"Les plus belles fulgurances d'André Malraux" réunies par Sylvie Howlett
A l'occasion des 40 ans de la disparition de l'écrivain, les éditions Gallimard publient Les plus belles fulgurances d'André Malraux, un recueil de citations pertinemment réunies par Sylvie Howlett et illustrées avec vivacité et humour par Loïc Sécheresse.
Destinée à un vaste public, cette anthologie regroupant des extraits forcément coupés de leur contexte et tirés tant de son oeuvre romanesque, de ses écrits sur l'art que de ses textes mémoriels n'a pas bien sûr la prétention de rendre compte d'une oeuvre monumentale et multiforme. Mais elle la parcourt en mettant brillamment en lumière les fulgurances d'une pensée et d'un style, tout en dégageant les thèmes malruciens prédominants, Sylvie Howlett réussissant à donner un aperçu des nombreuses facettes de cet homme et auteur atypique et souvent visionnaire.
Voyageur, aventurier, archéologue ou , engagé précoce au côté des républicains espagnols rejoignant tardivement la Résistance, esthète et philosophe, agnostique ayant le sens du sacré, de la transcendance, homme politique d'une intelligence corrosive et d'une grande culture, personnalité imaginative, extravagante, exaltée et même mythomane, André Malraux semble faire corps avec son écriture. Et ces citations aux tonalités variées alternent notamment aphorismes percutants, formules resserrées au sens évident ou parfois mystérieux, voire carrément drôles, loufoques et poétiques, et développements argumentatifs, épanchements lyriques, élans incantatoires ou apostrophes solennelles, l'écrivain maniant avec autant d'art le raccourci et l'emphase. Des citations qui incitent à la réflexion et stimulent l'imagination du lecteur, lui faisant pénétrer les délires d'un écrivain qui «écrit pour posséder [ses]songes».
Philippe Halsman, André Malraux, 1934
Le lecteur qui n'est pas à priori un malrucien averti tracera son propre chemin dans cette anthologie dense et foisonnante comportant 31 entrées thématiques regroupant jusqu'à une quinzaine de citations de tailles variables. Il pourra y découvrir l'écrivain farfelu («Venez les ânes! dit Clappique. J'ai rêvé un jour d'animaux bizarres, genre cochons d'Inde, vous voyez ça? Je leur ai dit : "Qu'est-ce que vous foutez là?" Ils m'ont répondu : "Nous sommes les lapins d'avant les oreilles."»), ou goûter sa fascination pour Lawrence d'Arabie («Je suis complètement intoxiqué par Lawrence») qui semble lui renvoyer son image en miroir («Cet homme, un des esprits les plus religieux, si l'on entend par esprit religieux celui qui ressent jusqu'au fond de l'âme l'angoisse d'être homme sur quoi se fondent les religions ...»). Il s'étonnera de son féminisme, ou du moins de sa conscience de la «misogynie fondamentale de tous les hommes» («Vous ne reconnaissez chez une femme que l'intelligence qui vous approuve. C'est si, si reposant ...»), et il ne pourra qu'être frappé par le ressassement de certains thèmes comme celui du mystère du mal, notant la profonde emprise de ce fameux passage des Frères Karamazov de Dostoïevski. Un mystère auquel l'écrivain incroyant répond, lui, non par une tentative de rédemption mais par un mystère antagonique aussi grand («Moi qui ne crois pas à la Rédemption, j'en suis venu à penser que l'énigme de l'atroce n'est pas plus fascinante que celle de l'acte le plus simple d'héroïsme ou d'amour. (...)».)
Car Malraux a foi en l'homme et non en Dieu, en cet homme capable de conquérir sa liberté, de s'affranchir au travers de l'art ou de la littérature («Notre art me paraît une rectification du monde, un moyen d'échapper à la condition de l'homme.»), ainsi qu'au travers de l'action, de la résistance («Toutes les plus hautes figures spirituelles de l'humanité ont dit Non à César. Prométhée règne sur la tragédie et sur notre mémoire pour avoir dit Non aux dieux. La Résistance n'échappait à l'éparpillement qu'en gravitant autour du Non du 18 juin. Les ombres inconnues qui se bousculaient aux Glières dans une nuit de Jugement dernier n'étaient rien de plus que les hommes du Non, mais ce Non du maquisard obscur collé à la terre pour sa première nuit de mort suffit à faire de ce pauvre gars le compagnon de Jeanne et d'Antigone ...L'esclave dit toujours oui.».
Illustration de Loïc Sécheresse
Il faut prendre le temps de savourer cette anthologie qui s'avère un bel hommage à Malraux, cet homme engagé, curieux et passionné, paradoxal, dont on admire l'humanisme et l'universalisme comme la vitalité fascinante s'exprimant dans d'incessantes métamorphoses. Un bel hommage aussi à la continuité créatrice de la littérature qui donne à l'homme le pouvoir de dominer son destin :
«Le monde-parallèle de la bibliothèque, même romanesque, même fantastique, nous apparaît d'abord comme le monde d'un pouvoir – du pouvoir d'échapper au temps à travers la forme. La littérature forme un monde-parallèle par son essence: sa fiction (et la poésie est fiction ) semble avoir pour raison d'être l'intrusion de l'homme dans ce qui lui échappe, ce qui le néglige. Alors entre en jeu tantôt la création des formes, tantôt cette permanente intrusion; Je doute fort qu'un roman soit «la vie plus son auteur», mais non que l'écrivain soit soucieux de mettre son grain de sel dans le cosmos qui l'ignore. La littérature apporte, au plus haut degré, la substitution du destin dominé au destin subi.»
(Article publié préalablement sur La Cause littéraire)
Les plus belles fulgurances d'André Malraux, réunies par Sylvie Howlett, illustrations de Loïc Sécheresse, Folio Gallimard, 22 avril 2016, 150 p.
A propos de :
Sylvie Howlett
Agrégée de lettres modernes et docteur ès lettres, possédant par ailleurs une maîtrise de russe, Sylvie Howlett a fait sa thèse sur Malraux et Dostoïevski. Elle est également traductrice, et a réalisé plusieurs dossiers pédagogiques littéraires pour des éditions scolaires.
Loïc Sécheresse
Né en 1972, Loïc Sécheresse est illustrateur et auteur de bandes dessinées.(Site officiel : ici)