De parents inconnus (L'improbable enquête), de Danièle Laurin
Se déroulant das un contexte franco-allemand récent tout en remettant en mémoire diverses offensives militaires et vies de héros du troisième Reich, De parents inconnus (L'improbable enquête) s'avère un récit passionnant à plusieurs titres qui ne ne témoigne pas seulement de ces multiples et émouvantes histoires d'"enfants de la guerre" en recherche d'une filiation énigmatique.
Danièle Laurin y interroge aussi en effet, non sans logique et en s'appuyant sur une impressionnante bibliographie, la part d'irrationnel faisant irruption dans nos vies, mettant en lumière le rôle et la force de l'intuition, «cette voix intérieure venue d'on ne sait où». Et, combinant comme Simenon sensibilité et raisonnement, elle redonne ses lettres de noblesse à «une forme de pensée conjecturale».
Elle exalte par ailleurs la révolution introduite par l'informatique dans les recherches en enfourchant avec enthousiasme "la plus high-tech des montures", cette «machine chercheuse» qui grâce à ses connexions inédites et aux lectures qu'elles suscitent, démultiplie à toute allure les pistes et favorise des découvertes «sérendipiennes»(1). Des découvertes qui ne surgissent aucunement d'un hasard ex nihilo, le "je" du chercheur qu'il perçoive, trie, analyse, interprète ou devine, restant en permanence aux commandes.
1) https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9rendipit%C3%A9
Tout commence en avril 2005 quand cette universitaire enseignant l'allemand et la traduction assiste à Berlin à une Conférence des Enfants de la Guerre (2). Outre le journaliste Jean-Paul Picaper, co-auteur d'un livre riche de témoignages d'enfants maudits nés de relations intimes avec l'ennemi durant la deuxième guerre mondiale, elle y rencontre nombre de descendants d'inconnus, écoutant des histoires de vie qui offrent toute une palette de figures possibles.
Personnellement impliquée, ayant elle-même une mère dont le passé présente des zones d'ombre, l'auteure voit son attention d'emblée attirée par une certaine Michelle C. lui offrant peut-être une sorte de miroir révélateur. Elle se lance alors avec beaucoup d'audace et d'allant, et avec un sérieux non exempt d'autodérision, dans une enquête combinant imagination et rigueur pour élucider le mystère des origines de cette dernière. Elle tente ainsi de reconstituer une histoire familiale improbable en élaborant des scénarios possibles. Les Mathématiques ne nous disent-elles pas que «l'improbable n'est qu'un cas limite du possible» ?
2) http://anegfrance.free.fr/ENGUER0J.HTM
«J'avançais en illustrant par une démarche très construite, intuition et raisonnement conjugués, la solidité des thèses de la psycho-généalogie.»
L'auteure se focalise ainsi sur des concours de circonstances aux ramifications multiples, relevant toute une succession de faits troublants plus ou moins signifiants et notant des ressemblances ou des échos par delà le temps et l'espace. Elle scrute surtout les couches profondes de la psyché en s'appuyant sur les travaux d'Anne Ancelin Schützenberger autour du concept de cette "mémoire transgénérationnelle" (3) dont nous serions inconsciemment porteurs, la vie de nos ancêtres resurgissant parfois en nous. Une "mémoire atavique" se référant confusément à un autre niveau de conscience.
Et, menant ses investigations et glanant des recoupements en cascade en utilisant essentiellement le fabuleux outil des moteurs de recherche, elle mettra en place une véritable mosaïque aux tonalités variées mêlant signaux forts et faibles : tout un faisceau de présomptions et de conjectures. Une enquête qui se doublera sur la fin d'un travail personnel d'archéologie, son cheminement au travers de l'histoire (supposée) de Michelle s'avérant peut-être un détour pour revenir à la sienne.
3) https://www.valerie-duchaussoy.fr/actualite/c-est-quoi-la-psychogenealogie/
Danièle Laurin réussit ainsi dans la première partie du livre à faire partager au lecteur l'excitation de ses recherches et notamment de son «orpaillage internautique», le muant en détective en herbe ou en chercheur d'or. Et la seconde partie de son récit, plus courte et plus théorique, n'en est pas moins exaltante, de nombreux auteurs souvent inconnus d'elle venant valider a posteriori sa démarche innocente et spontanée.
Ses hypothèses ayant été considérées comme «des élucubrations historico-mystiques», l'auteure finit par lâcher prise sur cette double histoire : celle de Michelle et la sienne, «intimement liées et provisoirement sans épilogue». Mais deux ans après, dans le cadre d'un mémoire universitaire, elle aura à cœur de revenir sur cette trépidante enquête de quelques semaines pour en restaurer la scientificité qui lui dut déniée.
Relisant la chronologie de ses découvertes et analysant à rebours cette expérience vécue, elle s'attachera à en retracer le cheminement intellectuel. A saisir les mécanismes internes qui y furent à l'oeuvre, les aiguillages et les enchaînements significatifs. Elle montrera ainsi de manière très convaincante qu'à partir d'indices épars on peut remonter à une réalité non directement expérimentale. Que «la difficulté à produire des preuves matérielles n'infirme pas nécessairement une démonstration» et qu'un faisceau de présomptions, dans sa cohérence, peut avoir force de preuve.
Et elle sera profondément aidée en cela par la découverte, pour elle capitale, d'un livre d'une doctorante belge sur la méthode abductive chez Simenon qui aborde les différentes formes pouvant prendre la logique. Un livre se référant de plus à d'autres approches de la notion d'indice faites par l'Italien Carlo Ginzburg ou aux travaux du philosophe américain Charles Sanders Pierce promouvant le "guessing instinct", cette capacité à deviner, et " l'insight", cet «éclair intérieur soudain traversant l'esprit quand les pièces du puzzle s'assemblent». Tandis que sa rencontre avec l'oeuvre du philosophe allemand logicien et métaphysicien Gotthard Gunther l'entraînera à nouveau vers l'inconnu, dans un projet de traduction qui se concrétisera en 2015.
Un livre qui, en légitimant «la part d'émotionnel et d'intuitif jouxtant souvent la rationalité», rend justice à «la double richesse de notre mental» et à une «subtile science de l'individuel».
De parents inconnus (L'improbable enquête), Danièle Laurin, La ligne d'erre, octobre 2021,150 p.
(On peut commander le livre chez l'éditeur : ICI ou dans quelques librairies du Sud-Ouest énumérées sur son site)
Danièle Laurin est professeur agrégé d’allemand. Elle a enseigné dans le secondaire puis à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (Langues étrangères appliquées et Master des métiers de la traduction). Depuis longtemps impliquée dans les relations franco-allemandes au niveau local elle a déjà publié une traduction de l’autobiographie du philosophe allemand Gotthard Günther (Editions Petra 2015).
(La ligne d'erre)
On peut lire les premières pages (p.5/13) : ICI