Des lézards, des liqueurs, de Joël Bastard

Publié le par Emmanuelle Caminade

Des lézards, des liqueurs,  de Joël Bastard

Des lézards, des liqueurs : c'est avec ce titre étonnant évoquant tant Francis Ponge (1) ou Bernardo Atxaga (2) que Baudelaire (3) que Joël Bastard nous introduit dans un recueil tout aussi surprenant. Une sorte de fourre-tout chaotique et même souvent obscur, auquel l'auteur de Casaluna ou du Sentiment du lièvre ne nous avait guère habitués.

 

Ce recueil réunissant dix-huit sections regroupant elles-mêmes sous leur titre plusieurs proses poétiques, à l'exception des deux centrales - dont le texte éponyme -, semble s'articuler autour du chaudron de l'écrivain, de cette chambre magmatique où «le mystère» et «les mots» sont «en flammes».

C'est un bric-à-brac où «les objets et les concepts» s'entremêlent et «la raison de l'ombre et de la lumière» cohabitent, où «tout et son contraire, l'un sur l'autre, se dit et se redit», où le temps «passe et repasse», la mémoire semblant «encombrée de vieux meubles dont on a perdu la clé», tandis que «les italiques» de cette immense bibliothèque d'encres accumulées désespèrent le poète, sans pour autant l'empêcher de «tenter l'impossible». Un recueil parfois digne d'un inventaire à la Prévert, à l'image du fabuleux chaos de l'univers.

 

«Courbé sur ses outils, sur la matière», dans le «va-et-vient de la frappe, de la réduction des éléments», limant avec constance «les barreaux du registre», Joël Bastard nous fait ainsi pénétrer dans l'atelier du poète. Un poète suivant l'incertain, à l'affût «des appels et des signes», qui ratisse son carré de sable avec «un vieux râteau rafistolé» et quadrille le territoire des songes, qui écarte «les genoux serrés», cherche «la moindre fissure» et s'avance sans peur comme l'insecte «sur le pont des brindilles».

1) Lézard, Album, pièces

2) Et les légendes et les mythes ancestraux du pays d'Obaba dans Obabakoax

3) Cf Elévation

 

Wassily Kandinsky, Fuga

 

«Faire de l'intérieur un terrain extérieur»

 

Joël Bastard ouvre des portes «à l'intérieur et à l'extérieur de l'enceinte», établit des passerelles. Il chemine dans les ténèbres des «grands fonds opaques», tel un plongeur divaguant «seul avec sa sueur au milieu des glouglous». Il nous fait entendre ces murmures du monde qui nous appellent, voir «ce qui s'étale en secret», ces paysages qui déroulent «leur verve silencieuse», chantant «la beauté muette du jour». Car tout revient «au grand air, à la laisse épanouie».

 

«Il y a des lézards, des liqueurs et du sens»

 

Et dans la coulée de ce capharnaüm hétéroclite foisonnant, il faut faire le tri, saisir des fulgurances. Forcément quelque chose fera sens car la vérité «cogne contre les parois», «des verbes luminescents clapotent sur la coque» au-delà de l'apparence exhibant son évidence.

«L'espérance est seulement dans la chute lumineuse des copeaux et des limailles, au pied de l'établi» et, «de négation en négation, l'usure prend forme et nous apaise». Nous abandonnons ainsi nos «focales toutes provisoires sur l'infini» et ce métronome auquel nous nous tenons, adoptant la cadence du temps donnée par le cosmos, nous fondant dans un monde échappant à notre mesure.

Et si l'homme est «parti en voyage de lui-même dès l'enfance. Pour ne plus jamais se retrouver», nous approchons néanmoins le sens perdu des petites cosmogonies harmonieuses  de ces «enfances marquées à l'encre du scarabée, à la blanche vomissure de l'escargot, à la nacre d'eau claire, à l'usure ardente des pierres.»

 

Un recueil qui tente d'«effeuiller le mystère» et de donner forme au vide.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Des lézards, des liqueurs, Joël Bastard, Gallimard, 2018, 176 p.

 

A propos de l'auteur :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jo%C3%ABl_Bastard

 

EXTRAIT :

 

On peut feuilleter les vingt premières pages du livre sur le site de l'éditeur : ICI

 

Publié dans Poésie

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