Le papillon noir, de Radu Paraschivescu
Radu Paraschivescu, éditeur, traducteur et écrivain, est une "figure des lettres roumaines" ayant publié nombre de "livres à succès" dans son pays. Consacré au peintre le Caravage, Fluturelle negru (Humanitas, 2010) semble son premier livre traduit en français (1).
Aimant la langue et la culture italienne et notamment la peinture du Caravage, et ayant découvert de nombreux romans roumains (2) grâce aux traductions de Florica Courriol - qui depuis des années s'attache avec exigence à promouvoir une littérature contemporaine roumaine de qualité -, j'ai entamé la lecture du Papillon noir (sous-titré en français L'ombre du Caravage) avec beaucoup d'attentes.
Aussi ma déception fut-elle grande car, si ce roman n'est pas exempt de qualités, ses défauts à mon sens l'emportent.
1) La bibliographie de l'auteur présentée par l'éditeur à la fin du roman, citant dix titres de livres en français sans mention du titre ni de l'éditeur roumains, peut induire en erreur
2) Neuf romans ayant donné lieu à des critiques plutôt élogieuses sur L'Or des livres (dont Iochka co-traduit également avec Jean-Louis Courriol) : ici
Acherontia atropos
Radu Paraschivescu aime l'Italie et c'est la découverte de toiles du Caravage au cours d'un de ses voyages à Rome qui lui donna l'envie d'écrire un énième livre sur ce peintre ambitieux et rebelle à la vie tumultueuse et sulfureuse qui a révolutionné la peinture de son époque : un peintre de génie universellement célébré ayant laissé une œuvre abondante mais dont on connaît assez peu de choses de la courte vie.
Il aurait pu écrire un essai mais, plutôt que de se borner à évoquer le contexte artistique, politique et religieux et les mœurs dans cette Rome de la fin du XVIème et du tout début du XVIIème (où le Caravage peignit l'essentiel de son œuvre), il a préféré insuffler de la vie en faisant évoluer des personnages historiques ou inventés dans des scènes colorées et truculentes ponctuées d'alertes dialogues, tout en nous faisant partager son amour pour la ville de Rome. Et, au-delà de la présentation et de l'analyse de moult tableaux du Caravage, il a surtout cherché à approcher l'homme intérieur et à en sonder les abîmes, à imaginer ses espoirs et ses convictions, ses tourments et ses doutes - qui se reflètent dans sa peinture comme dans sa vie -, ceci lui permettant de jouer pleinement des contrastes : ceux des toiles du peintre et de la ville de Rome, mais aussi ceux de l'homme.
Seul le genre romanesque pouvait ainsi faire de Rome une héroïne à part entière et donner à l'auteur la liberté de se glisser dans la peau du Caravage - comme le fit avant lui Dominique Fernandez dans La course à l'abîme (Grasset, 2002) -, celle aussi d'imaginer parallèlement à son goût pour les jeunes garçons un amour idéal pour Fillide Melandroni, cette courtisane romaine qui fut un de ses modèles préférés. Ou la liberté de concrétiser le tragique de la condition humaine que masque une jouissance effrénée, «l'envie de vivre et la peur de la mort», au travers d'une obsession pour ce papillon noir éponyme que son Caravage tente de saisir au vol sur une toile fictive nommée Acherontia.
Ce papillon de nuit à tête de mort annonciateur de son destin hante ainsi les rêves du peintre de son mystère, son nom renvoyant au dieu fleuve de l'enfer. Un nom d'ombre et de lumière dans lequel «le peintre des ténèbres» (3) se reconnaît : «Eh bien, c'est justement parce que je suis l'obscurité au cœur de la combustion et parce que l'Achéron est le fils d'Hélios, que je tiens à laisser un tableau qui sera la signature de toute une vie. Un conte sur la nuit, sur la destruction et la mort brodé sur les ailes d'un papillon.»
Radu Paraschivescu a su délimiter judicieusement son sujet et construire intelligemment son roman, adopter des angles de vue intéressants et jouer significativement de la valeur des temps. Mais si ses partis-pris narratifs s'avèrent au départ pertinents, il s'est malheureusement trop souvent laissé déborder par ses excès. Quant à son parti-pris stylistique, il est à mon sens contestable.
Son roman a par ailleurs manifestement été "bouclé" un peu rapidement et le filtre critique éditorial d'Humanitas n'a pas correctement fonctionné, la version française souffrant de même d'une relecture insuffisante.
3) Le ténébrisme désigne un emploi appuyé de la technique du clair obscur, où la lumière directe, sans diffusion, produit des effets de lumière contrastés avec les zones non éclairées qui dominent et servent de fond
Rome, vue de la Piazza di Spagna en 1600 ( artiste inconnu)
Rome, «la ville qui t'aide à monter pour pouvoir te (4) faire retomber».
L'essentiel du livre est consacré à la période romaine du Caravage, celle de sa montée en puissance ayant fait du gamin affamé arrivé à Rome un artiste au talent reconnu, certes contesté mais admiré et imité.
Cette période durant laquelle il peignit ses tableaux les plus réputés fut brutalement interrompue par une malencontreuse bagarre où il blessa mortellement un aristocrate romain : Ranuccio Tommasoni. Et le livre s'ouvre habilement sur ce Nuccio, personnage capital dont l'auteur ne fait pas une victime mais, de manière très romanesque, la cause indirecte de la chute du Caravage du fait de jalousies, de chantages et d'intrigues malfaisantes qu'il va imaginer et exposer en détails.
Le Caravage doit fuir la ville et sa condamnation par contumace à la décapitation, signée du pape Paul V, l'exclura du monde, de la vie, l'auteur rajoutant à ce désastre un incendie symbolique réduisant en cendre son Acherontia. «Le jeune homme qui voulait changer l'art est devenu un proscrit» et cette période d'exil du Caravage est rapidement traitée dans le douzième et dernier chapitre où nous accompagnons sa course inéluctable vers l'abîme, de Naples (d'où il sera contraint de fuir) à Malte (d'où il finira par être chassé). Jusqu'à sa mort en 1610 sur la route de Rome où il espérait obtenir le pardon du pape.
4) Une grosse coquille affecte l'excipit du livre (p.278) : «pour pouvoir de faire retomber.». Et il y en a eu d'autres auparavant (comme notamment :«il a averti le compte»... )
Amor vincit omnia
Radu Paraschivescu alterne ingénieusement deux fils narratifs (dans les chapitres impairs et pairs, les seconds se distinguant par des caractères italiques).
Le premier fil, à la troisième personne et au passé simple - temps introduisant une vivacité dans le passé en faisant s'y succéder rapidement des actions - se resserre sur un an, de l'été 1605 à l'été 1606. En se focalisant sur la dernière année d'un Caravage célèbre dans une Rome où le pape Paul V vient d'être élu, l'auteur amplifie ainsi habilement la chute finale d'un héros alors à son apogée et accentue les contrastes de cette ville d'art fastueuse et miséreuse où l'on boit, se bagarre et fornique. Ce pape austère rêvait en effet de nettoyer la ville de ses turpitudes mais les Romains ne renonçaient pas pour autant «à vivre l'instant» : «plus le catholicisme s'efforçait de leur faire sentir son joug, plus ils éprouvaient l'envie de jouir au lieu de se muer en bigotes momies sans vigueur». Et le mensonge faisait la loi «du Quirinal au dernier des bordels».
Après un bref neuvième chapitre reproduisant l'acte de condamnation du peintre, ce fil s'achève dans le onzième chapitre en forme d'épilogue dans lequel l'auteur imagine que, suite au départ précipité du peintre, ses autres toiles ayant échappé à l'incendie sont vendues à vil prix à un riche collectionneur romain peu scrupuleux.
Dans ce premier fil, la narration, pleine de vivacité et d'humour, laisse place à de nombreux dialogues, l'auteur y usant d'une langue populaire au ton gouailleur dans un esprit proche de ces irrévérencieuses pasquinades, ce qui semble dans la continuité de ses autres livres (Radu Paraschivescu, aux dires du traducteur dans son avant-propos, est l'auteur de nombreux livres pleins d'humour et d'ironie où il tourne en dérision les travers de la société roumaine contemporaine). Mais ce choix langagier ne fonctionne pas à mon sens pour deux raisons.
Tout d'abord, nous ne sommes pas plongés totalement dans une Rome populaire même si les personnages fréquentent assidument des auberges, ni dans les bas-fonds de la cité peuplés par les voyous de la pègre, mais plutôt dans les coulisses de la Rome hypocrite des palais où les peintres côtoient essentiellement des aristocrates, des banquiers et des hauts dignitaires de l'Eglise amateurs d'art. Et L'auteur donne finalement fort peu la parole au peuple hormis à des aubergistes ou cafetiers et à un négociant en tissus. Même sa prostituée (Fillide Melandroni) a grandi, précise-t-il, dans une bonne famille de la noblesse siennoise.
Aussi le langage relâché tenu notamment par cette "Lide" ou par le marquis Vincenzo Giustiniani n'est-il pas très vraisemblable. Et celui prêté à Ranuccio Tommasoni, dont l'auteur fait un proxénète ayant eu une enfance miséreuse, pose aussi problème. On peut en effet très vite s'apercevoir (grâce aux notes qu'il a lui-même mises en fin d'ouvrage pour renseigner le lecteur sur les personnages historiques évoqués dans son roman) que c'était un aristocrate romain (5)...
Ensuite il était périlleux de transposer cette langue populaire imagée, voire argotique, dans la bouche de personnages du tout début du XVIIème siècle. Certes en Roumanie cela est peut-être moins choquant car, la littérature écrite étant récente, on ne peut faire appel qu'à la langue du XIXème. Mais le choix des traducteurs de recourir de même à des termes majoritairement entrés en usage seulement au XIXème, l'est pour une oreille française(6). Ainsi ces nombreux anachronismes langagiers font-ils sonner faux bien des passages, le chapitre cinq (7) - en concentrant à lui seul une quinzaine - ayant été pour moi d'une lecture pénible. Mais je suis sûre que beaucoup de lecteurs trouveront ce décalage comique. Radu Paraschivescu leur adresse d'ailleurs un clin d'oeil malicieux montrant bien que, pour faire rire, il ne s'encombre pas de vraisemblance (8).
5) Ce Ranuccio Tommasoni pose par ailleurs un autre problème car si l'auteur, dans un roman historique, est libre d'imaginer des événements et d'inventer des personnages, s'il peut extrapoler à partir de minces éléments factuels, il ne doit pas à mon sens dénaturer des faits connus à des fins romanesques
6) Car en français on peut notamment utiliser la langue de Montaigne ou même celle de Rabelais
7) Cf un extrait de ce chapitre 5 (en fin d'article) donnant un aperçu du langage de Fillide Melandroni
8) Il fait ainsi citer à un personnage romain une formule devenue célèbre du "barde de Stratford" (tirée de la pièce Comme il vous plaira qui, jouée en Angleterre en 1602 n'a été publiée en anglais que vingt ans plus tard !)
Pasquino
L'auteur prend par ailleurs plaisir à nous promener dans les différents lieux de la ville, nous faisant visiter palais et églises et nous entraînant sur ses places comme dans ses ruelles «étroites comme la taille d'une danseuse» (9). Mais il ne peut s'empêcher de "caser" à toute occasion descriptions, informations et anecdotes tout droit sorties de wikipédia ou d'un guide de voyage, le pire étant atteint dans ce premier chapitre où il ne nous épargne aucune des six "statues parlantes" (10) de Rome.
Quant au Caravage et à ses tableaux, ils sont très présents dans ce premier fil, tels qu'ils sont perçus à Rome à l'époque. Ils sont ainsi évoqués par le narrateur et, surtout, dans les conversations des personnages mis en scène. Et dans cette interaction entre le regard extérieur porté dans ce premier fil et les sincères et touchantes confidences du second fil introspectif où s'exprime directement le peintre réside sans doute le mérite du Papillon noir. Cette alternance de points de vue permet en effet à Radu Paraschivescu de cerner un homme complexe et de peindre un portrait riche et contrasté de son héros.
9) La Rome tout juste entré dans l'ère baroque gardait encore un aspect médiéval
10) L'itinéraire de son personnage passant de la Piazza di Parione (et devant la statue Pasquino) à la Piazza del Campidoglio où se trouvait à l'époque Marforio, donne lieu à une longue digression de huit pages sur les statues parlantes de Rome !
autoportrait de Simone Peterzano
Le deuxième fil, narré dans un vivant présent et dans une tonalité différente, donne voix à Michelangelo Merisi (dit le Caravage), son monologue intérieur - sans doute pour le rendre plus vivant - étant présenté sous forme de lettres (non datées et n'ayant reçu aucune réponse) écrites à «Maître Simoné», son ancien maître auquel, picturalement, il doit tout et qui apparait plus largement comme un substitut du père.
Le peintre célèbre, regardant en arrière, s'adresse ainsi avec reconnaissance et respect à Maître Simoné, lui rappelant ses années d'apprentissage et retraçant son parcours depuis qu'il a quitté son atelier, avec le recul de la maturité. L'explication de sa technique comme de la fabrication et de l'emploi des couleurs, passionnante, est ainsi très naturellement exposée, l'auteur s'inspirant largement et citant expressément le célèbre manuel de Cennini. Et il confronte la réception de ses différents tableaux par ses commanditaires (dont son protecteur le cardinal Del Monte) à ses intentions de manière intéressante, même si l'auteur n'apporte rien de véritablement nouveau, notamment au sujet des deux versions de Saint Matthieu et l'ange, dont Erri De Luca donnera dans Le Sante dello scandalo (Les Saintes du scandale) une interprétation bien plus érudite et personnelle (11).
11) La première version laissait entrevoir un texte en langue hébraïque - celle de L'Ancien Testament (alors que les Evangiles ont été écrits en grec) -, ce que l'Eglise chrétienne ne pouvait admettre. Aussi ne voit-on plus le texte du livre dicté par l'ange à St Matthieu dans la deuxième version
Saint Matthieu et l'ange, versions 1 et 2
Mais malheureusement Radu Paraschivescu se montre toujours aussi bavard, se lançant notamment dans une longue digression de quatre pages sur Béatrice Cenci (12) - une histoire dans l'histoire -, simplement parce que La mort de la vierge aurait été une représentation de cette dernière dont le visage évoquerait Lide à son héros (13). Et pour animer le récit, l'auteur redonne parfois vie aux évènements dont le peintre parle à son maître dans des scènes longuement dialoguées qui nuisent à mon sens à l'intériorité de ce fil.
D'autant plus qu'on y retrouve quelques anachronismes langagiers qui, combinés à ce qui semble dans ce fil narratif un problème de traduction de la forme de politesse (14), rendent certains passages très dérangeants dans le chapitre 4. Car si l'unique incursion inopinée d'un "tu" dans les chapitres 2 (15) et 10, résonne comme une grosse coquille, passer à trois reprises, et avec insistance, à la deuxième personne du singulier dans un texte où le "vous" domine, ceci sans la moindre justification narrative possible, est totalement déstabilisant.
12) Pour connaître l'histoire de Béatrice Cenci racontée d'une plume caravagesque, on ne peut que recommander de lire Hemlock de Gabrielle Wittcop (qui sera réédité par Quidam dans sa collection de poche "Les nomades" début avril)
13) Selon Michel Hilaire, c’est sans doute la belle prostituée Anna Bianchini qui a posé pour le peintre romain (et non Fillide Melandroni - ce qui aurait pu justifier une extrapolation romanesque, ici trompeuse) : ici
14) Si en français la seule forme possible quand on s'adresse avec révérence à quelqu'un est la 2ème personne du pluriel, ce n'est pas le cas en roumain, et le passage d'une langue à l'autre est très délicat
15) Ch.2, p.40 : «Dieu vous protège, Maître, là où vous vous trouvez, tu m'as montré presque tout ce que doit savoir un artiste. Aujourd'hui, affaibli par mon orgueil et guetté par des maladies auxquelles les médecins même n'ont pas trouvé de nom, je regarde en arrière, et je me dis qu'avoir été votre apprenti m'a été d'un grand secours... »
La mort de la Vierge
Après l'acte de condamnation à mort du Caravage, le chapitre 10 marque habilement le basculement significatif de son parcours. Partant de son départ précipité de Rome, le héros raconte curieusement l'épisode qui vient juste de le motiver dans un long flash back lui permettant de troquer le présent pour le passé composé : le temps du passé révolu. Car depuis le décès de Ranuccio Tommasoni et sa condamnation, il a quitté le monde tout comme son maître, l'inéluctable marche vers la mort s'étant enclenchée. Et dans le chapitre 12 racontant les années d'exil qui ont suivi, c'est un mort qui s'adresse ainsi à un autre mort.
Dans ce dernier chapitre le héros narrateur insiste sur la commande et l'exécution à Naples du grand tableau intitulé Les sept œuvres de miséricorde (16) qui devait orner l'église du Pio della Misericordia. Il y voit en effet «le tableau de [sa] réconciliation avec le monde et avec [son] propre destin». Mais malgré ses remords et ses espoirs, il n'échappera pas à ses démons et retombera dans les mêmes travers.
Et le long passage consacré à ce tableau rend impardonnable cette grossière erreur de l'auteur dans son premier chapitre où il place ce même tableau dans une église de Rome, un personnage, en plein été 1605, affirmant l'y avoir vu «ces jours-ci» ! Un grave manque de cohérence interne montrant bien que ce roman n'a pas été relu correctement, ni par l'auteur ni par son éditeur roumain.
16) Un tableau qui a servi de point de départ au magnifique roman Les œuvres de miséricorde (Verdier, 2013) du regretté Mathieu Riboulet qui y décline à sa manière ces impératifs moraux. Un roman nourri de l'œuvre du Caravage où une douzaine de ses tableaux est évoquée
Les sept oeuvres de miséricorde (1607), église Pio Monte della Misericordia, Naples
Les indices montrant que Fluturelle Negru / Le papillon noir a été achevé et publié trop rapidement sont ainsi nombreux et on peut encore en ajouter. Si l'auteur et l'éditeur ont eu l'excellente initiative de placer au milieu du livre les reproductions en couleur de dix-sept tableaux du peintre, ils ont manifestement regroupé ces dernières bien hâtivement. Ils n'indiquent pas en effet la date d'exécution de ces tableaux, ni n'en précisent la version quand il y a lieu de le faire (17) (il aurait pourtant suffi de consulter la "Liste de peintures du Caravage" sur Wikimonde !). Outre le premier (Le garçon mordu par un lézard (18)) et le dernier (David tenant la tête de Goliath), ces tableaux se succèdent pêle-mêle, sans ordre chronologique, ce qui empêche de suivre l'évolution de la "manière" du peintre, et leur choix n'est pas en cohérence avec le roman. Des toiles à peine évoquées par l'auteur (Saint Jérôme, La Méduse ...) sont ainsi reproduites, tandis qu'on ne retrouve pas celles ayant fait l'objet de sa part de longs développements (comme les deux versions de Saint Matthieu et l'ange ou Les sept œuvres de Miséricorde).
Enfin, si Radu Paraschivescu a incontestablement effectué un travail de documentation pour mettre en scène de nombreux personnages historiques ayant côtoyé le peintre et présenter la peinture de ce dernier, il semble, à l'exception du "traité de la peinture" de Cennini (facilement accessible sur Internet Archive), s'être contenté de connaissances assez superficielles - ce qui expliquerait l'étonnante absence de bibliographie en fin d'ouvrage. Et s'il y a mis de très utiles "Rappels historiques des principaux personnages", on est surpris de n'y trouver aucune information sur Simone Peterzano dans l'atelier milanais duquel le peintre entra en apprentissage en 1584 (à l'âge de douze ans et demi) pour une durée de quatre ans, et dont son héros se remémore avec reconnaissance les diverses leçons.
17) Le Caravage a notamment peint plusieurs versions de Saint Jérôme (écrivant), du Joueur de luth ou de La conversion de Saint Paul...
18) «première toile peinte à [son] idée sans tenir compte des conseils»
Le papillon noir (l'ombre du Caravage), Radu Paraschivesvu, traduit du roumain par Florica et Jean-Louis Courriol, éditions La Trace, 25 janvier 2024, 290 p.
A propos de l'auteur :
Né à Bucarest en 1960, Radu Paraschivescu est romancier, traducteur, chroniqueur et également éditeur chez Humanitas. C'est un écrivain prolifique ayant publié une trentaine de livres depuis 2000, un auteur maniant l'humour et l'ironie dont de nombreux ouvrages ont rencontré un grand succès dans son pays. Traducteur de l'anglais et du français, il a notamment traduit Jonathan Coe et François Mauriac...
A propos des traducteurs :
Née en Roumanie, Florica Courriol vit en France depuis de nombreuses années. Elle est traductrice de littérature roumaine et traductologue. Auteure d’une thèse de doctorat sur Proust et le roman roumain moderne, elle a été chargée de cours de traduction à l’École Normale Supérieure de Lyon - ville où elle vit et travaille (cf l'interview de Désir de lire : ici). Et elle publie des essais et des articles dans des revues spécialisées.
Jean-Louis Courriol est professeur agrégé de l'Université en Lettres Classiques, professeur universitaire, docteur d'état de Langue et Littérature roumaines et traductologie à l'Université de Lyon et de Pitești.
EXTRAIT :
Chapitre 5
p. 129/130 et 132
(…)
Lorsqu'elle voulait convaincre, Lide mettait dans sa voix une chaleur à laquelle n'aurait pu résister un eunuque sourd-muet. Saraceni jeta subrepticement un nouveau coup d'oeil à la plantureuse poitrine de la fille, ravala sa salive et demande (sic), d'une voix un peu rauque :
- Et qu'est-ce que j'aurais en échange ?
- Sûrement pas ce dont tu rêves quand tu mates mes nichons. Mais je veux bien poser gratis pour ton premier tableau. Depuis que tu m'as vue sur les toiles de Miché je ne doute pas que tu brûles d'envie de t'y essayer. Mais pour ça rien ne presse. Je vais te dire, Carlo, Miché veut défendre la peinture telle qu'il la conçoit. Il refuse de la donner en pâture aux grenouilles de bénitier en pantalons qui se signent devant les saints et les figures célèbres de l'Antiquité. A ce que je vois et à ce que j'ai entendu dire, tu es de son côté, tu partages ses idées. Donc, si tu tiens tant à lui, tu ne crois pas qu'il faudrait lui donner un coup de main ?
- L'aider, ça tout à fait d'accord, mais ton plan est dingue. Bon Dieu de bon Dieu, je suis pas encore retombé en enfance !
Lide avait pris Saraceni par la main, le mécontentement devenait déjà plus sensible dans son regard.
- T'es long à piger, Carlo, je vois. On a pas envie de blaguer, crois-moi, ni Miché ni moi. D'ailleurs il ne sait même pas que je suis ici avec toi.
La fille lut de l'inquiétude sur le visage du Vénitien et s'empressa de le rassurer.
- Te fais pas de bile, il ne viendra pas te chercher en dégainant son épée. Il n'est jamais entré ici, ça fait pourtant des années … C'est moi qui vais dans son atelier, pas lui qui vient chez moi. Et de toute façon, il ignore qu'on se voit aujourd'hui.
(…)
- Alors ne le singe plus comme si tu débordais d'affection pour lui, Carlo ! Prouve que tu es le peintre Saraceni, pas l'ombre en chair et en os de Merisi. Fraie-toi un chemin par des actes, pas par procuration, en l'imitant. Occupe-toi de ton propre destin au lieu de t'accrocher à celui d'un autre.
- Attends un peu, attends …
- J'en ai marre des sangsues qui veulent se faire passer pour des hommes, dit Lide avec colère. Tu t'habilles comme Miché, tu pues comme lui, tu cherches noise partout comme lui, tu peins comme lui. Ou du moins tu le crois. Mais lorsqu'on vient te demander de mettre ces talents à profit pour une bonne œuvre, tu te défiles comme le pire des couards. Tu devrais avoir honte. C'est bon, je sais à qui j'ai affaire. Dégage, je veux plus te voir ici.
(...)