Rencontre avec Eric Pessan (Sainte-Cécile-les-Vignes, 25/11/11)

Publié le par Emmanuelle Caminade

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Un public nombreux attendait Eric Pessan qui devait parler de son dernier roman Incident de personne , un rendez-vous qu'il faillit rater, son train ayant été immobilisé quelque temps suite justement à un "incident de personne", comme celui du héros de son roman...

 


Eric Pessan vit près de Nantes et partage essentiellement son activité entre écriture théâtrale et romanesque ( il écrit également des livres pour enfants ) et animation d'ateliers d'écriture...

C'est un écrivain passionné de littérature qui s'intéresse beaucoup au langage, à la communication entre les êtres – leurs silences, leurs malentendus, leurs mensonges - ainsi qu'à leur rapport au monde. Thèmes qui apparaissent régulièrement dans ses livres dont les héros semblent souvent enfermés dans un huis clos. Mais s'il écrit des histoires  d'individus en prise avec eux-mêmes,  il les insère néanmoins dans la société contemporaine, une société qui l'inquiète , car le champ social influe à son sens sur l'intime.

 

Le goût de l'écriture lui est venu très tôt , en même temps que celui pour la lecture. Adolescent, il s'est essayé à imiter les textes qui lui plaisaient et notamment des textes de science-fiction comme ceux de Stephen King. Puis il a découvert les classiques , apprécié des auteurs à la marge utilisant aussi le fantastique mais comme moyen ( Kafka, Borges) et a accédé par le cinéma ( Moby-Dick ) à une certaine littérature américaine. Albert Camus, avec son roman La chute, fut pour lui une importante rencontre littéraire.

Adulte, il s'est plutôt tourné vers la littérature contemporaine, vers les «voix intéressantes» de Christian Garcin et d'Eric Faye, de 10 ans ses aînés, qui commençaient à être publiés et semblaient lui ouvrir «une voie».

 

Eric Pessan aborde la littérature en lecteur et c'est un peu pour retrouver ce qui lui plaît quand il lit qu'il écrit.

Il aime ainsi partager un questionnement, bousculer le confort du lecteur, mais il expose sans démontrer et pose les problèmes sans chercher à imposer des solutions. Il a plaisir par ailleurs à créer un petit univers et à travailler un style.

Pour écrire, il ne démarre pas d'un grand projet, tous ses textes partent même systématiquement d'une question assez simple. Sa démarche est assez intuitive mais il aime se donner des contraintes, adopter un système formel nécessaire à ses yeux au bon fonctionnement d'une fiction.

 

 

 

Incident de personne

 

 

 

Eric Pessan a mis un an à écrire ce roman, 3 mois d'écriture intense et 9 mois de réajustements , une ré-écriture se traduisant toujours chez lui par un resserrement.

Il a lui même choisi le titre très tôt, contrairement à certains de ses romans où il n'arrêta ce dernier qu'à la dernière minute.(Seul le titre de son premier roman lui fut imposé par son éditeur: L'effacement du monde, alors qu'il préférait Le glissement).  

Incident de Personne n'est pas un titre particulièrement gai, comme lui fit remarquer une intervenante, ses  autres titres et romans non plus d'ailleurs ! Mais le personnage de la passagère voisine  a permis à l'auteur d'alléger l'histoire et de rendre son héros plus vivant en introduisant le désir.

 

Ce livre est né de l'envie d'injecter des «choses théâtrales» dans un roman.

L'auteur était à l'époque dans des «préoccupations théâtrales» et il venait d'écrire une pièce sans unité de lieu ni de temps. Aussi lui sembla-t-il amusant de respecter dans ce roman la règle des trois unités, d'écrire des sortes de didascalies ou de séparer les scènes par des "noirs"... Mais il n'eut jamais l'idée de porter ce roman ultérieurement à la scène. Libre aux personnes intéressées d'en proposer une adaptation !

 

Ce roman est aussi né d'une interrogation sur l'empathie : qu'est-ce qui fait que nous pouvons vivre dans le désordre du monde, insensibles à ce dernier ?

Interrogation à laquelle son expérience des ateliers d'écriture n'est pas étrangère. Mais l'avantage d'Eric Pessan sur son héros dont il partage l'amour de la littérature et l'expérience d'animateur, c'est qu'il est, lui, écrivain. Il peut évacuer le poids de ces drames de la vie qui lui sont souvent confiés lors d'ateliers de longue durée instaurant un climat de confiance. Car l'écrivain , comme une «éponge» peut, une fois à saturation, exprimer ... Et, contrairement à son narrateur qui ne  « croit plus au pouvoir des mots» , il pense , lui, que «l'écriture a de grands pouvoirs» ( ceci expliquant l'ambiguïté du texte que Françoise Tresvaux, en lectrice attentive, n' a pas manqué de souligner).

 

Cette fiction prend parfois racine dans des épisodes réels. Ce ne sont pas tant les récits des participants aux ateliers d'écriture qui s'appuient sur la réalité, ils sont tous inventés sauf un, pour des raisons déontologiques évidentes - et la seule histoire  qui lui fut confiée réellement lors d'un atelier fut mise dans le livre à la demande  de la personne concernée.

C'est l'épisode de Chypre qui puise le plus ses racines dans le réel. Eric Pessan a en effet commencé à écrire Incident de personne à Chypre où il avait été invité pour faire une conférence sur Camus à l'université de Nicosie et il avait été fasciné par ce pays divisé, coupé en deux comme le sera aussi son héros. Chypre est ainsi entré dans son roman de manière imprévue.

Quant à l'histoire du soldat qui y est abattu  pendant la guerre-éclair, elle a été influencée par une émission sur la Bosnie à laquelle il avait participé. Il avait été frappé par la manière obsessionnelle dont les Bosniaques revenaient sur les assassinats aléatoires ne relevant pas de la règle du jeu de la guerre et, de ce fait, intolérables. Un épisode qui par ailleurs permettait de mettre en place une forme intéressante, celle des «récits-gigognes», le narrateur racontant à sa voisine une histoire racontée par le frère du mort qui la tenait lui-même d'un de ses compagnons...

 

Eric Pessan a pensé bien sûr à La modification de Michel Butor, roman auquel il envoie un clin-d'oeil.

Michel Butor y décrivait en effet le voyage d'un homme dans le train Paris-Rome en utilisant tout du long le vouvoiement pour obliger le lecteur à s'identifier au personnage. L'auteur , lui, tenait absolument  à raconter cette histoire à la première personne, au plus près du narrateur et le vous utilisé pour désigner la passagère lui permettait de sortir son héros de cet enfermement pour établir une communication avec autrui ( même si on peut voir aussi dans ce texte un monologue intérieur avec une certaine "ondulation" de la parole s'enfonçant profond ou remontant à la surface ). Ce vous s'adressant à la jeune femme était aussi pour lui une manière indirecte d'interpeller le lecteur,  comme chez Butor.

 

 

 

Le dernier café littéraire de l'année 2011 fut donc , comme les précédents ,  riche et convivial. Eric Pessan s'y montra très disponible malgré la fatigue occasionnée par les péripéties de son voyage et répondit aux questions sur son travail et son roman avec beaucoup de simplicité et de sincérité .

 


 

Biographie et bibliographie de l'auteur :

 

http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89ric_Pessan

Publié dans Interview - rencontre

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