"En espérant la guerre", de Dominique Conil

Publié le par Emmanuelle Caminade

en-esp-rant-la-guerre.gifEn espérant la guerre : un espoir  qui  fait vivre...

Dans ce premier roman, parfois douloureux, bien qu'exempt de pathos, où semble résonner un grand désenchantement, Dominique Conil déploie une très belle écriture et une construction, au flou parfaitement maîtrisé, qui captivent en entretenant le mystère.


Une figure complexe et inoubliable «mène le bal», Anne Valetta, dont le compagnon Pierre Livi, militant gauchiste avec lequel elle vécut durant trois ans dans un mas en pleine garrigue, partit en cavale après un braquage raté.

Vingt ans après, Anne, devenue mère et restée dans la solitude du «Baume du Mal», «le regard tourné vers l'intérieur», se tient toujours «droite, debout», mais pas «si solide» malgré la «distance» qu'elle affiche. «Il y a toujours cette douleur qui peut l'anéantir».

Quand Léon, jeune reporter rêvant de «couvrir» la guerre, choisi pour revenir sur ce fait divers, vient la rencontrer, elle se met à parler, comme elle avait déjà répondu, à l'époque, aux gendarmes, au juge, aux journalistes, essayant de «glisser son p'tit message subliminal» au disparu.

Elle parle à nouveau, elle qui «se taisait souvent» ou se chantait «des chansons pour elle seule». Elle interroge les «reflets du souvenir» de sa vie avec Pierre, comme elle «s'interviewait», jadis, dans son miroir, semblant chercher «l'évaporé» moins dans le présent que dans le passé, «habitée par cet autre» qui était, qui est, son unique horizon, inaccessible.

Elle raconte «comme ça vient», dit-elle. A Léon de faire «le tri», mais elle le manipule, mystérieuse et fuyante, fascinante.


Dominique Conil cherche à nous perdre dans son labyrinthe savamment construit, tendant parfois un fil qu'elle s'emploie à rompre ensuite, à l'image de son héroïne. Jeu de cache-cache où semblent se mêler la peur et le désir d'être dévoilée.

Il n'y a pratiquement pas de dialogues dans ce récit, plutôt une juxtaposition de monologues : paroles anciennes qui résonnent en tête, messages enregistrés sur répondeur, toujours des questions sans réponses, et des réponses qui ne répondent pas à la question, ou du moins à celle qui est posée...

Un récit tout en murmures qui «ressasse» des souvenirs, approche les deux amants par petites touches concentriques. Bruits, odeurs, sensations, impressions..., l'auteure effleure avec délicatesse des mondes intérieurs qui se côtoient. Et il émane de l'évocation de l'histoire d'Anne et de Pierre une grande nostalgie, celle des «questions» restées en suspens.


C'est un roman douloureux, évoquant les manques impossibles à combler, ces disparitions qui vous laissent sans «réponse», sans «certitude», et vous condamnent à imaginer inlassablement «toutes les variantes», ces maux qu'on ne guérit pas car il n'existe aucun «beaume».

Un roman désenchanté sur le bonheur, la fuite vers un horizon «extérieur à soi» semblant la seule issue. Un espoir qui ferait vivre, à défaut de rendre heureux.


Deux hommes qui se ressemblent, marqués par la disparition , l'abandon, d'une mère ou d'un père, deux hommes qui fuient, qui se fuient, absents dans la proximité des corps, incapables de s'abandonner à l'amour. Deux hommes qui ont besoin de l'agitation ou de la violence pour «se sentir exister».

Une femme qui n'a plus besoin d'«aller quelque part» depuis qu'elle va vers Pierre, qui fuit son amour et sa responsabilité de mère, toute entière «tournée vers lui». Une femme qui tente de se persuader que l'amour total, le partage, est une illusion , que rendre l'autre «dépositaire» de ses secrets rend vulnérable, que l'on a besoin de se cacher, de se préserver, pour vivre , pour aller au-delà de soi-même, que la «chute du mur» n'est pas souhaitable...

Une femme qui, pourtant, regrette de n'avoir pas osé dire, de n'avoir pas eu le courage...Il aurait pourtant suffit de peu, de «presque rien»... Une femme qui pense parfois qu'elle a été «nulle», et pas seulement avec sa fille.

Une autre , sa fille, «croyant dur comme fer au bonheur pur»,(«autant dire qu'il n'y a pas plus conformiste» ! ) qui «survit», qui survivrait seulement... Enfin, il semble que sa mère ne souhaite pas trop s'apesantir sur le sujet...


Quand le reflet se brouille dans le miroir, quand le figuier du puits, sujet de discorde du couple, s'apprête à disparaître, quand le souvenir s'estompe et qu'il n'en subsiste plus que le «regret», quand les rêves de guerre se brisent, l'horizon s'efface et l'on reste seul avec soi-même.

Survivre ou mourir dans la violence du désespoir ?

 

En espérant la guerre serait un «hommage à la fidélité – celle que l'on doit à soi-même, à ceux qu'on aime et aux idéaux de jeunesse», résument curieusement les éditeurs, en quatrième de couverture. Plutôt un regret, à mon sens, à la fois une remise en cause et une tentative de justification...

Un regret conduisant à une interrogation sur la vie, sur la responsabilité individuelle.

Il ne faut pas toujours croire Anne Valetta, ou du moins pas tout. Où est l'illusion ?

Et si le conformisme résidait dans le fait de se chercher un horizon extérieur à soi ? Et si on pouvait regarder à la fois vers soi et vers l'autre ( n'y a t-il pas deux au-delà, de part et d'autre du mur...), et si l'espoir d'un «bonheur pur» n'était pas, justement, ce qui fait vivre et non survivre ?

«On a les guerres qu'on mérite.» Ai-je bien entendu ? «Non, sans doute, personne n'aurait dit une chose pareille.»


 

En espérant la guerre, Dominique Conil, Actes Sud, octobre 2008 ( prix de l'Inédit du Festival du livre de Mouans-Sartoux)

 

Critique publiée également sur le site de Mediapart, dans l'édition LA CRITIQUE AU FIL DES LECTURES, sous le titre " En espérant la guerre, un espoir qui fait vivre" :

 

http://www.mediapart.fr/club/edition/la-critique-au-fil-des-lectures/article/060109/en-esperant-la-guerre-un-espoir-qui-fait


 

 

Publié dans Fiction

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