"Embourgeoisement immédiat", de Salim Jay

Publié le par Emmanuelle Caminade

 

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Embourgeoisement immédiat : une voix impersonnelle et énigmatique invite à l'embarquement...

Je me suis calée dans mon fauteuil , j'ai tourné la première page avec impatience et j'ai «décollé» immédiatement.

Car le roman de Salim Jay est drôle, vivant, fourmillant d'anecdotes et de digressions, plein d'imagination, jubilatoire. Comme toujours, l'auteur nous étourdit de sa virtuosité. Bateleur jonglant avec les mots , il fait miroiter leurs multiples facettes, prenant plaisir à en «détricoter» et «retricoter» le sens.

C'est à un véritable feu d'artifice qu'il nous convie, mais s'il nous réjouit et nous réchauffe de ses artifices, il ne réussit pas pour autant à cacher cette difficulté à trouver sa place, cette mélancolie qui nous émeut.


Dans ce roman, Salim Jay met en scène sa propre existence, toutes les tribulations qu'il raconte sont en effet véridiques. C'est de l'autofiction peinte aux couleurs de l'humour et de la dérision, de la poésie et de la fantaisie : «just words, words, words*».

Il y a du Queneau et surtout du Joyce chez cet auteur qui rit pour se détacher de lui-même et de la désespérance du monde, pour dissiper ses angoisses.


Notre héros, écrivain «dans la dèche», entretient des rapports tumultueux avec sa riche propriétaire qui lui réclame ses arriérés de loyer. Il tente de la payer de mots, seule richesse dont il dispose, sans pour autant lui devenir «cher».

Expulsé de son domicile parisien après dix-huit ans de cauchemar, il se réfugie à La Baule dans le luxueux appartement prêté par un ami durant l'hiver. Mais le «néant baulois» et ses «kilomètres d'ennui» finissent par avoir raison de lui.

Pour ne pas «perdre la boule», il quitte La Baule et se résigne à l'exiguïté d'une chambre de bonne mise à sa disposition dans la capitale. C'est alors qu'un oncle d' Amérique  lui lègue miraculeusement une somme importante, à la seule condition d'acquérir un appartement...


Notre héros, devenu subitement propriétaire, n'arrive pourtant pas à s'embourgeoiser. Trop libre, trop confiant, trop plein d'empathie pour les démunis qui le sollicitent, «il débourse à tort et à travers» et la prospérité dure peu pour celui qui a «toujours souhaité le partage des richesses».

Il finit par retourner près de Rabat, la ville où il a vécu l'essentiel de sa jeunesse, pour y redécouvrir «La Baule avec beaucoup plus de palmiers», pour retrouver un Maroc à l'image de sa vie et de ses écrits, «entre fébrilité et nonchalance», «entre liesse et détresse».


A lire absolument !


*James Joyce, répondant à qui lui demandait si ce qu'il écrivait était vécu ou inventé.

 

Embourgeoisement immédiat, Salim Jay, éditions de La Différence, 2006

 

 

Salim Jay, écrivain et critique littéraire franco-marocain né en 1951, est l'auteur de nombreux essais et de plusieurs romans , ainsi que d'un Dictionnaire des écrivains marocains.

Il n'est malheureusement pas encore reconnu à la mesure de son talent.

 

Site «Les amis de Salim Jay » : link

Publié dans Fiction

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