Florence en v.o., de Annick Farina
Dans le cadre de sa nouvelle collection "Villes en v.o.", tenant tant du guide de voyage insolite que du dictionnaire thématique ou amoureux illustré de textes bilingues, les éditions Atlande ont judicieusement demandé à Annick Farina de nous faire visiter Florence, cette ville d'art et de lettres, en nous imprégnant de son esprit, de cette âme forgée au cours des siècles.
Cette auteure qui enseigne la langue et la traduction françaises à l'université de Florence et vit en Italie depuis plus de vingt ans nous entraîne ainsi, avec beaucoup de vivacité et une érudition jamais pesante, dans cette ville célébrée par de multiples écrivains y ayant vécu ou séjourné.
Au-delà des parcours traditionnels proposés aux touristes, elle aborde sa riche histoire au travers des lieux décrits et d'anecdotes qui leur sont liées, comme de son climat et de sa cuisine, de sa langue et de tout cet imaginaire développé chez des artistes de genres, époques et origines très variés. Et elle enrichit son propos de toute une palette de textes, italiens en majorité mais aussi français ou russes, anglais, portugais, allemands ou danois.
A room with a view, film de James Ivory d'après un roman de E.M. Forster
D'un petit format rectangulaire, Florence en v.o. s'emporte aisément avec soi et on y entre facilement grâce à une quarantaine de mots-clefs en capitales rangés alphabétiquement dans le sommaire, de AFA (chaleur) à VIOLA (désignant l'équipe de foot florentine au maillot violet), et répertoriés également en quatrième de couverture. Des mots en langue originale plutôt hétéroclites qui, des plus surprenants aux plus attendus, racontent avec saveur la ville dans toute sa diversité et sa richesse culturelle.
Cette entrée par mots-clefs permet notamment de retenir facilement, bien mieux que ne l'aurait fait une ennuyeuse chronologie, les transformations et les bouleversements urbains liés à l'histoire.
On passe ainsi d'une ville moyenâgeuse très cloisonnée avec ses CASETORRI (maisons-tours) dont les ponts-levis permettaient aux seigneurs de se déplacer en survolant les sinueuses ruelles propices aux embuscades lors des sanglantes rivalités entre GUELFI E GHIBELLINI (Guelfes et Gibelins (1)), aux palais de la fin du Moyen Age et édifices publics (dès la Renaissance (2)) dotés de LOGGE (galeries ouvertes). On voit le GHETTO où furent assignés, puis reclus un temps, les Juifs florentins dès 1516 s'ouvrir au milieu du XVIII ème et devenir un simple quartier populaire. Un quartier qui sera entièrement rasé à la fin du XIXème lors du SVENTRAMENTO (éventrement) de la vieille ville, dans le cadre d'une rénovation urbaine de type haussmannien consécutive à la promotion éphémère de Florence comme capitale du pays peu après l'unification de l'Italie...
1) Ces deux factions rivales qui soutenaient pour la première la suprématie du pape, et pour la seconde du Saint Empire, s'affrontèrent très violemment durant le XIIème et le XIIIème siècle
2) La Renaissance italienne (dont les prémices s'annoncent au XIVème, et même à la toute fin du XIII ème) a précédé d'un siècle la Renaissance française
Le principal mérite de l'ouvrage, outre son aspect pratique, vient de l'ouverture de son approche, de cette variété et de cette absence de hiérarchisation ostentatoire. Cela permet en effet de ne pas se contenter des monuments et œuvres d'art et d'habiter vraiment une ville en prenant en compte ses héritages divers.
Et la richesse de cette approche se retrouve également dans les textes choisis par l'auteure qui font se côtoyer de manière bienvenue des classiques incontournables ou plus inattendus de toutes nationalités (Machiavel, Boccace, d'Anunzio, Collodi, Stendhal, Montaigne, Dumas, Keats... ainsi que Sade, Hyppolyte Taine, Andersen, Brecht, Dickens, Anna Akhmatova...) avec nombre d'auteurs de "giallo" (roman policier), genre très prisé en Italie.
Annick Farina y accorde de plus opportunément une grande importance aux aspects linguistiques.
On se régale de voir le terme UCCELLO (oiseau) utilisé par Boccace en son sens figuré (sexe masculin) dans Caterina e l'usignolo / Catherine et le rossignol (Decameron). On goûte l'humour de Stendhal nous faisant remarquer dans Rome, Naples et Florence que la langue de Dante, considérée comme la mère de la langue italienne littéraire, était le vernaculaire florentin de la fin du XIIIème, et l'on rit avec lui de voir les Florentins aspirer si fortement le "c" qu'ils prononcent HHOHHOMERO au lieu de "cocomero" (pastèque) ! On apprend que c'est à Florence que naquit à la fin du XVIème l'académie de la CRUSCA (résidu de la mouture des céréales), ancêtre de notre Académie française, qui défendra la fine fleur de cette langue florentine jugée la plus pure. Et on comprend que cet italien unitaire l'ayant pris pour modèle reste encore très récent en lisant la recette de la BISTECCA ALLA FIORENTINA (côte de bœuf) dans le livre fondateur de la cuisine nationale italienne (publié en 1891) qui intégrait pour la première fois des spécialités de diverses régions et tendait à unifier le vocabulaire culinaire.
Florence en v.o nous fait ainsi voyager de manière instructive et divertissante et s'avère un petit livre à mon sens incontournable pour ceux qui désirent visiter Florence hors des sentiers battus et enrichir leur regard sur cette ville.
Florence en v.o., Annick Farina, éditions Atlande, 22 mai 2019, 187 p.
Annick Farina s’est installée en Italie en 1997, alors qu’elle finissait un doctorat en lettres (université Paris VIII) sur l’histoire des dictionnaires québécois. Elle a travaillé comme traductrice professionnelle, tant à Montréal (anglais-français) qu’à Barcelone (espagnol-français) et à Milan (italien-français), avant d’obtenir un poste de maître de conférences à l’université de Florence en 2005. Elle a publié des traductions de poésie en italien et en français, en particulier de Raymond Farina, Daniel Martinez et Sergio Toppi. Aujourd’hui professeure de langue et traduction françaises à l’université de Florence, ses recherches se concentrent sur l’étude du lexique et des dictionnaires. Elle est présidente du Centre linguistique de l’université et dirige un groupe de recherche, le Lessico dei Beni Culturali, coordonnant la réalisation d’une base de données textuelle plurilingue sur le patrimoine florentin et d’un dictionnaire du lexique du patrimoine en huit langues. Elle a obtenu le titre de chevalier des palmes académiques en 2013 et est académicienne honoraire de l’Accademia delle Arti del Disegno.
(éditions Atlande)
EXTRAIT :
SOMMAIRE
Villes en v.o. 15
Florence en v.o. 17
Mots clefs :
AFA [chaleur]
Le faville del maglio (Gabriele D’Annunzio) 19
ALLUVIONE [inondation]
Morte a Firenze (Marco Vichi) 24
ARTI DEL DISEGNO [arts du dessin]
Lettera da Michelangelo Buonarotti a Benedetto Varchi (Michel-Ange) 28
BASILICO [basilic]
“Isabella, or the Pot of Basil” (John Keats) 32
BEFFA [farce]
Novella del Grasso legnaiuolo (Antonio Manetti) 36
BISTECCA ALLA FIORENTINA [côte de bœuf à la florentine]
La scienza in cucina e l’arte di mangiar bene
(Pellegrino Artusi) 42
CALCIO STORICO [calcio florentin]
Storia Fiorentina (Benedetto Varchi) 46
CASATORRE [maison-tour]
Incubo di signora (Nino Filastò) 50
CIELO [ciel]
Leben des Galilei (Bertolt Brecht) 53
CRUSCA (la) [académie de la Crusca]
Lettres familières écrites d’Italie à quelques amis
(Charles de Brosses) 57
DAVID
Farfalle di Maggio (Leonardo Gori) 60
ECORCHES
Histoire de Juliette, ou les Prospérités du vice
(Marquis de Sade) 63
FALO DELLE VANITA [bûcher des vanités]
Marguerite et les enragés : meurtre à Florence
(Éric Deschodt et Jean-Claude Lattès) 66
FONTANE E FONTANELLE [fontaines]
Voyage en Italie (Hippolyte Taine) 70
GHETTO
Il Vento di Siòn (Angiolo Orvieto) 74
GIUBBE ROSSE (Caffè delle)
La mia vita (Carlo Carrà) 78
GRANDUCA [grand-duc]
Occhi e nasi. Ricordi dal vero (Carlo Collodi) 82
GUELFI E GHIBELLINI [guelfes et gibelins]
Istorie Fiorentine (Machiavel) 86
HHOHHOMERO [aspiration du c]
La grammatica di Giannettino per le scuole elementari (Carlo Collodi) 92
INFERNO [enfer]
“Dante” (Anna Akhmatova) 96
INGLESI [Anglais]
La scritta sul vetro (Cristina Acidini) 100
INNOCENTI (Spedale degli) [hôpital des Innocents]
A room with a view (E. M. Forster) 105
LEONARDO [Léonard de Vinci]
Le rêve de Gramsci (Raymond Farina) 108
LOGGIA DEI LANZI
Fuga verso la morte (Marco Vichi) 111
MECENATI [mécènes]
La vita di Benvenuto di Maestro Giovanni Cellini fiorentino, scritta, per lui medesimo, in Firenze
(Benvenuto Cellini) 115
MEDICI [Médicis]
Une année à Florence (Alexandre Dumas) 120
MERCATI [marchés]
La Donna d’Oro (Laura Di Martino) 124
O DI GIOTTO [le O de Giotto]
Vite dei più eccellenti pittori, scultori e architettori
(Giorgio Vasari) 128
PAPPA AL POMODORO [panade à la tomate]
Giornalino di Gian Burrasca (Vamba) 132
PIAZZALE MICHELANGELO [esplanade Michelangelo]
A Ignorância da morte (António Osório) 136
PONTE VECCHIO
Décembre à Florence (Joseph Brodsky) 140
PORCELLINO [porcelet]
Metalsvinet (Hans Christian Andersen) 144
SAN GIOVANNI BATTISTA [saint Jean Baptiste]
Journal de voyage en Italie (Montaigne) 148
SASSO DI DANTE [pierre de Dante]
Pictures from Italy (Charles Dickens) 151
SCOPPIO DEL CARRO [explosion du char]
Cronache di poveri amanti (Vasco Pratolini) 154
SIGARO TOSCANO [cigare toscan]
Qualche notizia del tempo (Lucio Mariani) 158
SINDROME DI STENDHAL [syndrome de Stendhal]
Rome, Naples, Florence (Stendhal) 161
STINCHE (carcere delle) [prison des Stinche]
Sonetti (Machiavel) 165
SVENTRAMENTO [éventrement]
Firenze sotterranea (Jarro) 170
UCCELLI [oiseaux]
Decameron (Boccaccio) 174
VIOLA [les violets]
“90 anni viola” (Lorenzo Baglioni) 179
Index des noms de lieux 185