La poésie de Raymond Farina (2) : "Anecdotes" et "Epitola Posthumus" ...
Anecdotes et Epitola Posthumus, les deux recueils suivant Virgilianes, ont été écrits à peine quelques années plus tard. Dans le premier, le poète fait revivre ses "îles" sauvées de l'enfance, proches du mystère céleste, un mystère dont il s'approche également d'un léger battement d'aile dans le second.
ANECDOTES
Anecdotes , écrit de 1985 à 1987 et publié en 1888 est un recueil structuré en sept parties elles-mêmes subdivisées en un nombre irrégulier de poèmes dont les vers semblent des miroirs chatoyants qui réfractent la lumière. Anecdotes ( I,II et III), Sagesse de Klee, Détails, Soliloque ou Palabres nous font entrevoir en effet des fragments d'un «pays-lumière » où domine le blanc, couleur de «l'énigme des possibles », de la terre inconnue où reposent les morts, un blanc qui n'a rien de menaçant et semble côtoyer doucement l'enfant, naturellement : «blancs sont les murs/ et l'âme/ blanches les pierres/ des morts». Un monde préservé, un «chaos tranquille» qu'il n'y a pas lieu de «démêler» et d'où la gravité semble bannie, un monde dont l'enfant , ivre d'hirondelles, amoureux des «lettres qui bifurquent et des oiseaux qui butinent», semble roi, voyant dans un «o minuscule» «une tribu/ d'anges bavards» et connaissant «(...)la langue de l'ange/ inutile absolue».
Et le poète, la mémoire encore toute illuminée de cette blancheur «éblouissante», réussit à nous entraîner à sa suite dans ce «(...) pays étrange / aux poussières hospitalières».
Anecdotes, Raymond Farina, Rougerie 1989, 104 p.
EPITOLA POSTHUMUS
C'est un papillon naturalisé, une epitola posthumus proposée un soir au bord du fleuve par Apollinaire Wobouyo * qui est à l'origine de cet éloge funèbre «immodéré», de cette «chantante apologie» qui résonne aussi comme une «brève entomologie» du poète.
Ecrit en 1989 et publié en 1990, Epitola posthumus est un texte mi-vers mi-prose - résultat de la condensation d'un long poème en vers -, un texte léger, tendre et «primesautier», issu paradoxalement du choc de la rencontre de Raymond Farina avec Bangui et l'Afrique centrale, "un pays abandonné par le monde entier" dont "les images de la misère" demeuraient gravées en lui. L'epitola posthumus, ce «fin saphir égyptien à l'aile à peine ourlée de deuil» lui sembla alors être "l'âme d'un grand corps ravagé et souffrant".
Seuls ceux qui ne sont pas «bannis d'enfance» peuvent entendre ce «pianiste du vent effleurant de [ses] ailes des touches invisibles» et voir l'«émissaire» divin qui va «droit au coeur de la fleur à la fleur». Et Raymond Farina, manifestement, possède l'art de nous faire retrouver cette part d'enfance.
Dans ce recueil, son epitola divague «amoureusement entre parfums et reflets» pour ne «capter que la fine fleur du réel», et «qui sait (...) si ce froissement d'air sur la paix du jardin ne sera pas demain à mille lieu d'ici un typhon ravageur ?» Quoi de mieux qu'un papillon partageant avec l'oiseau la «grâce aérienne» et une «tonalité spirituelle» pour illustrer la fragilité du monde et l'éphémère de nos vies tout en donnant, «vivant paradigme de l'éternel», un avant-goût du paradis ?
Epitola Posthumus est à la fois une «métaphysique de la légèreté», «une sorte d'art poétique» et un «art de vivre». Et la «très sainte dualité multipliée par l'avril» qui l'habite , ce bel «ambassadeur d'une vaste tendresse d'un non-pays léger oublieux des frontières» nous initie au mystère, laissant «travailler le silence jusqu'à ce qu'il consente à rendre quelques parcelles de la grâce d'une arcadie pré-symbolique».
* cf l'entretien de l'auteur avec Régis Louchaert :
http://rebstein.files.wordpress.com/2011/08/rencontre-avec-raymond-farina.pdf
Epitola posthumus, Raymond Farina, Rougerie 1990
EXTRAIT D' ANECDOTES
Palabres
p.83
dionysos avait les yeux bleus
et les voyelles leurs sirènes
les images nous appelaient
t 'en souviens-tu
ève de mes six ans
o petite contemporaine
d'ancholies lunatiques
au jardin des rouges croyances
plus forte était
notre passion d'innocence
on vivait d'amour et d'airelles
cherchant ce que le vent cherchait
mettant aux nuages
des virgules
et si d'aventure on sortait
du cercle des cigales
il faisait blanc autour des morts
blanc autour des cyprès
gorgés de leur sommeil
ou des silences chuchotaient
et parfois c'était
comme le froissement d'élytres endiablées
ou le murmure sucré des anges
échappés
de naïves nécrologies
Anecdotes III
p.104
et parfois
une fable me parle
de quelqu'un
qui s'adosse au blanc
du vieil ulysse
devenu sourd
au concert des cigales
de l'archipel éteint
et des sirènes mortes
du monde
qui grince dans le noir
son dernier quatuor
EXTRAIT D' EPITOLA POSTHUMUS
(...)
Je cherche à travers la musique de tant de faits insignifiants et néanmoins majeurs que l'enfance a laissé en moi la trace de ta première apparition Comme un gentil pithécanthrope tiré d'un paléosommeil je m'éveille dans le flou d'un verger incertain au milieu d'un printemps de je ne sais quel âge Je m'étire m'émeut m'émerveille devant ces vagues qu'au ciel tu fais et ces blancs amandiers qui tanguent
Ange pervers ou salutaire fraîche bouffée de paradis voici que tu reviens plus tard dans mon studieux enfer d'écolier Grâce à toi l'imprévu entre par la fenêtre s'insinue sautillante cinégraphie dans le ronronnement des nombres et des alphabets affole les points cardinaux et la tranquille mécanique des heures
En clair ton irruption fut souvent intempestive et parfois même sacrilège Elle fut aussi je crois sacrée Ton évidente parentée avec l'ange l'étrange pigmentation gothique de ton aile-vitrail ont sans doute éveillé le premier murmure d'une religion proche de la poésie sans macération ni cilice Celle qui mit le ciel sous son jour le plus beau à la portée d'un enfant
(...)