"Relever les déluges" de David Bosc

Publié le par Emmanuelle Caminade

"Relever les déluges" de David Bosc

 

Avec un titre faisant écho à la fervente injonction de Rimbaud dans son poème Après le déluge cité en exergue (1), David Bosc donne d'emblée la double dimension de ce recueil de fictions enjambant les siècles, à la croisée du réel et de l'imaginaire. La métaphore rimbaldienne du déluge renvoyait en effet sans conteste à l'élan révolutionnaire de la Commune, au rêve collectif, tout en pouvant s'interpréter aussi sur un plan esthétique et individuel (2).

 

Mourir et puis sauter sur son cheval, le précédent livre de l'auteur, attisait "les brûlures des contes" en nous emportant dans les rêves les plus fous d'une héroïne aspirant à "se défaire" pour "donner naissance à autre chose". Et Relever les déluges  est de même animé par un souffle libertaire appelant à la transformation de l'ordre ancien, à la construction d'un autre monde.

 

Bien que s'étalant sur huit siècles, ces quatre courts récits qui ont tous un lien avec le sud de la France – dont trois ont déjà été publiés en revue -, n'illustrent aucune tendance au progrès social et marquent au contraire l'ébrèchement, l'écroulement au contact du réel de ces aspirations émancipatrices, égalitaires et fraternelles qui parfois érigent de nouvelles prisons desquelles il convient de fuir.

Mais si la fête bariolée du carnaval ne peut durer, la liberté de nos rêves s'incarnera toujours dans des palais imaginaires sans cesse reconstruits.

 

1) Voir l'épigraphe dans l'extrait accessible en fin d'article

2) Certains voient dans cette métaphore "une fascination de poète, un projet essentiellement esthétique visant à se faire le démiurge d'un monde de mots construit sur les ruines du nôtre". Pour d'autres elle désigne la Commune de Paris, l'auteur ayant "des sympathies avérées pour les théories socialistes visant à la transformation révolutionnaire du monde réel"

(http://abardel.free.fr/petite_anthologie/deluge_panorama.htm)

 

Federico II ei suoi sudditi exultet, Salerno biblioteca capitolare

 

Le premier récit nous transporte au pied de Parme assiégée, non dans un simple campement mais dans une véritable ville au parfum de victoire «avec ses rues, ses places, son église et sa mosquée» élevée «comme par enchantement» par son héros Frédéric de Hohenstaufen, surnommé la Stupeur du monde (3).

Avec une écriture érudite et foisonnante, flamboyante, ne boudant pas quelques clins d'oeil malicieux, le narrateur de Farid Imperator retrace alors en accéléré la vie fabuleuse de cette figure de légende que Dante vénèrera - figure aujourd'hui oubliée des petits Arlésiens dont il fut le roi. Et c'est un Moyen Age de lumières qui se dessine alors sous nos yeux étonnés.

 

Petit-fils de Barberousse, cet orphelin couronné roi de Sicile à quatre ans et livré à lui-même dans une Palerme portuaire «où passent tous les visages du monde» grandira «comme un agneau parmi les loups» sans se faire dévorer, car accroché à son «bloc de folie». Polyglotte d'une curiosité insatiable, il n'aura de cesse d'apprendre à l'époque où l'Eglise enseignait «qu'il est doux de ne pas savoir» et il bâtira un vaste empire, réunissant à sa cour, tels les princes de la Renaissance, les plus grands savants et lettrés d'orient et d'occident.

Mais cette nouvelle ère s'achèvera en 1248 avec la chute de Victoria, prise par surprise par l'ennemi parmesan. Une cité idéale qui ne disparaîtra pas pour autant de nos rêves.

3) Cf l'hommage biographique que lui a rendu  Kantorowicz : http://wodka.over-blog.com/article-7024695.html

 

 

Scène de la peste de 1720 à la Tourette (Marseille), Michel Serre

 

Mirabel donne la parole à un valet de ferme qui, d'une langue alerte et gouailleuse emplie d'une très concrète vitalité, nous enivre de son récit. Et nous comprenons peu à peu qu'il s'adresse à ses juges lors de son procès, auquel nous sommes en train d'assister.

 

Après avoir échappé au tremblement de terre de Manosque de 1708 et à la grande peste en 1720, sans compter un très rude hiver, Mirabel voit enfin se rouvrir le ciel. Ces catastrophes ayant aiguisé son désir de jouir de la vie, il décide de changer de condition. Faisant croire qu'il a découvert un trésor, il monte une escroquerie censée le conduire vers «cet autre pays qui est partout quand on est riche», ivre de sa fable autant que de vin.

Et s'il sera condamné à l'enfer et au martyr pour avoir «blasphémé l'argent», il aura quand même eu le meilleur de ce trésor - qui, comme dans Le trésor de la guerre d'Espagne de Serge Pey, semble avant tout celui de la poésie.

 

 

La Retirada (L'exil des républicains espagnols en 1939)

 

C'est pendant la guerre d'Espagne justement que ce situe Le grelot, sublime fugue poétique riche de contrastes éclairant avec sensualité et simplicité la beauté de la nature et du façonnement humain de la matière, comme la chaleur et la noirceur des hommes. Son attachant héros, un maçon de la Mancha plus solidaire que solitaire, connaîtra la désillusion des "utopies déniaisées", à l'image de Josep dans Pas pleurer de Lydie Salvayre.

Ne supportant ni l'enfermement ni l'injustice, épris de liberté et d'égalité, Miguel Samper est mu par un élan qui le porte sans cesse à fuir, non pour sauver sa peau mais pour sauver son âme. Car il garde toujours à l'oreille la voix de sa conscience, pure comme le son du grelot de ce chien de «berger des frontières» qui lui portera secours dans cette montagne sauvage où il tombe dans une faille.

 

Construit en aller et retour sur une constante succession de départs, de fuites et d'évasions, le récit commence lors de cette chute.

Le héros, arrêté dans sa course, se défait alors de son histoire auprès de son sauveur : une histoire qui, du départ du foyer paternel à l'enrôlement dans l'armée du front populaire, l'a mené à la désertion, dégoûté par cette «petite inquisition» moyenâgeuse à laquelle elle se livre et «pour faire pièce au salaud que l'on porte en soi».

Une fois rétabli, il reprend son parcours et son histoire, choisissant finalement de rejoindre son armée. Il connaîtra ainsi l'exil collectif des vaincus et le parcage dans le camp d'Argelès puis, après une ultime évasion, il fera à nouveau volte-face pour soutenir ses camarades dans leur misère.

 

 

Dans le port de Marseille

 

Dans Un onagre enfin, le narrateur suit Denis et sa bande d'amis anarchistes qui fêtent à leur manière la nouvelle année 2003. Dans une langue agitée, pétillante et colorée, il nous décrit le joyeux abordage d'un bateau-restaurant dans le port de Marseille puis le feu d'artifice tiré à minuit des collines pour les prisonniers des Baumettes.

Entre temps, dans une succession de flashes-back, il remonte à l'origine de leur étonnante coopération. Car Denis est «un onagre d'homme» préférant les libres pâtures et «la chambre particulière» aux manifestations où l'on marche au pas, et s'il aime jouer à en découdre avec l'autorité, il s'enfuit toujours avant que cela ne dégénère.

Ce «gosse insolent qui ne baisse pas les yeux» passe l'essentiel de son temps à réaliser et afficher des stickers provocateurs dont les étranges citations tirées des Ecritures appellent à l'étincelle des commencements, à cet échange qui parfois «se maintient, se hausse». Et pour lui, ce soir-là, une nouvelle ère commence puisqu'il réussit à s'éclipser à la faveur de la nuit, arrachant Mathilde à sa meute.

 

 

Variant habilement son dispositif narratif et donnant ainsi à chacun un relief spécifique accrochant l'attention du lecteur, David Bosc mène tambour battant ces quatre récits d'une tonalité différente. Exaltant cet élan vital s'ouvrant à l'inconnu, ce mouvement-même de la liberté abattant toutes les cloisons qui est aussi celui de la poésie, son recueil d'une magnifique écriture éclaire aussi un monde complexe «qui n'est pas fait tout d'une pièce».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Relever les déluges, David Bosc, Verdier 02/03/17, 96 p

A propos de l'auteur :

On peut consulter l'intéressant article d'Isabelle Ruf sur le site du quotidien suisse  Le Temps  (10/03/17) : ICI

EXTRAIT :

On peut lire les premières pages (p.1/15) sur le site de l'éditeur : ICI

 

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Publié dans Micro-fiction, Recueil

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