"Un de ces jours (Pink Floyd, une fiction)" de Benoît Vincent
D'abord paru sous forme de textes sur le site de son auteur (1) en 2017, Un de ces jours est le deuxième volet d'une série de fictions sur le rock initiée par Benoît Vincent avec Local héros (Publie.net, 2016).
Abandonnant la geste de Mark Knopfler et de son groupe mythique Dire Straits, l'auteur retrace cette fois-ci le parcours d'ombre et de lumière de Pink Floyd dans un récit de même construit comme une playlist faisant se succéder les pistes audio, et utilisant les titres et paroles des morceaux et chansons comme matériau de fiction.
1) ambo(i)lati
Dans Un de ces jours, sous titré Pink Floyd, une fiction, il analyse ainsi en profondeur l'esthétique de ce groupe culte dont la découverte décalée vers 13-15 ans, «à l'époque où la musique rock était déjà bel et bien morte et enterrée», l'accompagna dans sa progression personnelle. Et, au-delà de l'aspect biographique et documentaire, il cherche à «comprendre comment sont imbriqués les gens, les époques et les musiques» et à approcher l'essence-même de cette aventure rock.
Le titre (2) reprend en partie celui du long instrumental qui ouvre l'album Mêlée (1971), un morceau magique représentant sans doute pour l'auteur l'apogée de cette musique, de cette «atmosphère» qui «évoque beaucoup plus qu'elle n'explicite». Avant que le succès planétaire du groupe (La face cachée de la lune, 1973) et son engagement dans une impasse idéologique et esthétique n'en sonne la récupération par le système.
2) Un de ces jours, je vais te découper en petits morceaux
La Vallée, film de Barbet Schroeder (bande originale composée par Pink Floyd)
Pour ceux qui, comme moi, ne connaissent pas grand chose au rock - et n'ont écouté aucun des morceaux dont on parle -, Un de ces jours présente un intérêt moindre que Local héros. La part d'analyse musicale y est en effet importante. L'écriture, de plus, ayant beaucoup perdu de son ironie, et même de sa poésie, le livre tire moins le lecteur vers la fiction que vers la biographie et, le "je" narratif étant très présent, vers le récit autobiographique et même le bilan personnel.
Il a malgré tout le mérite, comme le premier volet de cette série, de célébrer avec vigueur l'«appel du large», nous livrant la vision plus intime d'un auteur auquel la musique de Pink Floyd donna forme à la vie, d'un auteur ayant avec la maturité perdu les illusions de sa jeunesse.
Bouleverser, renverser une vie, faire le grand écart, tout envoyer balader, tout foutre en l'air, dévier, dérouter, dérailler, littéralement dérailler, ne pas suivre le chemin tracé d'avance.
Plus encore que Local héros, ce livre célèbre ainsi «l'explosion», la révélation du rock qui, en ouvrant des espaces vierges, des horizons insoupçonnés, «des paysages jamais entendus alors», peut bouleverser une vie. A commencer par celle de l'auteur :
«les paysages, les idées, les possibles (...) sont venus se ficher directement dans mon corps et mon cerveau, directement se greffer à même mon âme».
Il est aussi le récit d'une utopie vouée à l'échec, mais pas seulement du fait de la récupération inéluctable due au succès commercial. Le rock y étant vécu comme «un moment initiatique» de l'adolescence, il s'agit plus ici de l'utopie de la jeunesse ne pouvant survivre à «un contradictoire âge adulte».
Dépassant la mélancolie, Un de ces jours enfin, tout comme Local héros semblait se muer en une sorte d'Odyssée de la fiction, nous renvoie à la dimension inhérente du rock, à ce fonds imaginaire impérissable transmis en héritage qui aurait autorisé l'auteur à écrire. A ce «soleil» qui peut néanmoins survivre à la maturité.
Un de ces jours : Pink Floyd, une fiction, Benoît Vincent, éditions PublieNet, 21 novembre 2018, 136 p.
Benoît Vincent est botaniste. Il a publié Farigoule Bastard (prix Jean Follain 2016) au Nouvel Attila, ainsi que Local héros (2016) chez Publie.net. Il écrit régulièrement sur son site Ambo(i)lati. Membre actif du collectif Général Instin, il est également coresponsable de la revue en ligne Hors-Sol. Il vit sur les bords de la Méditerranée.
http://l-or-des-livres-blog-de-critique-litteraire.over-blog.com/vincent-benoit.html
EXTRAITS :
p.15/17
Les obsessions, on ne sait pas d’où elles viennent, comment elles s’installent, et à mon avis, il n’est pas utile de chercher à comprendre : elles sont là pour de bon. La musique, en un certain sens, est l’une des formes civiles qu’a trouvée l’homme pour domestiquer ses obsessions. Un thème lancinant qui revient : un accord de piano plaqué, une caisse claire dont la sécheresse est renversante, quelques glissandos de guitare. Rien ne laisse supposer la soupe d’orgue Hammond qui arrive, les roulements des peaux et le crissement des cymbales, enfin les cris d’orfraie de la guitare : il y a bien deux moments dans la chanson, pivotant autour d’un bref silence qui est un soupir dans la vie. Une déglutition. Rarement un morceau a pu montrer la cohésion du groupe : non seulement les instruments et leurs voix se fondent en une couleur inédite, mais l’ambiance sonore, dévolue au mixage et au matriçage, leur rend une imparable justice.
C’est une histoire collective, peut-être, qui se joue.
Cet air, dans le film, coïncide avec une scène où l’héroïque Bulle Ogier fait la rencontre des « hommes de boue », des indigènes de la tribu des Mapugas à la peau grise de la boue dont ils se griment et portant de magnifiques masques effrayants. Elle se retrouve ici seule femme au centre d’un groupe d’hommes, et un étrange ballet a alors lieu.
Paradoxalement, c’est-à-dire sans doute inconsciemment de la part de tous les protagonistes, du réalisateur aux acteurs, des musiciens aux producteurs, cette scène portée par ce morceau représente sans doute toute l’ironie tragique, toute la puissance symbolique, et toute l’indécente ingénuité de la contre-culture, dont les uns comme les autres se sont révélés des lecteurs critiques quand on leur prêtait des allures de chantres.
Car nul n’est dupe dans l’histoire, à part peut-être Gaëtan-Jean-Pierre Kalfon qui aura toujours cru, sans doute un peu trop, au sens de l’histoire (ce qui ne retire rien à son jeu exceptionnel, au contraire même), et bien sûr Viviane-Bulle Ogier, dont c’est précisément le rôle pathétique dans le film.
Mais Schroeder comme Pink Floyd a trop fréquenté les mouvements hippies et psychédéliques pour ne pas prendre les vessies pour des lanternes.
PISTES
Piste 1
Homme de boue
Piste 2
La couleur que tu veux
Piste 3
Prends ton stéthoscope et marche
Piste 4
Voir la lune
Piste 5
Gaffe avec cette gratte, Eugène
Piste 6
Moutons
Piste 7
Un de ces jours (je vais te découper en petits morceaux)
Piste 8
En cavale
Piste 9
Dommage cerveau
Piste 10
J’aimerais que tu sois là
Piste 11
Le grand raout du ciel