Plasmas, de Céline Minard

Publié le par Emmanuelle Caminade

Plasmas, de Céline Minard

Céline Minard ne faillit jamais à sa réputation de se renouveler à chaque titre et ce douzième livre s'avère très différent des deux précédents qui m'avaient enthousiasmée. Elle nous emmène en effet bien loin du Grand jeu (2015), journal de survie d'une alpiniste en milieu extrême à la dimension philosophique et métaphysique, ou de Bacchantes (2019), hilarante parodie d'un film de braquage aux allures de fête bachique.

Avec Plasmas - terme renvoyant à cet état gazeux instable constituant la quasi totalité de l'univers visible –, Céline Minard explore le filon du roman de science-fiction tout en se laissant aller à de longs vagabondages oniriques. Et elle nous propose une forme éclatée plus proche d'un recueil de nouvelles dont les dix petites histoires gravitent avec cohérence autour d'un même thème, comme "les modules d'un seul corps mouvant" (1).

 

 

Elle nous transporte ainsi dans des lieux et des époques différents, variant les focales pour imaginer cette évolution de notre terre dont notre monde actuel porte les germes, non sans envoyer quelques clins d'oeil aux changements occasionnés par la Pandémie. Affrontant l'inconscience humaine et le progrès scientifique avec une certaine nostalgie pour le monde d'avant, et avec des préoccupations très écologiques, elle nous plonge dans tous les états du temps et de la matière en transcendant les frontières et mêlant avec jubilation le virtuel au réel. Et ses délires méditatifs nous amènent à tirer des leçons pour notre monde contemporain.

De son écriture nerveuse et hyper précise, technique et inventive mais aussi riche d'images poétiques, elle fait "danser" ses histoires "au bord du monde", comme nous l'annonce l'épigraphe d'Ursula K. Le Guin. Des histoires en suspens, qui n'ont pas "une vraie fin" mais semblent "recommencer sans arrêt", intégrant nombre de motifs récurrents et ayant pour centre l'humain, le vivant : sa capacité de destruction mais aussi de résistance et de transformation.

1) Voir l'interview de Céline Minard : ici

 

 

De tout temps les acrobates suspendus dans les airs, dominant leur peur du vide, ont bravé la gravité, et En l'air nous fait judicieusement pénétrer dans l'univers suspensif imaginé par l'auteure pour ce dernier roman.

Munis de leur «gaine électro-organique» sans laquelle aucun humain n'est plus autorisé à circuler, deux hommes et une femme s'envolent sur leurs agrès et trapèze face à trois mille «Bjorgs» traquant la faille, venus observer et analyser la mécanique de leurs mouvements enregistrés par de performants capteurs. Mais ces sortes de robots-champions ne pourront jamais mesurer, quantifier toutes les sensations humaines participant de ce fragile équilibre et faisant la beauté de leur art.

Dans le très poétique Boules à neige, alors que la Terre et même la Lune et Mars n'ont pas résisté au génie autodestructeur de l'espèce humaine, Hélène, survivante terrienne, cherche à faire comprendre à ses jeunes étudiants nés dans l'espace interstellaire toute l'émotion, toute la nostalgie qu'elle nourrit pour cet Eden perdu.

Aux côtés d'un technicien de laboratoire, nous dégageons ensuite minutieusement de sa gangue un coléoptère du pléistocène tombé dans le piège écologique de ce "Tar pits" ("puits de goudron") de la Brea (2), imaginant avec lui tout un monde vivant disparu. Embauché par un paléontologue travaillant sur l'ère glacière, il mettra au jour un étrange «fossile du futur», semblant tout droit sorti d'un film de science-fiction.

2) https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Brea_Tar_Pits

 

2001 odyssée de l'espace, Stanley Kubrick

A soixante ans Adrien s'est retiré du monde des affaires. Dans la douceur luxueuse de l'hôtel Casino Baldo, il s'adonne avec bonheur à la chasse aux papillons, retrouvant ses rêves d'enfant. Et il sera emporté par la richesse et la beauté infinies de ce petit monde de la métamorphose.

Grands chiens se déroule en Russie dans le monde d'après les grands incendies. Aliona a mis au point dans son laboratoire - où elle cultive des cellules souches de loup sibérien et de cheval iakoute - une espèce de chevaux miniatures : cinquante coursiers destinés à résoudre les difficultés des transports liées à l'épuisement des ressources. Mais un étrange plasmode va mettre accidentellement fin à «l'âge d'or des petits chevaux» en favorisant l'émergence de monstres génétiques.

Avec une touche d'humour, Céline Minard nous fait partager les expériences de Duane, pisteuse accomplie apprenant les vocalises «grognées-grondées» des Grands singes pour entrer dans leur société. Et, au travers de son héroïne, elle s'étonne de leur rapide et imprévisible faculté d'adaptation, de leur «plasticité», s'émerveillant plus encore de la «science de la vie» dont ils font preuve.

Dian Fossey au milieu des gorilles

Dans Les ricochets, le jeune Garwan, champion dans cette «branche de la physique appliquée» qu'il considère comme un art, vit sur cette immense Ostiah lancée «dans un espace en expansion continue» après la dernière phase de l'histoire terrestre (ayant conduit à la disparition des «homina» et des «homo gros cerveau»). Un monde où, des «animons» au «drachon», de multiples et étonnantes formes de vivants se côtoient en bonne tolérance.

Suspendu à la branche d'un arbre, trente mètre au-dessus du sol, Uiush abrite dans son pelage une foule de pyralides. Et, choisissant sa forme, il se fond peu à peu «dans le mouvement continu de l'arbre».

La tempête est l'ordinaire de cette Frontière qui fascine Rhif, un «Arrecif» des Grands fonds. Force souveraine, elle plaque et tourne autour d'un «moyeu incommensurable» et renvoie les vivants à leurs limites, dans «la gelée originaire».

Dans la nouvelle conclusive, la Kuïn apparaît au milieu de sa toile comme un organisme réflecteur de toutes les projections mentales, ouvert à tous les mondes possibles. Sorte de déesse divinatoire, elle nous avertit de ce qui menace cette vie si précieuse: «Les faits sont là mais ne sont pas visibles tant qu'on ne les voit pas.»(3)

Et Céline Minard s'est justement attachée dans ce livre à nous les faire voir.

3) Une assertion rejoignant la célèbre citation de Péguy : «Il faut toujours dire ce que l'on voit : surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l'on voit.» (Notre jeunesse)

Plasmas nous projette ainsi dans un avenir et un passé lointains, décrivant divers états d'un univers mouvant, l'auteure nous alertant avec fantaisie sur les dérives destructrices possibles de notre monde, tout en rendant un émouvant hommage au vivant dont elle souligne les capacités d''adaptation étonnantes. Mais j'avoue que, peu portée sur la science-fiction, j'ai eu un peu de mal à entrer dans cet univers malgré la beauté de l'écriture de l'auteure, l'aspect essentiellement descriptif et paradoxalement assez statique de toutes ces nouvelles, ne m'y ayant pas aidée.

 

 

 

 

 

Plasmas, Céline Minard, Rivages, 18 août 2021, 160 p.

A propos de l'auteure :

https://fr.wikipedia.org/wiki/C%C3%A9line_Minard

EXTRAIT :

On peut lire les premières pages :  ICI

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Publié dans Fiction

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