrazione! Lo sentita da quando sono nato. Gente come Belezza non si ricorda o forse non vuole ricordare la brutta accoglienza dei meridionali nelle città del Nord come Milano e Torino. (...)

 

CAPITOLO SETTIMA

Il pregiudizio è una mallatia incurabile

p.94/95

(...)

Luciano mi rivela qualche particolare. Per preparare la parte si è dato da fare come un vero professionistà Il suo metodo artistico si basa sul sequente principio : molto studio, poca improvvisazione. Si è consultato con i suoi amici albanesi provenienti da Durazzo, ovviamente senza svelare il nostro segreto, si è giustificato dicendo che sta preparando un spettacolo teatrale sugli immigrati. Ha raccolto proverbi, parolacce e altre parole in lingua originale. Inoltre ha registrato le loro voci, lavorando fino all'alba per perfezionare la pronuncia.

« Sai, Enzo, mi sono divertito come un matto quando quelli di Finestre sul cortile hanno mandato in onda la voce del Buscetta albanese ».

« Anch'io ho riso molto. Sembravi davvero un albanese ».

« In questo momento ti sto immaginando, seduto in quel salotto televisivo di merda. Vuoi un assagio ? » si entusiasma Luciano.

« Certo ».

« Buona sera a tutti i gentili telespettatori. Sono il vostro amatissimo conduttore Severino Belli. E come quasi tutte le sere ormai da tanti anni, entro senza permesso nelle vostre case, anzi nelle vostre camere da letto, sotto le vostre coperte non per informarvi, ma per incularvi tutti. Stasera abbiamo invitato il più grande cronista di nera del giornalismo internazionale. Prego, dottor Laganà, si sieda. Vuole un pompino subito o dopo il talk show ? ».

« Imitazione fantastica ! Bravo Luciano. Adesso bisogna arrichire il repertorio ».

« Un altra performance con il Buscetta albanese ? ».

« No, una nuova interpretazione ».

(...)

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