Chroniques d'une immigration choisie, de Salah Guemriche

Publié le par Emmanuelle Caminade

Chroniques d'une immigration choisie, de Salah Guemriche

Journaliste indépendant, essayiste et romancier, auteur du Dictionnaire des mots français d'origine arabe (Seuil, 2007), monument si incontournable en la matière qu'il fut régulièrement pillé sans vergogne - notamment par l'éminent Alain Rey dans son Voyage des mots, contre lequel il vient de gagner son procès en plagiat (1) -, Salah Guemriche, ayant choisi l'exil non pour des raisons économiques ou politiques mais par un impérieux besoin de liberté, vit en France de puis 1976, «toujours rivé à [sa] nationalité d'origine». Il aime se définir comme «un Algérien endoctriné (...) de valeurs républicaines, dont la sacro-sainte laïcité», s'indignant de se voir en toute incohérence catégorié par l'Administration française comme un «immigré musulman».

Féru de linguistique, lui qui a fait de la langue française sa «résidence principale», il se revendique comme un «colon de la langue de Molière». Et, avec cet humour caustique et bon enfant qui le caractérise, il avoue avoir «concocté ce spicilège en hommage à Marianne, sainte laïque et patronne des veaux» (2)! Fin observateur et profond penseur à l'esprit critique toujours en éveil, il y analyse divers sujets d'actualité particulièrement révélateurs qui ont agité et agitent encore notre pays, portant un regard extérieur lucide et exigeant sur cette France devenue la sienne dont il connait si bien l'histoire et les obsessions la taraudant, ainsi que sur les relations complexes de la «France-Algérie».

1) Cf l'article de blog de l'auteur sur Mediapart : ICI

2) Clin d'oeil à la célèbre phrase que De Gaulle aurait prononcée …

 

 

Chroniques d'une immigration choisie regroupe ainsi par thème en six parties (3) quarante-cinq articles s'étalant de 1984 à 2019 qui furent pour la plupart publiés dans Le Monde, Libération, Mediapart ou Le Nouvel Obs...

Avec une érudition impressionnante et en documentant toujours ses sources avec une honnêteté intellectuelle sans faille, l'auteur déconstruit rigoureusement les grands mythes de l'histoire, comme ceux de la bataille de Poitiers (auquel il consacra un livre (4)) ou de ces racines chrétiennes de la France qui remonteraient au baptême de Clovis !

Il s'indigne de l'indigence de l'information, notamment lors de la guerre en Irak, durant laquelle les media ont abandonné toute éthique, précise, histoire et étymologie à l'appui, tous ces mots employés à tort et à travers comme ceux d'islam et d'islamisme, ou se moque gentiment de l'inculture entourant une réforme de l'orthographe qui n'a rien inventé. Il montre les contradictions de ce prétendu débat sur la laïcité portant en fait sur l'identité, la mauvaise foi de ce recours aux valeurs démocratiques venant cautionner la «libération de la parole raciste», comme l'aveuglement de ces croisades contre l'impérialisme linguistique et culturel américain qui passent sous silence celui de la France au Maghreb...

Et ce qui le révolte le plus c'est le problème palestinien, dont il a fait son problème personnel, s'érigeant contre l'inégalité de traitement et l'indignation sélective, contre la justification de l'injustifiable et ce «chantage à l'antisémitisme» patronné par le CRIF qui en France interdit tout débat.

Il souligne de plus la persistance de l'idéologie coloniale encore tapie dans l'inconscient, remontant à la clairvoyance de Clémenceau (face à Jules Ferry) ou de Henry de Montherlant (versus Camus), revient sur l'histoire algéro-française, des massacres de Guelma en 1945 à «Oradour sur Seine» en 1961, fustige le silence des intellectuels algérien durant les années de plomb et cette autoflagellation semblant resurgir du "complexe du colonisé" analysé par Edward Saïd et Franz Fanon, tout en mettant grand espoir dans cette levée de son peuple le 22 février 2019 pour «ériger un terme au règne du FLN post indépendance» - rappelant cette sortie en masse dans la rue le 11 décembre 1960 pour mettre un terme à la colonisation, qui força l'ONU à se pencher sur la cause algérienne.

3) Obsessions françaises /Obsédés de la France/France-Algérie : quelle histoire !/De l'islam et de l'islamisme / Israël, Palestine, Antisémitisme , islamophobie/La révolution du 22 février 2019

4) Abd er-Rahman contre Charles Martel la véritable histoire de la bataille de Poitiers, Perrin (2010)

Salah Guemriche possède la faculté rare de se mettre à la place de l'autre pour tenter de comprendre sa logique, que ce soient Zemmour, Ménard, Robert Millet ou Finkielkraut - penseur intègre et républicain pour lequel il ne cache pas une certaine admiration -, tout comme celle de pouvoir développer une pensée nuancée débarrassée des affects. Condamnant ses propos sur Israël, il écrit de manière pertinente à Boualem Sansal sans haine ni mépris, ce qui le rend d'autant plus audible, s'oppose au boycott d'Israël lors du salon du livre de Paris en 2008 tout en soulignant l'indécence symbolique de «Tel Aviv sur Seine» en 2015. Et, sachant aborder les problèmes dans toute leur complexité, il se garde de voir à priori du racisme dans l'affaire du voile et de la burqa tout comme, concernant les Harkis, il est capable de dissocier la «douloureuse mémoire du corps» de celle des faits.

 

Chroniques d'une immigration choisie vient surtout éclairer avec justesse la progressive décadence de la France intellectuelle en près de quatre décennies : celle d'un pays héritier autoproclamé des Lumières devenu intolérant et sectaire où «on ne débat plus, on lynche». Une France paresseuse et amnésique dont les dits intellectuels, ayant perdu tout esprit critique, manquent de discernement comme d'honnêteté, prétendent analyser en décontextualisant et se conforment lâchement à l'air du temps, quand ils ne se réfugient pas dans des postures humanitaires.

 

 

Se démarquant de tous ces «faiseurs d'opinion, écrivains, journalistes, philosophes et politiques de droite comme de gauche», Salah guemriche poursuit ainsi ses combats donquichottesques même s'il en paie lourdement le prix, voyant de plus en plus ses chroniques refusées par ces journaux de gauche qui l'accueillaient autrefois et les portes des éditeurs se fermer. Et l'on est reconnaissant aux éditions de l'Aube d'avoir publié, outre son remarquable essai Israël et son prochain, ce recueil de chroniques salutaire d'un homme qui se faisait une certaine idée de la France. Une idée qui semble malheureusement n'avoir plus cours.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chroniques d'une immigration choisie, Salah Guemriche, Editions de l'Aube, août 2019, 275 p.

 

A propos de l'auteur :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Salah_Guemriche

 

 

EXTRAIT :

 

On peut lire le chapitre introductif du livre, intitulé Etre ou ne pas être … Français (p.9/20): ICI

(en cliquant sur "feuilleter")

 

Publié dans Recueil, Essai

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U
Si Charles s'était contenté d'"éclairer" la pensée d'Adolphe, nous serions aujourd'hui sous la botte de celui-ci et de ses héritiers. Quant à la malhonnêteté, je vous en concède la responsabilité. Chacun voit le monde de sa petite lucarne. Vous avez vos convictions, j'ai les miennes.
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E
Si vous avez lu, votre compte rendu de lecture n'est pas honnête car à aucun moment l'auteur ne cautionne les discours de Zemour, Ménard ou Millet, il ne fait qu'en éclairer la logique. Quant à Finkielkraut, il n'y a aucune honte à avoir une certaine admiration pour la clarté de sa pensée (à l'écrit !), pour le républicain et l'homme intellectuellement intègre capable de penser contre sa communauté, tout en condamnant ses phobies et dérives pathétiques. Il me semble que vous avez une conception un peu manichéenne des êtres et des choses...
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U
C'est déjà tout lu, chère madame. Je pourrais même vous signaler un certain nombre de « coquilles ». Mais venons-en au fait. <br /> - Peut-on témoigner « une certaine admiration » pour quelqu'un sans partager tout ou partie de ses convictions ?<br /> - « Oui, c'est nouveau, ça vient de sortir », comme dirait l'autre.
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U
Au nom de la "complexité", on croit pouvoir tout justifier. Quelqu'un qui cautionne les discours d'un Zemmour, d'un Ménard, d'un Millet ou d'un Finkielkraut ne peut pas être foncièrement...bon.
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E
Salah Guemriche ne cautionne nullement les discours d'un Zemmour, d'un Ménard ou d'un Millet mais cherche à comprendre leur logique pour mieux réfuter leur pensée. Quant à Finkielkraut, il sait faire la part des choses et apprécier le républicain et le penseur capable de penser contre sa communauté notamment au sujet d'Israël (ce qui n'est pas toujours connu du public). Lisez avant de juger a priori ! On ne peut critiquer et condamner sans avoir lu, ce n'est pas une attitude intelligente !