"Comprendre SADE", de Marie-Paule Farina

Publié le par Emmanuelle Caminade

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Coup de coeur pour Comprendre SADE, ce court et dense essai de Marie-Paule Farina paru en mai 2012 aux éditions Max Milo, un éditeur qui privilégie les "livres à fort contenu (...) mis en valeur par un angle novateur, voire provocant. Provoquant quoi ? Dans l'idéal la dissolution des barreaux de nos prisons sociales et mentales. Et au pire, la réflexion".

De Sade me restait une vague impression sulfureuse, et de fort mauvais goût, résultant d'une lecture - très jeune – d'un de ses livres. Une lecture aveugle et conforme au cliché figé dans la langue française même, dont le terme "sadique" propulse cet auteur «au hit-parade du mal». C'est dire si ce petit ouvrage m'était destiné !

 

Marie-Paule Farina, avec beaucoup d'intelligence, de culture et d'humour (on rit beaucoup dans ce livre aussi drôle qu'il est instructif) essaie «tout simplement de comprendre» - et réussit à nous faire comprendre - «comment Justine, Juliette, Léonore, Eugénie et tant d'autres ont pu naître de l'imagination d'un homme qui, entre 27 et 74 ans, n'aura passé que dix ans à l'air libre et aura été condamné deux fois à avoir la tête tranchée alors qu'il n'y avait aucun cadavre dans le placard, seulement une immense oeuvre littéraire, et une immense mystification».

Dans un style incisif et caustique, drôle et imagé, plein d'allant, intégrant de multiples citations sans jamais alourdir le propos, Marie-Paule Farina met habilement en relation la biographie de l'auteur depuis son plus jeune âge, le contexte littéraire et social et l'évolution politique d'une époque tumultueuse.

Et elle s'appuie avec rigueur sur toute l'oeuvre de Sade, à commencer par sa correspondance et sans omettre d'éclairer le statut très particulier des 120 journées de Sodome, un texte publié pour la première fois en 1931 «présenté et lu [à tort] comme un catalogue de toutes les perversions», ni d'analyser l'évolution significative de ses multiples versions de Justine, du court brouillon écrit à la Bastille ayant servi de matrice aux centaines de page de la Justine ou les malheurs de la vertu de 1791 (publiée anonymement malgré l'abolition toute nouvelle de la censure) aux milliers de pages de La nouvelle Justine ou les malheurs de la vertu, suivie de L'histoire de Juliette, sa soeur et les prospérités du vice qui parut de 1797 à 1800.

Marie-Paule Farina réhabilite ainsi l'homme tout en redonnant à l'oeuvre de Sade sa véritable portée littéraire, politique et philosophique.

 

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Dessin d'Yves Rouvière  (p. 110)  -   détail

Comprendre SADE est un petit livre magistral, très pédagogique,  écrit par un ancien professeur de philosophie spécialiste de cet auteur depuis sa thèse universitaire, qui me semble s'imposer à tout néophyte comme préalable indispensable à la lecture de Sade.

Publié dans la collection "Comprendre/Essai graphique", il est illustré par Yves Rouvière dont les dessins humoristiques pertinents - même s'ils ne m'ont pas séduite personnellement sur le plan esthétique - soulignent de manière saisissante les propos de l'auteure.

Je ne formulerai qu'une minime réserve sur l'emploi trop fréquent, et un peu agaçant, de caractères gras ou majuscules mettant inutilement en évidence des passages qui s'imposent d'eux-mêmes. Et surtout un seul regret : que cet essai n'ait pas été plus développé tant j'y ai pris de plaisir. Mais si ce livre de Marie-Paule Farina incite à lire ou relire Sade avec un autre regard, n'est-ce pas son mérite essentiel ?

 

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Comprendre SADE, Marie-Paule Farina, Yves Rouvière, collection Essai Graphique, Max Milo éditions, mai 2012, 126 p.

 

 

EXTRAIT :

 

Ch.5

Jonas ou le prophète malgré lui

p.47/50

 

     (...)

    Faut-il rappeler quel était l'usage le plus courant des Vies des saints dans les collèges de jésuites ? Les historiens, qui ont souvent mauvais esprit, signalent que les exemplaires qui subsistent s'ouvrent tout seuls à la même page, au 2 juin, jour du martyre de sainte Blandine, représentée toujours nue, percée de flèches, les seins coupés, livrée à un taureau, etc. C'est dans les martyrologes religieux, chrétiens ou autres, que Sade va chercher «l'inspiration» des 120 journées de Sodome et ce n'est pas lui qui découvre que l'on peut s'échauffer la tête au récit d'horreurs !

    Comme Hitchcock, Sade aime bien faire une ou plusieurs apparitions plus ou moins discrètes et inattendues dans ce qu'il va nommer ( où qu'il les ai écrits par ailleurs) : mes livres de Bastille. Dans Sodome il choisit son saint patron et ce choix sera définitif.
«Chacun prêche pour son saint»
, affirme Dolmancé dans La Philosophie dans le boudoir, pour quel saint Sade prêche-t-il donc ?

Le président Curval (le juge) parle de lui, Sade, le 23 novembre à son ami le duc de Blangis :

«Tout le monde sait l'histoire du marquis de ... qui, dès qu'il eut appris la sentence qui le brûlait en effigie, sortit son vit de sa culotte et s'écria : "Foutredieu, me voilà au point où je voulais, me voilà couvert d'opprobe et d'infamie, laissez-moi, laissez-moi, il faut que j'en décharge!" et il le fit au même instant».

Est-il besoin de dire que Les 120 journées de Sodome, ce martyrologe hérétique, décrit un monde à l'envers dont le seul but et de «démoraliser * le supplice» ?

Quelle «morale» les deux amis tirent-ils de ce récit ?

« - Oh ! Quelle énigme que l'homme! dit le duc.

  - Oui, mon ami, dit Curval. Et voilà ce qui fait dire à un homme de beaucoup d'esprit qu'il valait mieux le foutre que le comprendre.»

Ne soyons pas, nous qui cherchons à comprendre Sade, démoralisés ** dès le début de notre entreprise, Sade pense exactement le contraire et s'il situe toute cette scène le 23 novembre, jour de la saint Clément, c'est parce que ce saint est le seul à l'imitation duquel il appelle tous ceux qui pensent «qu'il faut enfermer pour adoucir» et « foutre plutôt que comprendre ».

Leçon de clémence vaut mieux que leçon de despotisme mais, tout de même, Sade ne serait-il qu'un énième donneur de leçons qui ne décrirait les pratiques criminelles de «chiffreurs», «maltôtiers», «financiers», «robins», «magistrats», décrépis et imbéciles que pour qu'ils ne réussissent plus à faire illusion ?

«Et l'idole entièrement dépouillée par ses soins n'offr[irait] plus à la multitude éclairée que la brute et dégoûtante matière dont elle est composée»?

* Premier sens : "rendre immoral" (Littré)

** Second sens : "ôter le moral, le courage" (Littré)

-

 

                      Table des matières

 

1 - L'enfant gâté et le jeune homme u goût du jour........9

2 - Un homme perdu de réputation ..............................19

3 - La Coste. Marseille. L'Italie. La Savoie. Un mauvais

aventurier qui rentre toujours au bercail.........................27

4 - « Une rage de Vincennes » « A quoi bon rendre mal-

heureux ceux qu'on ne peut rendre bons ? »..................35

5 - Jonas ou le prophète malgré lui................................45

6 - Un monde à l'envers : de l'enfer au carnaval..............51

7 - Enfin libre ! ...........................................................63

8 - Le grand livre des réputations .................................69

9 - La « pensée » sadienne existe-t-elle ? ......................79

10 - Justine, Juliette, Léonore, Eugénie..........................83

11 - «  Foutre! Bougre ! » ...........................................99

12 - « Ni de gauche, ni de droite : romancier «  ...........107

13 - Le sac aux abus à changé de mains.

Vive la philosophie ! ..................................................117

 

 

 

 

 

 

 

Publié dans Essai, Texte-image

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