Des miroirs et des alouettes, de Le Minot Tiers

Publié le par Emmanuelle Caminade

 

 

 

 

 

 

 

 

Géographe et chercheur, l'auteur a beaucoup travaillé sur la représentation de l'espace et des lieux dans la littérature. Il s'est d'abord longuement attaché à l'oeuvre de Jules Verne (à laquelle il a consacré plusieurs essais universitaires) avant de s'intéresser plus récemment au XXème siècle, notamment avec Proust ou Julien Gracq.

Il se tourne maintenant vers l'écriture romanesque pour "transmettre autrement ce savoir universitaire, les interrogations - et parfois les découvertes qui les accompagnent - qui sont les [siennes]".

 

 

Publié sous le pseudonyme "Le Minot Tiers", Des miroirs et des alouettes, premier volume d'une trilogie à venir, commence comme un polar.

Averti par une lettre lui indiquant le chemin d'accès à une étrange maison semblant figée «dans un passé bien difficile à déterminer», et dans laquelle se serait déroulée une scène de crime, un jeune inspecteur de police fraîchement débarqué dans les Landes - et ayant nourri autrefois quelques ambitions littéraires - découvre le cadavre d'un illustre inconnu dans son immense bibliothèque regorgeant d'ouvrages du XIXème siècle. Et, au bas de la feuille blanche insérée dans la machine à écrire posée sur son bureau, il lit avec étonnement le mot FIN tapé en lettres capitales.

L'autopsie concluant très vite à une mort naturelle, l'enquête, faute de crime, s'achève à peine commencée. Mais il reste néanmoins une foule d'incertitudes et d'interrogations, notamment sur la victime qui était, semble-t-il, un prolifique correcteur et peut-être même un nègre littéraire travaillant pour une grande maison d'édition, ou sur cette mystérieuse lettre ayant entraîné le héros dans cette affaire qui fut écrite sur la machine du défunt une trentaine d'années auparavant !

Curieusement désigné comme l'unique héritier de ce Mr Risto, notre inspecteur-écrivain à l'imagination fertile s'installe dans ces lieux ayant échappé au cadastre et se retrouve de plus en possession d'un manuscrit inachevé, tandis que sa tangible compagne Vanessa qui investit la maison avec son chien semble avoir beaucoup d'assurance pour un personnage de roman, et que le chat que l'on croyait mort fait des apparitions épisodiques...

 

La logique, on le voit, en prend un sérieux coup, et les conseils délivrés dans cette même lettre à notre inspecteur et narrateur semblent tout autant ceux donnés par l'auteur au lecteur :

 

«NE CHERCHEZ PAS A COMPRENDRE.

IL N'Y A RIEN A COMPRENDRE !

VOTRE LOGIQUE N'ABOUTIRA

A AUCUN RESULTAT... !»

 

Il faut donc accepter de se laisser dérouter dans ce roman hors normes qui va tenter de s'écrire sur cette page vierge laissée en suspens.

Car son intérêt ne réside pas dans la résolution d'une quelconque énigme, même si on s'amuse des jeux de piste, ni dans l'histoire racontée dont l'invraisemblance importe peu. D'ailleurs certains noms soulignent d'un clin d'oeil ce refus de logique : "Risto" semble ainsi résulter de l'inversion phonétique des deux syllabes de story (histoire) ou de Storitz (le personnage invisible de Jules Verne dans Le secret de Wilhelm Storitz inspiré de H.G. Wells) et "Storiaporie" (nom d'un capitaine qui apparaîtra plus tard) associe, lui, story et aporie...

 

 

L'univers, gravure anonyme du XIXème siècle

Exploitant à fond l'univers des Voyages extraordinaires verniens dont il reprend certains motifs (évoquant notamment Le Rayon vert, Vingt mille lieues sous les mers ou Le sphinx des glaces présenté par Jules Verne comme une suite du roman d'Edgar Poe Les aventures d'Arthur Gordon Pym - fiction qui fut elle-même présentée comme le récit d'un authentique voyage …), l'auteur préfère ouvrir un espace vertigineux à notre imaginaire en transgressant toutes les frontières, mêlant les registres d'écriture et jouant des symboles comme de l'intertextualité. Un espace riche d'univers parallèles. Et dans ce récit mouvant nous faisant sans cesse passer d'un monde à l'autre, mené tambour battant par un narrateur prolixe - et même envahissant - l'auteur, friand de mises en abyme et déployant ses leurres au travers de multiples dédoublements et emboîtements de récits, tisse sa toile.

Tout en portant un regard perçant empli de dérision sur notre monde - et particulièrement sur les milieux journalistiques, universitaires ou littéraires -, il nous amène de manière ludique et métaphorique à nous interroger sur la manière dont la littérature permet de sortir du cadre et d'aborder autrement l'espace et le temps comme la vaste question du réel et de sa perception. A réfléchir aussi sur ce qu'est l'acte d'écrire, sur le rapport entre l'acte créatif individuel et les œuvres antérieures, sur l'inspiration et le plagiat comme sur le narcissisme... A savoir qui écrit véritablement, pourquoi, comment, et dans quel but.

Si on apprécie l'humour, la causticité et la vivacité de l'écriture, et goûte un certain nombre de trouvailles pédagogiques comme cet irrésistible «chat métaleptique», le style alerte et familier - flirtant même parfois avec une certaine vulgarité - du narrateur principal peut déconcerter dans un premier temps les amateurs de style littéraire. Mais il est pleinement revendiqué par un auteur-narrateur aimant jouer sur les clichés et s'épargnant parfois les descriptions en renvoyant le lecteur à internet ou lui donnant à choisir le lexique approprié ! Et, outre que tout ce que l'on pourrait prendre pour des facilités ou des travers fait partie intégrante du propos de l'auteur, de son illustration, il semble que ce style enlevé soit aussi la clef de la réussite du roman. Il permet en effet de lier tous ces éléments apparemment disparates et de nous faire non seulement pénétrer mais nous mouvoir avec aisance dans un récit défiant toute logique.

 

Loin d'une littérature prête à l'emploi, Des miroirs et des alouettes, s'avère ainsi une composition narrative complexe, intelligente et drôle maîtrisée jusque dans ses plus infimes détails par un auteur connaissant parfaitement son sujet. Et on a plaisir à vivre cette expérience de lecture inédite que Le Minot Tiers propose à ses lecteurs en les mettant très largement à contribution.

 

https://lalignederre.blogspot.com/

 

 

 

 

 

 

Des miroirs et des alouettes, Le Minot Tiers, La ligne d'erre, 16 mai 2019, 200 p., 13 €

Premier roman publié par la toute nouvelle maison d'édition La ligne d'erre (édition de grande qualité pour un faible prix), sa distribution reste très confidentielle.

(Cf le site de l'éditeur : https://lalignederre.blogspot.com/)

 

A propos de l'auteur (biographie et bibliographie) :

http://clefdargent.free.fr/dupuy.php

 

EXTRAIT :

 

On peut lire les premières pages (p.9 à 12) et consulter la table des matières sur le site de l'éditeur : ICI

 

Publié dans Fiction

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