Il taglio del bosco / La coupe de bois, de Carlo Cassola

Publié le par Emmanuelle Caminade

Il taglio del bosco / La coupe de bois, de Carlo Cassola

Célèbre nouveliste et romancier italien du XXème siècle dont les fictions furent souvent adaptées au cinéma (1), Carlo Cassola entra en littérature dans les années 1937/1940 : des débuts qui furent interrompus par la guerre durant laquelle, antifasciste et internationaliste, il s'engagea dans la résistance en Toscane.

 

Il taglio di bosco / La coupe de Bois qui parut dans la revue Paragone-Litteratura en 1950 puis aux éditions Fabbri en 1954 s'avère un texte intense malgré une intrigue ténue et un rythme lent et monotone. L'auteur, grand admirateur du Joyce des Gens de Dublin, s'y concentre sur des aspects banals mais pour lui essentiels de la vie et saisit en profondeur des sentiments ineffables, adoptant une tonalité sobre, modeste et intimiste. Et la genèse de cette longue nouvelle écrite en 1948/1949 dont le projet fut remanié à mi-parcours par l'auteur, suite à un événement personnel qui en en affecta et enrichit l'écriture, s'avère particulièrement intéressante.

1) Son roman La ragazza di Bube (prix Strega 1960) fut notamment adapté par Luigi Comencini sous le titre La ragazza...

 

 

Carlo Cassola commença ainsi à écrire une sorte de journal du quotidien répétitif d'une petite équipe de bûcherons partie travailler de l'automne 1938 au printemps 1939 dans une coupe de bois reculée de la forêt de Berignone - qu'il connaissait bien car il y fut partisan. Un récit que ne traverse aucun événement marquant et qui, seulement impacté par les saisons, décrit dans tous ses détails le travail et la vie rudimentaire des protagonistes, illustrant indirectement les mœurs et les coutumes de la Maremme rurale toscane.

L'auteur, dans une perception sensible et minimaliste de la réalité bien loin du naturalisme - comme des romans champêtres de George Sand au siècle précédent qui n'ignoraient pas les tensions sociales et rendaient la spécificité d'un langage paysan (2) -, ne cherchait nullement à écrire une chronique sociale. Il tentait de traduire une "vérité plus profonde, en quelque sorte métaphysique", de rendre une sorte de conscience "subliminaire" qu'il qualifiait de "sentiment poétique de l'existence" (3). Les notions du temps qui s'écoule et de la réalité concrète de la vie à son niveau le plus simple sont en effet primordiales dans Il taglio del bosco / La coupe de bois , les menus détails, les "vibrations" subtiles et obscures de la réalité épousant pour Carlo Cassola "le fait brut d'exister".

 

2) Notamment dans Les maîtres sonneurs où elle s'attache à décrire la corporation itinérante des joueurs de cornemuse mais aussi la vie des "bûcheux" et des muletiers du Berry

3) https://www.lemonde.fr/archives/article/1964/06/27/deux-ecrivains-s-expliquent-carlo-cassola_3050183_1819218.html

 

La mort soudaine de sa femme en 1949 vint bouleverser l'écriture de cette nouvelle et quand l'auteur se résolut à la terminer après plusieurs mois d'interruption, son sujet de départ passa au second plan, la représentation des sentiments, de la douleur d'un héros venant de perdre précocement et brutalement son épouse comme lui (4) s'y affirmant comme l'élément central. Et la vie quotidienne dans cette coupe de bois, comme les paysages et les conditions climatiques, devint un simple décor signifiant, les autres protagonistes apparaissant désormais à ses dires comme une sorte de miroir renvoyant au héros le reflet de sa vie passée, de son bonheur perdu (5). Toutes choses lui permettant de suggérer et d'éclairer avec une grande acuité et justesse la souffrance de ce jeune veuf n'arrivant pas à faire son deuil.

 

4) L'aspect autobiographique s'y offre de manière ostensible, la femme décédée du héros étant surnommée Rosa comme celle de l'auteur et étant morte également d'une maladie des reins après 9 ans de mariage

5) Cassola raconte lui-même la genèse de sa nouvelle :

"Ne avevo scritto una metà, quando un avvenimento che sconvolse la mia vita mise in crisi anche la mia letteratura. Presi in odio il mio passato, la mia educazione estetica, tutto quello che avevo scritto fino ad allora; trovai mostruosa una poetica che isolava l'emozione esistenziale facendone l'unico oggetto dell'espressione letteraria. Così, quando alcuni mesi dopo ripresi a scrivere Il taglio del bosco, conservai la vicenda esistenziale del taglio, ma ne feci il semplice sfondo di un sentimento particolare, il dolore del protagonista per la morte della moglie. L'esistenza dei compagni, quest'esistenza fatta di nulla, di gesti quotidiani, di discorsi quotidiani, è per Guglielmo lo specchio della sua condizione precedente, lo specchio della sua felicità perduta"

(Wikipedia, d'après Ferdinand Camon, Il mestiere di scrittore. Conversazioni critiche, Garzanti, Milano, 1973, pp. 90-91)

 

 


 

Bûcheron de 38 ans, Guglielmo a perdu sa femme Rosa à la fin de l'été. Sa sœur Caterina, remplaçant leur mère, s'occupe avec dévouement de ses deux petites filles tandis que, désespéré, il est allé acheter une coupe de bois pour quitter son foyer et échapper à son chagrin en se grisant de travail dans une lointaine vallée de montagne. Il part donc dans cette forêt isolée avec l'équipe qu'il a recrutée, regroupant sous la direction de Fiore, chef expérimenté, Amedeo son cousin, le jeune Germano et Francesco, embauché surtout en prévision des longues soirées hivernales et des journées de pluies - du fait de son imperturbable bonne humeur et de  ses talents de conteur.

Et pendant cinq mois les cinq hommes vont ainsi travailler et vivre ensemble dans une nature sauvage comme dans la cabane rudimentaire qu'ils construiront dès leur arrivée, Guglielmo restant le dernier pour assister le charbonnier qui le rejoindra pour achever le travail (en transformant en charbon le reste du bois coupé une fois celui destiné au soutènement d'une mine transporté) ...

 

 

Dans cette sombre nouvelle rédigée au passé simple dans une langue simple, précise et économe, Carlo Cassola adopte une construction cyclique des plus efficaces. Le dixième et dernier chapitre - dans lequel le héros revient une fois son travail terminé - referme en effet la boucle en faisant écho au premier où il revenait de Massa après avoir acquis cette coupe de bois, ce que souligne la répétition de son passage par la bottega de sa tante Lina. Entre ces deux chapitres : aucune évolution, aucun apaisement pour le héros qui s'enfonce à chaque fois symboliquement dans la nuit pour rentrer chez lui.

Et au sein de cette boucle sans espoir nous suivons chronologiquement l'avancement du travail dans la coupe, du transport du matériel et de la construction de la cabane au départ une fois le chantier totalement achevé. Un récit linéaire dont seules les digressions plongeant dans les tristes pensées et souvenirs assaillant Guglielmo interrompent le cours.

 

Le choix d'une narration à la troisième personne permet à l'auteur d'aborder les sentiments du héros de différentes manières complémentaires. Car si ces derniers sont parfois seulement suggérés au travers des commentaires du narrateur extérieur et des dialogues (6), ils sont analysés avec lucidité et finesse quand ce dernier nous fait pénétrer dans le monde intérieur de Guglielmo en se plaçant de son point de vue.

Les paysages et les saisons épousent de manière expressionniste les états d'âme du héros ou marquent son décalage avec le monde. Et, dans son village de San Dalmazio comme dans cette coupe forestière, la vie de Guglielmo semble enfermée dans une sorte d'étroit triangle surplombant le torrent du temps qui passe, que se soit entre l'église et la "bottega" ou entre les quelques arbres solitaires laissés par les bûcherons.

6) Ex : “-Le bimbe stanno bene, -disse Caterina, vedendo che il fratello non glielo domandava.”

Poi Irma volle far vedere al babbo i suoi quaderni. Guglielmo li esaminò in fretta, e si limitèo a dire alla bimba che era stata brava.”

 

 



La moglie ora non parlava piú, ma guardava spesso ansiosamente verso la porta, come se temesse di veder entrar qualcuno … Oppure, per lungo tempo, fissava il marito, e sembrava volesse dir qualcosa ; poi, come sfiduciata di poter essere capita, voltava il viso verso la parete, e due lacrime silenziose le scorrevano lungo le guance.
(p. 52)

Il taglio del bosco / La coupe de bois  témoigne du mode de vie rural d'une époque et plus particulièrement du travail des bûcherons et des charbonniers. Et, au-delà du récit totalement dénué de pathos de la difficulté d'un deuil personnel, ce sont la solitude foncière de ce héros pourtant aimé et entouré et ses tourments existentiels résultant de sa confrontation concrète au mystère de la mort qui semblent intéresser l'auteur – une énigme dont sa femme, le regardant fixement dans ses derniers instants sans pouvoir articuler une parole, avait peut-être la réponse. Où est-elle maintenant et que voulait-elle lui dire ? Cette dernière question semble obséder Guglielmo et constituer son “pire tourment”.

Carlo Cassola (avec sans doute une grande honnêteté face à son propre ressenti) n'hésite pas à nous dépeindre un héros certes plein de tristesse mais surtout de rancoeur contre l'injustice de la vie. Un héros prisonnier de son malheur s'enfermant dans une attitude victimaire alors qu'il a pourtant la chance d'être aimé par ses filles et sa soeur et entouré d'amis. Guglielmo est ainsi tellement centré sur lui-même qu'il en devient envieux et mesquin, et que, malgré sa profonde souffrance, il ne fait naître chez le lecteur que peu de compassion.

Ce héros n'arrive pas en effet à soutenir ses jeunes enfants car ils lui rappellent douloureusement un passé heureux, ni à faire preuve de reconnaissance envers sa soeur qui se consacre à eux (7). Lors des veillées dans la cabane, il refuse de jouer aux cartes avec ses compagnons, des compagnons qu'il jalouse car lui offrant là encore l'image d'un bonheur passé. Les voir notamment si contents d'être arrivés à la fin de leur travail et heureux de retourner chez eux l'attriste, il lui semble même qu'ils lui ont “volé quelque chose”. Et il se projette mentalement avec douleur dans  Amedeo, imaginant son joyeux retour dans sa famille.

Sans générosité ni compassion, il s'estime même plus à plaindre que ce pauvre charbonnier au métier si dur, veuf comme lui mais seul au monde, car il a eu la chance de vivre une trentaine d'année avec sa femme alors que la sienne est morte au bout de neuf ans de mariage :

«In fin dei conti, quello era stato venticinque o trent'anni insieme alla moglie, mentre a lui era morta dopo nove. Questa era la differenza, a tutto vantaggio del carbonaio, e lui non poteva prenderne in considerazione altre.»

 

Et dans un très beau final où il touche le fond du désespoir et invoque sa femme en se tournant vers l'au-delà, ce héros qui se serait bien laissé glisser dans la mort - ne serait-ce que pour avoir enfin réponse à cette question qui le hante - refuse finalement la tentation du suicide (8). Craignant peut-être l'interdit religieux mais obéissant surtout à cette pulsion de vie qui fait résister l'homme même au plus profond d'une nuit sans étoiles.

8) Il refuse en effet de rentrer chez lui comme prévu lors de la pause de Noël, un retour qu'attendaient pourtant ses petites filles et sa soeur

9) Une tentation semblant se présenter sous la silhouette obscure d'un homme lui proposant son aide et dont il n'aperçoit que la braise infernale du cigare

 

 

 

 

 

 

 

 

Il taglio del bosco, Carlo Cassola, Einaudi 1963 ( I coralli 172), 96 p.

 

 

 

 

La coupe de bois, traduction de Philippe Jaccottet ( Seuil, 1963), éditions Sillage, 1917, 128 p.

A propos de l'auteur :

http://www.italialibri.net/autori/cassolac.html

 

EXTRAITS :

II

p.32/33

(…)

Tac : una scaglia schizzò via. Tac : la tacca bianca si approfondí. Ancora qualche altro colpo di striscio, poi Guglielmo cominciò a lavorare di taglio. A ogni colpo saltavano via schegge, frammenti, bricioli. La lama si conficcava puntualmente nel taglio ; Guglielmo la liberava con uno strattone, tornava a rialzare l'accetta e questa ricadeva nello stesso punto. Ancora dieci, docici colpi, e il pino crollò, restando tuttavia attaccato al ceppo per una sottile lingua filamentosa. Un paio di accettate ancora, e la tenace fibra fu recisa. Il pino si assestò sul terreno. Guglielmo si mise a cavalcioni del tronco e provvide a mozzare i rami e la punta.

Lavorò di lena l'intera giornata, senza occuparsi di quello che facevano gli altri. Di tanto in tanto si raddrizzava per guardarsi intorno, per aspirare il penetrante odore che dà la polpa del legno e, sopratutto, per ascoltare i colpi. Poi tornava ad alzare l'accetta lasciandola ricadere con forza.

Fu l'ultimo ad abbandonare il lavoro, benché fosse in movimento da quindici ore. Mangiava macchinalmente, guardando fisso un punto qualsiasi del capanno, e vedeva mentalmente l'accetta alzarsi e ricadere, alzarsi e ricadere, finché la pianta crollava fragorosamente. Si agitò tutta la notte : in sogno o nel dormiveglia vedeva mulinare la scure.

(…)

 

IV

p. 52/53

(…)

Come uomo, Guglielmo si credeva in dovere di mostrarsi fiducioso : in realtà era accasciato sotto il peso di un destino ineluttabile. E quando il venerdí la moglie ebbe di nuovo la febbre sopra quaranta, non fu sorpreso : se lo aspettava. La moglie ora non parlava piú, ma guardava spesso ansiosamente verso la porta, come se temesse di veder entrar qualcuno… Oppure, per lungo tempo, fissava il marito, e sembrava volesse dir qualcosa ; poi, come sfiduciata di poter essere capita, voltava il viso verso la parete, e due lacrime silenziose le scorrevano lungo le guance. Guglielmo si accostava, le asciugava le guance col fazzoletto, cercava ancora il suo sguardo... ma lei so ostinava a fissare un punto della parete.

Ma cosa mi voleva dire ?” pensava Guglielmo. Ah ! Era un pensiero insopportabile. Si affrettò a rientrare nel capanno.

- Sei stato a prendere il fresco ? - chiese Amedeo.

- Sí.

- Come si stava ?

- Bene... ma ora mi era preso freddo.

- Quando il freddo è cosí, - sentenziò Francesco, - voglio dire il freddo asciutto, si sopporta bene.

- Però tu non ti muovi dal fuoco, -osservò Germano.

- E Fiore dov'è ? - chiese Guglielmo.

- Dorme, - rispose Amedeo.

- Di già ?

- E che altro ci resta da fare ? - disse Germano. - Qui siamo proprio fuori del mondo.

(...)
 

VIII

p. 85/86

(…)

Quella era veramente la prima mattinata primeravile ; aspirò profondamente l'aria, che pareva carica del profumo dei fiori. Il suo sguardo fu attratto da un'ape che ronzava intorno a un cespo di primule. Ronzando, l'animale sembrava esprimere la propria gioia per l'avvento della primavera.
E anche Guglielmo, per un momento, si sentí l'animo colmo di gioia. Era venuta la primavera, e per lui in particolare significava molto, perché con la primavera si concludeva il periodo piú duro del lavoro, ed egli poteva fare frequenti scappate a casa, a godersi un po' la famiglia... Ma subito la coscienza che quest'anno sarebbe stato tutto diverso gli diede una fitta dolorosa. Sí, era cominciato il risveglio della natura, ma per lei non ci sarebbe stato risveglio. Che gioissero l'ape, il fiore, il bosco, gli altri uomini, la natura tutta : a lui, Guglielmo, era vietato prender parte a questa gioia.
Le cure del lavoro distrassero Guglielmo dai suoi tristi pensieri ; ma nei giorni succesivi, ogni qual volta il suo animo era colpito da qualche aspetto di quel generale risveglio della natura, provata una stretta dolorosa.
Egualmente lo rattristava la vista dei compagni contenti di esser giunti alla fine del lavoro. Specialmente Amedeo e Germano erano, si vedeva, felici di tornare a casa. (...)

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article