"L'Arminuta / La Revenue" de Donatella di Pietrantonio

Publié le par Emmanuelle Caminade

"L'Arminuta / La Revenue" de Donatella di Pietrantonio

Troisième roman de Donatella di Pietrantonio, écrivaine originaire des Abbruzes, L'Arminuta a remporté le prestigieux prix Campiello en 2017 et un grand succès public en Italie. Premier de ses livres à bénéficier d'une traduction française, il sort en France ce mois de janvier 2018 sous le titre La revenue.

Région des Abbruzes

"Quand j'étais petite, les adultes parlaient d'enfants que des familles nombreuses et pauvres donnaient à des couples stériles pour qu'ils les élèvent " *

*Cf l'interview de l'auteure (en italien) :

http://www.donnamoderna.com/news/cultura-e-spettacolo/donatella-di-pietrantonio-l-arminuta-libro-trama-recensioni

Le travail de cette auteure est ancré dans sa terre natale, dans cette "terre lumineuse et souffrante des Abbruzes". Une terre qui lui offre non seulement le décor, l'environnement et l'amorce des histoires qu'elle construit, mais influence aussi sa langue. Une langue qui se veut représentative, quoique de manière parcimonieuse, de la multiplicité de dialectes qui la parcourent.

Inspiré de souvenirs d'enfance, ce dernier sujet témoignant des violents contrastes sociaux de cette Italie des années 1970 lui permet aussi d'aborder des thèmes qui lui tiennent à coeur comme celui de la maternité et des relations mère/fille.

 

Pescara, cité côtière des Abbruzes

"L'arminuta", terme dialectal des Abbruzes signifiant "la ritornata" (celle qui est de retour), c'est le surnom que les gens du village ont donné à cette jeune adolescente renvoyée dans sa famille biologique d'origine dont elle ignorait l'existence par ses parents d'adoption - un oncle et son épouse - qui l'avaient élevée depuis l'âge de six mois. Un double abandon pour cette "orpheline de deux mères vivantes" dont l'une l'avait "cédée avec son lait encore sur la langue et l'autre l'avait rendue à treize ans", et pour qui le mot "mère" (la parola "mamma") ne représente désormais plus que la gymnastique mécanique de deux syllabes répétées à vide.

Et Donatella di Pietrantonio va se glisser rétrospectivement dans la peau de cette jeune fille intelligente et sensible soudain plongée dans cet autre monde qu'est cet âpre arrière-pays montagneux encore pétri de traditions séculaires, distant pourtant d'une cinquantaine de kilomètres seulement de la cité balnéaire moderne où elle a grandi. D'une adolescente ignorante des dures réalités de la vie brutalement immergée, sans qu'aucune explication ne lui soit donnée, dans une famille qui lui est  totalement étrangère et dont elle ne partage pas même la langue.

 

Village des Abbruzes

L'Arminuta est un roman d'apprentissage qui s'étend sur un peu plus d'un an, couvrant notamment cette année de ses treize à ses quatorze ans qui fut pour l'héroïne la plus longue de sa vie. Retraçant plusieurs années après les souvenirs de cette période angoissante et douloureuse qui l'a profondément marquée, la jeune narratrice nous y raconte au plus près de son ressenti quotidien le choc de cette mystérieuse transplantation qui détruisit son monde et son être, mais aussi comment elle a pu se reconstruire dans cette épreuve.
 

Fille unique éduquée et choyée, elle se trouve ainsi rejetée dans une famille nombreuse pauvre, découvrant le manque d'hygiène, le bruit et la promiscuité, la mauvaise et rare nourriture, les travaux ménagers imposés et une certaine violence et indifférence à laquelle elle n'a pas été habituée.

Malgré son désespoir, ses angoisses et ses colères, elle s'adaptera peu à peu, la honte ressentie pour cette étrange famille - ainsi que son attachement protecteur à Giuseppe, ce petit frère anormal, ou la mort de Vincenzo, ce grand frère avec lequel s'était établi un rapport trouble - marquant ses premiers sentiments d'appartenance. Mais c'est surtout la présence d'Adriana, cette jeune soeur incontinente dont elle est contrainte de partager le lit tête-bêche qui lui permettra d'apprivoiser ses angoisses et de ne pas perdre pied.

Et le mystère entourant cette soudaine restitution - et accentuant la tension du roman - une fois levé au chapitre 30, la fin du livre s'attache plus à la relation de l'héroïne avec son ancienne mère, à la compréhension des égoïsmes et des pesanteurs sociales d'une époque où la psychologie et les besoins affectifs de l'enfant n'étaient pas au centre des préoccupations des adultes.

 

 

L'Arminuta est un roman morcelé, tant par le nombre de ses courts chapitres que dans ses phrases juxtaposées, qui épouse parfaitement l'état de destruction de cette héroïne dont le nom ne nous sera jamais donné - un morcellement renforçant l'étrangeté de ces éléments épars surgissant de sa nouvelle vie tout en parant d'une aura les détails insignifiants de l'ancienne. D'une héroïne dont toutes les certitudes ont été ruinées, qui peine à relier ses deux vies et à leur donner sens, "avec toujours la même question battant rythmiquement dans le coeur et dans la tête : pourquoi ?"

Dans sa quête de sens, seule cette complicité, cette intimité étroite qui va progressivement se développer entre elle et Adriana, cette "fleur improbable", se révèlera salvatrice. Et cet amour mutuel par delà les milieux et les mentalités différentes, les éducations reçues et les langues parlées, irradie toute cette histoire dont elle transcende le sordide, les personnages, exempts de manichéisme, étant de plus rendus dans toutes les nuances de leur complexité.

 

Donatella di Pietrantonio séduit par son écriture incisive et délicate d'une grande économie de moyens. Une écriture précise qui ne délivre que les strictes informations et constats nécessaires, laissant le lecteur s'immiscer dans les nombreux silences. Une écriture concise mais poignante, à la fois intimiste et charnelle - sensible aux bruits et aux odeurs, aux sensations tactiles et visuelles -, et sachant capter les émotions en quelques mots en évitant tout sentimentalisme.

Et son joli roman nous permet de mieux approcher la complexité des relations mère-fille et du rapport à l'enfant, comme celle de l'Italie. De mieux comprendre aussi l'époque actuelle en se tournant vers ses racines.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'Arminuta, Donatella di Pietrantonio, Einaudi, 2017, 164 p.

 

 

 

 

 

 

La Revenue, traduit par Nathalie Bauer, éditions du Seuil, 11/01/2018, 240 p.

A propos de l'auteure :

https://it.wikipedia.org/wiki/Donatella_Di_Pietrantonio

 

EXTRAITS :

p.3

1.

A tredici anni non conoscevo più l'altra mia madre.
Salivo a fatica le scale di casa sua con una valigia scomoda e una borsa piena di scarpe confuse. Sul pianerottolo mi ha accolto l'odore di fritto recente e un'attesa. La porta non voleva aprirsi, qualcuno dall'interno la scuoteva senza parole e armeggiavia con la serrura. Ho guardato un ragno dimenarsi nel vuoto, appeso all'estremità del suo filo.

Dopo lo scatto metallico è comparsa una bambina con le trecce allentate, vecchie di qualche giorno. Era mia sorella, ma non l'avevo mai vista. Ha scostato l'anta per farmi entrare, tenendomi adosso gli occhi pugenti. Ci somigliavamo allora, più che da adulte.


 

p.14/15

6.

(...)

- Pela il pollastro, - mi ha ordinato allungandomi l'animale morto che teneva per le zampe, con la testa penzoloni. Qualcuno doveva essere salito al portaglielo, avevo sentito delle chiacchiere sul pianerottolo, alla fine i suoi ringraziamenti. - Poi lo scorporisci.

- Cosa ? Non capisco.

- Che te lo mangi così ? Gli devi leva' le piume, no ? Dopo lo tagli e gli cacci le budella, - ha spiegato scuotendo leggermente il bracio teso verso di me.

Ho mosso un passo indietro e distolto gli occhi.

- Non ci riesco, mi fa impressione. Posso occuparmi delle pulizie.
Mi ha guardata senza dire più niente. Ha sbattuto la carcassa sul ripiano del lavandino, con un tonfo ovatto, e ha cominciato furiosa a strappare le penne.
-Questa i pollastri li ha visti solo cotti, - l'ho sentita che borbottava tra i denti. Mi sono impegnata a pulire, quello non era difficile. Altra facende domestiche non sapevo sbrigarle, non ero abituata. Ho insistito a lungo con la spugna sulla macchia di calcare che si allungava sul fondo della vasca, poi ho aperto il rubinetto per riemprirla. Di acqua fredda, quella calda non arrivava e non volevo chiedere. Dalla cucina veniva di tanto il rumore degli ossi trinciati, mentre continuavo a sudare intorno ai sanitari sporchi. Alla fine ho chiuso la porta dall'interno con il gancetto di ferro, e mi sono immersa. Quando ho allungato la mano verso la saponetta sul bordo, ho sentito che stavo per morire. Il sangue abbandonava la testa, le braccia, il petto e li lasciava gelidi. Ma restavano attimi per un paio di necessità : aprire lo scarico e chiedere aiuto. Non sapevo come attirare a me l'attenzione della donna di là, non riuscivo a chiamarla mamma. Al posto della sequenza di M e A ho vomitato grumi di latte acido nell'acqua che scendeva. Non ricordavo più nemmeno il suo nome, se anche avessi voluto invocarlo. Allora ho urlato e poi sono svenuta.

(...)

p. 22

8.

Per dormire almeno un po', ricordavo il mare. Il mare a poche decine di metri dalla casa che avevo creduto mia e abitato quando ero piccola a qualche giorno prima. Solo la strada separava il giardino dalla spiaggia, nei giorni di libeccio mia madre chiudeva le finestre e abbassava le taperelle fino in fondo per impedire alla sabbia di entrare nelle stanze. Ma il fragore delle onde si sentiva, appena attutito, e di notte conciliava il sonno. Me lo ricordavo nel letto con Adriana.


Le ho raccontato come favole le passegiate con i miei genitori sul lungomare, fino alla più rinomata gelateria della città. Lei, con un abito a bretelline e lo smalto rosso alle unghie dei piedi, camminava al bracio di lui, mentre io correvo avanti a metttermi in fila. Misto frutti per me, con la panna sopra, creme per loro. Adriana non immaginava che esistessero tutti quei gusti, dovevo enlencarglieli più volte.


- Ma dove rimane questa città ? - chiedeva ansiosa, come di un posto magico.

- A cinquanta chilometri da qui, più o meno.

- Mi ci porti una volta, così mi fai vedere pure il mare. E la bottega dei gelati.

(...)

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