"Rencontre avec Marcus Malte", Carpentras (10/02/17)

Publié le par Emmanuelle Caminade

"Rencontre avec Marcus Malte", Carpentras (10/02/17)

Marcus Malte a déjà une vingtaine de livres très divers à son actif mais il n'a acquis une notoriété publique qu'avec Le garçon, long roman dont l'écriture lui prit 5 années et qui reçut à juste titre le prix Femina fin 2016.

Souvent, dans ces rencontres qu'il enchaîne suite à ce prix, le public le découvre mais celui de Carpentras, réuni ce vendredi soir à la librairie de l'horloge, faisait exception puisqu'au moins trois personnes avaient déjà lu ses précédents livres.

Cet auteur a toujours privilégié la fiction, et raconter sa vie ne l'intéresse guère. Il aime avant tout inventer, vivre d'autres vies.

Pour Le garçon, il avait envie d'écrire quelque chose d'encore plus romanesque, un livre foisonnant comme les romans du XIXème. Envie de mêler de nombreux types de romans en variant les styles. D'écrire aussi un livre en mouvement, une sorte de "road book". Jusqu'ici, il avait toujours écrit sur notre société et avec une langue actuelle et il avait envie d'essayer autre chose : une autre époque et une autre langue.

S'il a choisi le début du XXème siècle, c'est parce qu'il voulait utiliser le tremblement de terre qui eut lieu en France en 1909 et qu'il voulait aussi "se frotter à la guerre", même s'il y a déjà une nombreuse littérature sur le sujet. Et il a utilisé une langue adaptée à l'époque, veillant à ce que ses mots et ses expressions ne soient pas postérieurs à 1930.

(NB : Il lui a néanmoins échappé cet horrible et très récent tic langagier "au final" - que je signalais dans ma critique sur Le garçon,  tant il choquait dans sa belle écriture ...)

 

«Le son avant le sens»

 

L'histoire chez lui se construit toujours peu à peu, en avançant. Il ne part jamais d'un sujet, d'un thème, car sa recherche est de l'ordre de la musique. Il part toujours de tonalités, de sonorités et de rythmes. Ainsi tous ces passages inventoriant les évènements de l'année où se déroule l'histoire («Cette année-là ...») qui scandent son récit correspondent initialement à un choix rythmique, au désir de briser le récit pour le relancer. Ils permettent aussi, alors que ce récit suit le garçon au plus serré, de prendre du recul avec un plan large.

Ce n'est donc pas le fond qui engendre la forme mais l'inverse.

Marcus Malte "cherche à émouvoir avec le son qui va faire naître l'histoire". Son écriture, "c'est de la musique avant toute chose, pour citer Verlaine". Et il avance, porté par cette musique, sans idées préconçues et sans plan.

Pourtant, je relevais la grande continuité et cohérence de son roman, lui citant en exemple ces grandes étapes du parcours de son garçon sans père qui correspondaient chacune à la rencontre d'un substitut de père (et à la constitution d'une impuissante Trinité, l'auteur incarnant chaque fois avec ironie l'esprit saint) :

C'est parce qu'il avait choisi un garçon sans père (pourquoi ?, il ne le dira pas), que cette première rencontre avec un substitut de père s'inscrivait pour lui dans une sorte de logique interne. Et s'il n'a pas de vision globale au départ, celle-ci se construit néanmoins peu à peu quand il a en mémoire ses premiers choix - des choix, des idées qui viennent en écrivant mais qui peut-être répondent à des préoccupations ou des motivations plus globales et inconscientes.

Comme sur d'autres points, il ne rebondit pas sur mon évocation de cette Sainte Trinité (au travers de son héros, n'est-ce pas aussi l'Homme sans Père que nous suivons, pour qui il ne semble pas exister de salut au sens chrétien du terme ? Mais inutile de lui poser la question, ce serait sans doute jugé trop tordu !)

Et questionné par un des libraires sur le côté mystique ou même christique de son garçon, il mit plutôt en avant sa part de légendaire, «pour peu qu'on daigne y croire» ...

 

Ne pas approfondir, ne pas "intellectualiser"...

 

Visiblement, Marcus Malte semble un auteur assez secret qui n'aime pas trop analyser, "intellectualiser" ce qu'il écrit : le son, la sensation, le ressenti, l'émotion priment chez lui sur l'approfondissement du sens. Il n'a pas toujours envie de commenter, de s'étendre, et il s'en sort souvent en ne relevant pas, par une pirouette ou en mettant vite un point final.

La mutité du garçon ? Il n'avait pas envie d'écrire des dialogues ! (je note en effet surtout une occurrence de dialogues rendant musicalement une certaine cacophonie). Et il préférait que son garçon s'exprime par des actes souvent moins mensongers que les paroles. (Là encore l'instinct, l'intuition : le langage du corps et du coeur semble primer.)

Quant à ma question lui demandant si le garçon n'était pas aussi comme Peer Gynt, le héros d'Ibsen, une figure du poète, elle lui fit lever les yeux au ciel avec une exclamation polie mais des plus signifiantes... Grand lecteur pourtant, il n'a pas lu Peer Gynt. Point. Peu importe car il n'empêche que son garçon part à la découverte du vaste monde, revêtant les différentes pelures de l'oignon humain pour s'en dépouiller à la fin et disparaître dans le néant une fois parvenu au sommet de la pyramide des rêves ! Et je lui fis remarquer que lui-même nous avait confié combien il aimait en tant qu'écrivain se métamorphoser pour vivre de nombreuses vies...

 

La guerre

 

Les passages sur la guerre sont sans doute les plus beaux et les plus étonnants du livre. L'auteur y attachant un grand intérêt, il se montra nettement plus disert.

Marcus Malte a d'abord beaucoup lu sur la guerre. Il voulait essayer de faire ressentir la guerre de l'intérieur, quand on est plongé dedans. Qu'on soit dans le côté charnel et pas dans les faits d'ensemble. Tout faire passer par le langage, que l'émotion passe par la forme (Ce qui est totalement réussi !).

La longue liste énumérant les morts qui clôt le passage sur la guerre est une vraie liste. On n'est plus dans la fiction. Il voulait faire ressentir tout le poids de ces morts, les nommer. Montrer aussi – ce qui l'avait frappé lors de ses recherches - qu'il y avait parmi eux trois quarts de noms étrangers !

Quant à la liste de têtes couronnées qui ouvre le passage, elle découle de son étonnement lors de ces mêmes recherches de constater qu'une seule famille gouvernait les 3/4 de la planète en 1914 !

Questionné sur la présence de Blaise Cendrars dans son livre, il répondit qu'aimant cet auteur, il avait pris un malicieux plaisir à l'incarner dans son roman. Et, d'une manière générale, il s'amuse beaucoup en écrivant, introduisant ça et là des petites choses, des sortes de clins d'oeil (au lecteur et/ou à lui-même ?), comme ce soldat Hitler apparaissant sur le champ de bataille, que son héros après l'avoir mis en joue renonça à tuer. A quoi tient le destin des hommes !

*

 

Il y aurait eu encore beaucoup à dire sur ce si riche roman, mais les questions des libraires furent peu nombreuses et assez générales. Sans doute des questions plus pointues auraient-elles d'ailleurs été esquivées d'une manière ou d'une autre par l'auteur ! Et puis ils préférèrent laisser couler la conversation qui s'était instaurée naturellement avec le public.

Pas de lecture d'extraits non plus, ce qui était vraiment dommage pour un livre où la musique de la langue est capitale. Mais l'auteur, pourtant sollicité, a évité de réagir, et il confia plus tard ne pas relire à haute voix ses textes car il lit très mal même s'il les entend parfaitement dans sa tête.

 

Marcus Malte, dont j'admire profondément le talent, est un auteur curieux du monde et malicieux, prolixe et passionnant quand il s'agit de parler de ce qui l'intéresse, et notamment de sa conception originale de la littérature en tant que musique, mais il s'est révélé plutôt discret et coriace, difficile à "cuisiner", dans d'autres domaines.

Tout comme il répugne à l'autofiction, il ne livre que ce qu'il veut livrer et ne cherche pas à creuser, comme d'autres écrivains, ces éléments plus ou moins conscients que pourrait lui révéler son texte. Sans doute accessoires pour lui, ou trop intimes pour être abordés en public.

On écrit d'abord pour soi et tout ne se partage pas forcément avec le lecteur. C'est le droit de l'auteur, sa liberté. Il faut respecter cette attitude, même si en tant que lectrice critique, je suis sortie un peu déçue de cette rencontre.

 

Publié dans Interview - rencontre

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