Life sentences /Parfois le silence est une prière, de Billy O'Callaghan

Publié le par Emmanuelle Caminade

 

Le titre original, Life sentences (terme juridique employé pour désigner les peines de prison à vie), frappe d'emblée, résumant symboliquement en une brève formule-choc le destin des personnages de cette saga familiale irlandaise se déroulant sur trois générations, du milieu du XIXème siècle au début des années 1980. Une dure sentence pour une lignée bâtarde pauvre et peu instruite n'ayant de ce fait aucun moyen d'échapper à sa misérable condition. Une sorte de malédiction se perpétuant de génération en génération.

L'éditeur français (sous la suggestion de la traductrice) lui a malheureusement préféré Parfois le silence est une prière (1), un titre apprêté s'inspirant hors contexte d'une scène particulièrement marquante du roman (2) mais qui, nullement signifiant à mon sens de celui-ci, ne rend pas non plus compte de l'écriture poétique de Billy O'Callaghan reposant sans artifices sur la simplicité et la justesse de ton. Une écriture que Carine Chichereau – qui avait déjà traduit son second roman Les amants de Coney Island – sert par la suite magnifiquement, rendant bien le rythme et l'atmosphère, la fluidité du phrasé comme la précision des images.

1) Le titre anglais (dont le pluriel n'est pas anodin) sonne bien, s'avérant moins technique que l'équivalent français, mais "Peines perpétuelles", par exemple, aurait mieux convenu, même si l'on peut juger ce titre un peu dissuasif. Quand un titre  participe à ce point du sens du livre, s'en éloigner si radicalement à seule fin de mieux susciter l'intérêt du lecteur me semble une trahison

2) «Puisque personne ne disait rien, j'ai demandé s'il fallait prononcer une prière, mon père a soupiré et répondu que j'en dise une si je voulais, si cela pouvait m'aider à me sentir mieux, mais que pour lui, si jamais un dieu nous écoutait, un dieu qui se soucie un peu de nous, le silence pouvait s'entendre à l'égal des mots.(...) et nous sommes demeurés ainsi un moment (…) laissant le silence être notre prière, ainsi que l'avait suggéré mon père» (III, p. 256)

 

 

"Traduttore traditore", la célèbre locution italienne ici infirmée peut se muer par contre  en "Editore traditore". Car, outre ce titre malvenu, l'édition française ne respecte pas les choix initiaux de l'auteur, ne reproduisant pas l'arbre généalogique qu'il avait placé en exergue du livre autant pour aider le lecteur à se repérer que pour donner officialité, légitimité à cette famille. Cet arbre des ascendants de Gina Murphy, épouse Liam O'Callaghan et mère de l'auteur - ce que nous apprennent les remerciements (eux aussi supprimés) de ce dernier en fin d'ouvrage mentionnant nominativement ses parents - intègre en effet le père ayant engendré cette lignée bâtarde, même s'il n'a pas reconnu ses enfants nés hors mariage.

Le lecteur français est de plus privé des renseignements donnés dans ces "Acknowledgments"  sur la genèse du roman. Cette fiction donnant chair à l'histoire de la famille de l'auteur en mettant en scène ses membres sous leur véritable nom et dans laquelle il apparaît lui-même enfant, s'appuie en effet sur une somme considérable de faits et de vérités lui ayant été transmis au cours des années, ainsi que sur de longues recherches effectuées par sa soeur et son compagnon.

Disparue aussi la dédicace reconnaissante à sa grand-mère qui lui inculqua le goût des histoires (3), comme si tout était fait pour effacer les traces reliant  ostensiblement ce  roman de lignage à l'histoire personnelle de l'auteur ! Et loin de mettre en avant le fait que Life sentences soit tiré d'une histoire vraie, l'éditeur (que l'on ne peut accuser de racolage) n'indique que dans une discrète incise en quatrième de couverture qu'il s'agit de la famille de l'auteur : "Dans ce triptyque romanesque, Billy O'Callaghan retrace trois générations d'une même famille – la sienne – pour nous raconter trois moments charnières de l'histoire irlandaise : le lendemain des grandes famines, la veille de l'indépendance et l'aube de la modernité", affirme-t-il ainsi, sa présentation détournant étonnamment par ailleurs le projet, pourtant manifeste, de ce dernier. Et on en vient à se demander si le rédacteur de la quatrième de couverture a vraiment lu le livre !

 

Car ce qui frappe au contraire dans ce roman, c'est que les conséquences de la Grande Famine, tout comme la guerre de 1914 dans laquelle s'engagèrent nombre d'Irlandais, ne constituent qu'un arrière-plan, certes parfois très présent mais uniquement abordé au travers du ressenti et des traumatismes intimes des personnages. Tandis que les près de trois ans de guerre d'indépendance de l'Irlande (1919/2021) ne sont, eux, jamais évoqués et que l'on sent bien légèrement poindre la modernité, rien ne transparaissant du contexte politico-économique et assez peu de choses ayant changé sur trois générations dans l'environnement et le mode de vie des héros.

Ce sont en effet essentiellement les épreuves subies dans leur vie quotidienne par ses ancêtres et la manière dont ils ont survécu - notamment à la perte d'êtres chers - qui intéressent Billy O'Callaghan dont les personnages se sont construits dans le malheur et la souffrance. Leurs luttes pour survivre semblent même faire partie de son propre ADN, et ce roman lui tenant particulièrement à coeur s'inscrit dans une recherche des origines s'incarnant d'emblée dans son héros Jer dont l'aura irradie tout l'ouvrage  : «Nous attachons du prix aux origines. Et quand un nom n'est rien qu'un nom, ainsi que le mien, sans profondeur ni fondation, alors nous ne savons  pas vraiment identifier les gens. S'il ne sait qui il est ni d'où il vient, un homme reste un mystère pour lui-même.» (I, p. 17)

Au-delà de cette quête personnelle primordiale de racines, le projet de l'auteur s'avère moins d'éclairer l'histoire récente de son pays que de redonner sens et dignité, beauté, à ces petites vies ordinaires pourtant remarquables condamnées à perpétuité à la misère, ses ancêtres étant aussi représentatifs de toute une classe sociale pauvre et peu éduquée. Il magnifie ainsi la dimension humaine de ceux qui ont été privés de voix, ce qui est l'apanage de la littérature.

Et on peut sur ce point rapprocher ce livre du récent Mississipi (sous-titré "la geste des ordinaires ") où Sophie G. Lucas revisite son propre arbre généalogique (mais sans juger important, contrairement à Billy O'Callaghan, de le signifier au lecteur) pour redonner dignité, au travers de ses ascendants, à tous ces "ordinaires" qui de génération en génération semblent s'être transmis comme héritage cette idée lutte.

3) "To Nan ("Mamie") with the greatest admiration". Ce roman est ainsi dédié à la grand-mère de l'auteure (Nellie), conteuse hors pair qui lui raconta dans son enfance beaucoup d'histoires, notamment sur la vie de soldat et les voyages de son père Jer 

Clear Island

Nancy Martin, seule rescapée de la famille suite à la Grande Famine, quitte sa petite île natale de Clear. Ne sachant ni lire ni écrire, elle trouve du travail dans une ferme près de Cork et, innocente en la matière, se laisse séduire à dix-neuf ans par le beau jardinier Michael Egan. Un amour dont naîtront deux enfants illégitimes. Après avoir dû se prostituer pour survivre, elle réussira à quitter l'enfer de l'asile des pauvres (4) et à récupérer ses enfants pour les élever dignement en travaillant dans une manufacture et louant une modeste maison à Douglas pour les abriter. Si l'aînée, mariée à un homme ayant sombré dans l'alcool, ne connaîtra pas le bonheur, Jer devenu soldat épousera une gentille fille qui lui donnera six enfants. Nellie, la plus jeune et la plus proche de son père (5), après avoir accouché d'un bébé mort au bout de deux heures, aura une fille et un premier petit-fils, Bill, qu'elle bercera de nombreuses histoires...

 

Illustrant l'idée d'enfermement et de perpétuité incluse dans le titre original, Billy O'Callaghan structure son roman en trois parties non chronologiques qui, recourant à de nombreux flashes back, se complètent et se recoupent mutuellement, l'enfermant ainsi dans une sorte de circularité répétitive (6). Sans suivre l'ordre générationnel, il y donne successivement la parole à trois héros qui reviennent sur leur vie passée. Car lorsqu'ils vivaient ces durs événements, ils n'avaient «ni le temps ni l'espace pour réfléchir», le simple fait de tenter de s'en sortir absorbant toute leur énergie. Jer s'exprime ainsi le premier à mi-parcours de sa vie en 1920, suivi de sa mère Nancy âgée de près de soixante-ans en 1911, et enfin de sa fille Nellie peu avant sa mort en 1982.

La première partie s'ouvre sur le désespoir et  la colère de Jer contre son beau-frère juste après la mort de Mamie (surnom donné à sa soeur Mary). L'auteur nous le montre rapidement enfermé dans une cellule «avec rien d'autre à faire que penser», l'obscurité rendant paradoxalement les choses plus claires. Et les traumatismes de la Grande Guerre - qu'il a vue de très près et dont certains souvenirs le hantent - semblent finalement moindres que sa douleur face à l'injustice du destin de cette sœur aimée, l'amour l'unissant à sa femme et ses enfants peinant à atténuer sa souffrance. Dans la partie centrale, la parole de Nancy - qui fut peu loquace sur son passé - semble avoir été libérée par l'annonce de la mort de Michael Egan. Evoquant la beauté cruelle de son île natale «avec ses rivages, ses chemins, les visages de tous les disparus», elle y retrace une vie tombée sous l'emprise de ce séducteur, qui sera rédimée par l'amour porté à ses enfants auxquels elle se dévouera. Quant à Nellie, elle reste toujours très marquée, de longues années après, par la mort de son premier enfant, mais aussi rassérénée par l'amour que lui portait son mari et qu'elle vouait à son père.

 

Et la philosophie de la vie de Jer, constamment distillée non seulement dans la première partie mais indirectement dans la dernière, tout comme son rapport complexe (7) à la religion - étonnant pour un homme né en Irlande en 1874 et n'ayant que peu d'instruction -, domine tout ce roman : un personnage auquel l'auteur semble parfois s'être identifié : "J'ai l'impression de très bien connaître Jer à cause de toutes les histoires que j'ai entendues sur lui. C'est comme s'il avait marqué nos vies de son empreinte, même s'il était mort bien longtemps avant ma naissance", dit-il ainsi  dans son interview parue sur Diacritik.

4) Dans ces  "workhouses" ou "asiles des pauvres" qui existèrent jusqu'au début du XXème siècle, on recueillait les indigents dans des  conditions de vie  épouvantables, et les violences de tout ordre y étaient très nombreuses.

5) Qui aux dires de l'auteur "partageait les secrets de son âme"

6) Les traits de caractère de Jer, mélange d'impulsivité et de réflexion, se manifestant dans la première partie se retrouvent  ainsi annoncés dans la deuxième par la mère  parlant de son jeune fils, la vie de Nancy déjà évoquée dans la première est reprise avec plus de détails dans la seconde, tandis que dans la troisième Nellie revient sur la vie de son père... Et les épreuves et les peines semblent  se répéter à l'infini dans les trois parties

7) Il prie ainsi "de temps en temps, ne serait-ce que pour la consolation", la religion "étant inscrite en [lui] à la manière des anneaux concentriques d'un arbre" (I, p.35). Mais la plupart du temps il peste contre l'Eglise et tient des propos de libre-penseur doutant de l'existence d'un Dieu se souciant des hommes

Mémorial de la "Grande Famine" en Irlande à Dublin

«Il n’y a pas de commencement, m'a dit mon père un jour, et il n'y a pas de fin. Voilà son expérience, jusqu’à ce que nos cœurs cessent de battre, il n’existe que ce qu'il y a avant ce moment, et c’est un temps de guerre et rien d’autre.» (III, p.266).

Aussi est-ce dans l'entre-deux de cette vie serrée entre naissance et mort, dans le combat incessant mené par ses personnages que Billy O'Callaghan nous entraîne. Et il embrasse ces trois générations entretenant entre elles des liens affectifs très forts (8) comme un tout, une construction familiale inscrite dans la durée à l'image de cette maison de Forge View à Douglas ayant vu naître la plupart des membres de sa famille et mourir quelques uns, ou de ce feu allumé au cours des ans dans cette cheminée les ayant si souvent réchauffés. Un tout narré par une voix unique, même si elle se démultiplie en trois "je".

Les voix narratives des différents héros, confessant dans un monologue intime leurs réflexions et nous ouvrant avec sincérité leur coeur, s'expriment avec précision et clarté dans une langue simple et poétique qui, curieusement, ne révèle nullement leur origine sociale ou géographique (9). Tout en traduisant leurs pensées et leurs émotions au plus près avec beaucoup d'authenticité, elles prennent paradoxalement avec le recul du temps une tonalité surplombante, universelle et atemporelle ayant «quelque chose à voir avec les vastes ondulations de la terre ou le flot du ciel au-dessus d'elle». A travers elles, c'est la voix de la famille que l'on entend, celle du sang, ou peut-être même de ce feu devant lequel beaucoup ont ruminé secrètement leurs pensées et qui fut une sorte de témoin de leurs histoires (10). A moins que ce ne soit la voix du vent que Jer aimait écouter petit, tissant sur elle des récits, un lignage lui donnant identité. Et cette voix intérieure étrange exprimant les sentiments les plus profonds de l'homme résonne en nous avec une intensité émouvante et envoûtante.

8) Nancy fortement liée à ses deux enfants, Jer à sa soeur aînée qui fut pour lui comme une seconde mère, Nellie à son père et à sa fille Gina ...

9) Tous formulent avec aisance leurs pensées les plus profondes, sans trace du parler populaire qui devait être leur, ni d'accent ou de gaélique chez Nancy qui, analphabète, trouve étonnamment les mots pour formuler son ressenti

10) Jean-Simon Ottavi donne ainsi voix au feu dans son roman Le silence des fantômes : " Je suis le Témoin et ton regard de paix et d'abandon dessine en moi ton histoire"

 

Ces épreuves se répétant au fil des générations - qui reflètent le déterminisme de la pauvreté (11) - donnent au roman une tonalité très sombre qu'atténue néanmoins l'exaltation de cet amour puissant unissant les membres de la famille et les aidant à supporter leurs malheurs.

L'auteur décrit surtout les pires moments  mais aussi les meilleurs, les seuls qui subsistent : «Ma vie ressemble à des traces de pas dans un champ enneigé, où beaucoup de détails demeurent dissimulés. Seuls le pire et le meilleur subsistent, ce qui a eu le plus d'impact.» (II, p.91). Sans misérabilisme ni pathos, il se contente de constater la dure réalité, de manière certes précise et concrète mais en évitant de s'appesantir sur certains détails sordides ou insoutenables (12). La mélancolie supplante la noirceur qui se double d'un certain mystère, et ce n'est pas la révolte mais l'apaisement qui l'emporte, dans une acceptation de cette destinée humaine à laquelle on ne peut rien changer, l'auteur dédouanant de toute honte ceux qui ont tenté de survivre dans des conditions misérables, et redonnant du sens à leur vie. Cette dernière n'étant «jamais d'un seul bloc», les héros ont ainsi connu des moments heureux. Nancy, malgré tous ses malheurs, a vécu l'excitation merveilleuse de l'amour quel que fût le déséquilibre des sentiments dans cette relation ayant impacté sa vie et le destin familial. Et elle a trouvé consolation en chérissant ses enfants : «J'écoutais les fauvettes et les linottes mélodieuses gazouiller dans les arbres et les haies au bord de la route (...) et la respiration de mes enfants chéris endormis contre moi. Alors je souriais.» (II, p. 191) Tandis que Jer et Nellie ont eu la chance de connaître un amour réciproque, même si l'amour ne suffit pas toujours face aux malheurs de la vie. 

On goûte les qualités de conteur de l'auteur - sans doute héritées de cette lignée de femmes qui, de Nancy à Nellie en passant par Mamie (inventant la séduisante histoire d'un père mort en héros en Afrique pour protéger sa famille), étaient de remarquables conteuses.  Il n'a pas son pareil pour faire partager au lecteur le ressenti de ses personnages, partager leurs émotions et comprendre leurs pensées et leurs sentiments. Et de sa langue sobre et poétique, imagée et pudique, il est capable de brosser des scènes puissamment évocatrices comme celle de cet enterrement clandestin nocturne d'un bébé mort non baptisé, véritable morceau de bravoure marquant la dernière partie et même le livre tout entier. Et son écriture mélancolique et mélodieuse, sans doute très travaillée, s'écoule avec une facilité semblant naturelle, ce qui est la marque des grands.

Arrachant à l'oubli les choses vécues par ses ancêtres et accordant à ces derniers un paisible repos, les mots de Billy O'Callaghan résonnent ainsi comme un chant des origines, de la perte et de la survie, à l'instar de cette vieille chanson gaélique entonnée autrefois par Nancy après la mort de Michael Egan : «ça parle surtout des choses sur lesquelles on pleure quand on nous les prend. Et comment on vit ensuite avec cette perte. C'est dans la mélodie si ce n'est pas dans les paroles» (I,p.53).

​11) Naissance d'enfants bâtards, jeune fille tombant enceinte, morts précoces - notamment de bébés, abandon du séducteur ou plongée dans l'alcool du mari...

12) Comme ces rats dévorant un blessé encore vivant dans les tranchées ...

 

 

 

 

 

 

Life sentences, Billy O'Callaghan, Jonathan Cape, 2021, 230 p.

 

 

 

 

 

 

Parfois le silence est une prière, traduit de l'anglais (Irlande) par Carine Chichereau, Christian Bourgois, mai 2023, 290 p.

 

A propos de l'auteur :

Billy O’Callaghan est né en 1974 à Cork, où il vit toujours. Après la publication de plusieurs recueils de nouvelles, c’est son second roman Les Amants de Coney Island (Grasset, 2019) qui, traduit dans de nombreuses langues dont le français, l’a fait connaître dans un grand nombre de pays.

 

EXTRAIT bilingue  :

I

Jer

(1920)

p.9/10

(...)

In the barracks'cell, somewhere among the small hours, I sit slumped over with my elbow on my knees and my fingers laced loosely together in a way that would be prayerful on another man. These are rooms built for stillness, and restriction, the bare brick walls close on every side, and the solitary window does nothing but tease with its revelation of a starless sky, the narrow meshed box of glass giving a suggestion of confessional. But I sit facing away, keeping all of that resolutely behind me. The only light is that of a kerosene lantern spitting dull glow from the office at the far end of the hallway, and exhaustion finally suffocates me, causing my mind to sink slowly from the man I appear to be, down to the stranger lying half an inch beneath the surface of my skin.

*

When I was a boy, I liked listening from the wind. Time has elevated that to the very sound of my childhood. Because I couldn't quite define its shape, I put my own shape to it, made an identity of the wind that was like my own but older, and I tried in every way I could to make sense of what that meant, where i came from. I spun a revenant from the many anonymous threads of myself, in an effort, I suppose, to create some sense of story, some lineage. The voice that filled the wind for me was never strong, but it was in some way familiar, like all those old songs, I'd listened to and sort of knew. And searching as I was, I let myself believe that it was somehow the missing part of me, the part I'd been otherwise denied.

(...)

p.17/19

(...)

Dans ma cellule, quelque part aux petites heures du jour, je me suis assis, recroquevillé sur moi-même, les coudes appuyés contre les genoux, les doigts vaguement entremêlés, ce qui chez un autre aurait signifié la prière. Ce sont des pièces construites pour le calme, la retenue, les murs de brique nus se referment de toute part, et la fenêtre solitaire sert seulement à me tenter un peu en dévoilant un ciel sans astres, le verre armé évoquant l’idée d’un confessionnal. Mais je regarde de l’autre côté, maintenant tout cela est résolument derrière moi. La seule lumière est celle de la lampe à pétrole qui crache une lueur faiblarde dans le bureau, tout au bout du couloir, et la fatigue finit par me submerger, fait lentement sombrer l’esprit de l’homme que je parais être, jusqu’à l’étranger qui gît à un centimètre sous la surface de ma peau.

*

Quand j’étais petit, j’aimais écouter le vent. Avec le temps, ce bruit est devenu celui de mon enfance. Puisque je ne parvenais pas réellement à définir sa forme, je lui ai donné la mienne, j’ai transmis au vent une identité semblable à la mienne mais plus âgée, et j’ai tenté par tous les moyens de donner du sens à cela, à sa provenance. J’ai tissé un fantôme à partir de nombreux fils anonymes qui me constituaient afin, je suppose, de créer une sorte de récit, de lignage. La voix qui incarnait le vent selon moi n’était jamais forte, mais elle était nouvelle et en quelque sorte familière, comme toutes ces vieilles chansons que j’écoutais. Et en cherchant ainsi, je me suis pris à croire que c’était là une partie manquante de moi-même, celle qu’on n’avait par ailleurs pas voulu m’accorder.

(...)

 

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Publié dans Fiction, Autobiographie

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S
Quelle puissance et quelle verve ! L'article nous les rend bien. J'aime : la religion "étant inscrite en [lui] à la manière des anneaux concentriques d'un arbre" (I, p.35).
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