La lune, l'étoile et le flocon, de Le Minot Tiers

Publié le par Emmanuelle Caminade

La lune, l'étoile et le flocon, de Le Minot Tiers

Après L'oncle de Vanessa, où notre narrateur, apprenti-écrivain grisé par son premier succès, pensait pouvoir atteindre l'apogée de la gloire avant de se laisser progressivement envahir par le doute, nous attendions avec impatience le dernier volume de cette trilogie du Minot Tiers entamée il y a huit mois avec Des miroirs et des alouettes (La ligne d'erre, mai 2019).

Si déroutante que soit cette énigmatique histoire défiant toute logique, nous commencions à en domestiquer la part d'irréel. Nous nous étions habitués aux lieux comme à ce couple improbable flanqué de son «toutou diégétique» et de son «matou métaleptique», dont nous partagions le quotidien. Nous nous étions même attachés à son arrogant et volubile héros toujours prompt à critiquer ou se lamenter et à plaisanter, et nous goûtions la vivacité de ses échanges avec sa compagne - notamment autour de l'écriture de ce second roman à laquelle ils nous faisaient tous deux participer.

Et voilà que, bouleversant cette routine qui s'était peu à peu instaurée, ce troisième volume intitulé La lune, l'étoile et le flocon vient nous réveiller brutalement.

 

 

Nous sommes maintenant en Islande, «pays béni pour les géographes comme pour l'imaginaire» où notre narrateur s'est rendu sur une intuition, sur un coup de tête, pour retrouver la belle Fjörgyn (1). Le Snaefellsjökull (2), impressionnant volcan sortant d'un long sommeil, y déchaîne ses forces destructrices et créatrices et nos deux héros, se réfugiant sur une arche basaltique, attendent les secours tout en observant, quasiment pétrifiés, le combat des éléments.

Une aventure extraordinaire qui permettra à Fjörgyn de renouer contact avec sa mère, universitaire s'intéressant aux romans français qui mettent l'île en scène et communiquant par ailleurs avec le huldufölk (3), ce peuple caché de la mythologie islandaise qui envoie souvent des messages sous formes de rêves prémonitoires bizarres.

1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Fj%C3%B6rgyn_et_Fj%C3%B6rgynn

2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Sn%C3%A6fellsj%C3%B6kull

3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Hulduf%C3%B3lk

 

L'ampleur de la catastrophe fait des Islandais des «réfugiés géologiques» et notre héros regagne la France avec Fjörgyn et sa mère, le couple s'installant juste à côté de la maison d'un autre couple qui ne nous est  pas inconnu, et finissant par entrer en relation avec Vanessa, cette voisine - dont le chat Axel (4), avec son collier affichant d'étranges inscriptions, rôde chez eux - et son compagnon propriétaire d'un chien. Un compagnon professeur nourrissant curieusement la même passion pour Jules Verne que notre narrateur - notamment pour Voyage au centre de la terre - et qui aurait déjà publié deux romans. Lui ou Vanessa car on ne sait plus trop dans le couple lequel des deux écrit ...

4) Axel évoquant bien sûr le jeune héros du Voyage au centre de la terre de Jules Verne

Qui écrit donc ce roman ? Qui raconte cette histoire ? Quel est l'auteur de cette trilogie, ou plutôt de ce triptyque dont les deux volets vont se refermer, occultant le panneau central d'un écrivain en majesté ?

Telles sont sans doute les questions majeures se posant dans ce troisième volume où le narrateur et son éruptive et évanescente compagne semblent sans cesse se dédoubler jusqu'à la surprise finale.

 

 

Comme les deux précédents romans de l'auteur, La lune, l'étoile et le flocon se divise en deux parties arborant ici des tonalités particulièrement différentes.

Dans la première, s'inscrivant en totale rupture, un ailleurs islandais vient supplanter l'ancien ici occitan, le jaillissement magmatique de cette île volcanique portant en mémoire tous les bouleversements jalonnant l'écriture de notre Terre remplaçant la douceur émolliente du Béarn.

Notre héros narrateur qui semble avoir abandonné Vanessa et ses compagnons canin et félin pour rejoindre «sa petite divinité islando-eruptive», s'y avère de plus méconnaissable. Délaissant en partie lamentations, critiques acerbes et jeux de mots, notre héros ébloui et survolté s'y consacre en effet avant tout à observer précisément et nous décrire, dans un grand élan métaphorique et anaphorique, le spectacle apocalyptique terrifiant et fascinant qui s'offre à lui, et dont il ne voit pas comment rendre compte autrement que de manière romanesque.

C'est une partie géographique et géologique au très riche intertexte qui nous plonge dans ce merveilleux vernien ayant enchanté notre enfance, multipliant les références au Voyage au centre de la terre (5) ainsi qu'aux essais et articles que l'auteur (Lionel Dupuy) lui a consacrés (6), son interprétation originale et pertinente de ce roman un peu a part dans l'oeuvre de Jules Verne se révélant par la suite «la clef de toute cette histoire»...

5) https://fr.wikipedia.org/wiki/Voyage_au_centre_de_la_Terre

6) Cf : https://www.erudit.org/fr/revues/cgq/2017-v61-n172-cgq03339/1042718ar/

Dans la seconde partie, où nous recouvrons nos repères avant d'en comprendre le brouillage, le narrateur, retrouvant son verbe ludique et caustique, abandonne le merveilleux romanesque pour tendre vers l'essai.

Dans cette partie très didactique, l'auteur nous explique la teneur métaphorique de cette trilogie romanesque, frustrant parfois le lecteur actif  en divulguant paradoxalement certains détails que ce dernier avait pris la peine de chercher. Mais, comme toujours, notre auteur-narrateur qui a réponse à tout anticipe les critiques en justifiant une forme totalement délibérée de sa part : cette veine explicative répondant à la plupart de nos questions – et les outrepassant même - n'aurait pour but que d'occuper, de distraire le lecteur dans l'attente d'une fin dont il veut ménager l'effet.

Un objectif entièrement réussi !

 

 

La lune, l'étoile et le flocon est ainsi un roman «palimpseste» aussi magique que ce volcan islandais s'affirmant symboliquement comme «une porte d'entrée dans l'imaginaire», qui vient nous révéler toute la portée allégorique d'une histoire faisant exploser les notions de temps et d'espace pour sonder en profondeur les mystères de l'écriture. Une histoire éclairant la face cachée du réel au travers des diverses représentations de la réalité.

Articulant savoirs scientifiques, géologique ou linguistique, et imaginaire géographique au sein d'un récit dialoguant avec d'autres œuvres et auteurs, il s'avère un bel hommage à Jules Verne et à son Voyage au centre de la terre, livre qui fut manifestement fondateur pour Lionel Dupuy.

 

Même s'il conserve son autonomie, il semble néanmoins difficile de lire cet ultime opus en se privant des deux premiers volumes. Et tout lecteur curieux s'intéressant à la littérature et à l'écriture devrait à mon sens s'attaquer à cette trilogie hors normes aussi divertissante qu'instructive. Un triptyque dont nous ne pouvons mesurer et admirer qu'à terme la maîtrise impressionnante de la construction.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La lune, l'étoile et le flocon, le Minot Tiers, La ligne d'erre, 6 janvier 2020

(roman publié par la toute nouvelle maison d'édition La ligne d'erre dont la distribution reste très confidentielle.  Cf le site de l'éditeur : https://lalignederre.blogspot.com/)

 

A propos de l'auteur :

https://le-minot-tiers.blogspot.com/

https://recherche.univ-pau.fr/fr/_plugins/mypage/mypage/content/ldupuy3.html

 

 

EXTRAITS :

 

On peut lire les premières pages du livre : ICI

 

TABLE

(p.199)

 

Le Snaefellsjökull.......................................... p.7

L'Arche de Thulé........................................... p. 23

Ca chambre à Reykjavik !............................... p.33

Le huldufölk................................................. p.43

Renaître de ses cendres …............................ p.55

La lune rousse ….......................................... p.65

«Vas Jung Foyer» …..................................... p.75

Le matou métaleptique................................. p. 87

Défense d'entrer …..................................... p.97

 

«meretarCsilucoYsleffenSnl»........................ p. 103

Géographie littéraire …................................ p. 113

Schème et archétype................................... p. 119

Inversion.................................................... p. 129

La vie est un billard..................................... p. 129

Etre ou ne pas être ….................................. p. 141

Une poétique de l'espace ….......................... p. 161

Le livre d'or.................................................. p. 177

D'un monde à l'autre …................................ p. 193

 

Publié dans Fiction

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