"Tutta la vita / Toute la vie", d'Alberto Savinio
Ces treize nouvelles d'Alberto Savinio (né Andrea De Chirico ) furent écrites entre 1942 et 1944 et parurent dans divers quotidiens et revues. L'auteur les remania (1) en 1945 et les réunit en un recueil intitulé Tutta la vita (2), ultime volume - publié en juin 1946 – d'une collection de poche de très petit format suggérée par lui à Bompiani afin qu'il puisse maintenir une intense activité éditrice durant la guerre en réduisant ses dépenses de papier.
En 1973, les éditions Adelphi eurent la bonne idée de reprendre ce texte de 1945 - et non la version revue et corrigée réalisée, après la disparition de son mari, par Maria Savinio en 1953 (3) et rééditée par la suite. L'éditeur Gallimard proposa, lui, en 1975 une traduction française, Toute la vie, qui reprend les onze premières nouvelles de la version originale de 1945 en ignorant curieusement les deux dernières pour les remplacer par huit autres nouvelles (4) tirées de Casa "la vita", le précédent recueil d'Alberto Savinio publié en 1944, sans se donner la peine de justifier son choix. Cette traduction dédaignant de plus la courte mais instructive "Prefazione" de l'auteur qui avait jugé nécessaire de donner à son livre une "notice d'utilisation" "comme pour un médicament", et ignorant par ailleurs la très riche "Nota sul testo" ajoutée par Paola Italia dans l'édition Adelphi, je puiserai largement dans ces deux sources pour vous présenter le livre.
1) Un remaniement allant de la simple variante lexicale ou de la ré-écriture de phrase à la suppression ou à l'insertion de morceaux entiers .
L'auteur y abandonne la formule de politesse "voi" imposée par le régime fasciste en 1938 pour revenir au "lei" et y lève toute "censure sexuelle" adoptant un langage plus précis et familier ("rapporti sessuali" et non "intimi", "si pigliò la sifilide" au lieu de "contrasse un turpo male" par exemple dans Il Suo nome ) et se livrant à de nombreuses digressions à connotation sexuelle...
2)Tutta la vita , sorti en juin 1946 , mais avec la date de 1945 ! - reprend le titre de la dernière nouvelle,
3) La réédition réalisée par Maria Savinio avec la collaboration d'Alvaro Corrado corrigea quelques erreurs mais ajouta aussi quelques variantes ainsi que des nouvelles tirées de Achille innamorato et d'autres inédites
4) Il supprime deux belles nouvelles très "saviniennes" , emplies de fantaisie, d'humour, de raillerie mais aussi de compassion, où les meubles de famille sont des personnages à part entière : Paterni Mobili et Poltrondamore. Et les huit nouvelles clôturant le recueil sont , à mon sens, moins touchantes , la première exceptée ( Monsieur Munster ). Elles me semblent tirer fortement vers un fantastique onirique et/ou grotesque, plus caricatural, moins inséré de ce fait dans la réalité, même si certaines évoquent la tragique actualité de la guerre, les rafles de Juifs et leur extermination ...
L'écriture de ce le livre fut, aux yeux de cet écrivain italien de la première moitié du XXème siècle influencé par la pensée de Schopenhauer et de Nietzsche et les travaux de Freud et marqué par les deux guerres , un acte de civisme et même de "supercivismo". Dans ce contexte de crise de civilisation, Alberto Savinio voyait en effet s'ouvrir une période de réforme, il pensait que regarder au-delà de l'apparence, "più lontano delle cose", devenait un impératif historique. Il fallait "un nouvel ordonnancement du monde", de nouvelles valeurs...
Alberto Savinio mit ainsi en pratique dans ces treize nouvelles "la tâche prophétique" assignée à l'artiste - celle de révéler au monde la vérité en la couvrant "d'un voile d'ironie" - qu'il avait théorisée trente ans auparavant (5).
C'est un livre "singulier et profond" à la dimension à la fois satirique et métaphysique qui regorge d' images puissantes riches de significations symboliques, et dont les noms des personnages sont révélateurs. Un livre dont le fantastique se situe dans un "acrobatique équilibre" entre le réel et l'onirique, et dont la plupart des nouvelles sont imprégnées d'une sorte d'animisme illustrant un élargissement du monde, un rapport différent aux choses, aux êtres et à soi. Les meubles et les cariatides de pierre s'y animent, parlent et agissent, les pianos s'y reproduisent, et ces objets qui semblent mieux connaître les humains que leurs proches révèlent leurs secrets et témoignent de leur vie.
C'est aussi un livre au style alerte, à l'humour acéré, plein d'ironie, de sarcasme et de fantaisie, mais aussi de poésie et de tendresse dont peu de critiques lors de sa sortie (6) virent le contenu "explosif", la portée "révolutionnaire" qu'il revêtait, du moins pour son auteur.
Alberto Savinio s'y attache en effet à "représenter la vérité", à ôter les filtres protecteurs pour mettre en formes les désirs et les pulsions, les non-dits, le contenu de l'inconscient, ce en quoi il tient à se distinguer des Surréalistes - dont on a tendance à le considérer, avec son frère aîné le peintre Giorgio De Chirico, comme un précurseur. Il ne s'agit pas en effet pour lui "de représenter l'informe, d'exprimer l'inconscient ou ce que la conscience n'a pas encore organisé" mais au contraire de "donner une forme et une conscience à l'inconscient". Et dans "son surréalisme", se cache "une volonté formatrice" et même une "finalité apostolique"...
Ces nouvelles qui démontrent un sens aigu de l'observation des comportements humains et de la psychologie mettent ainsi à mal les piliers sur lesquels repose le stupide ordre bourgeois. La famille, fondée sur un mariage dénué de sens et dont les enfants déçoivent les espérances, y est réduite à «une réunion fortuite de gens étrangers, une association absurde dont les associés croient avoir des intérêts communs...». L'auteur s'y moque de ceux qui «se réjouissent d'accomplir leur devoir sans se demander si le devoir auquel ils obéissent sert véritablement à quelque chose», il ridiculise le conformisme et les habitudes et dénonce «cet art de la dissimulation qui est le fondement de la vie en société» en s'attaquant notamment vigoureusement aux tabous et aux hypocrisies entourant le domaine sexuel, mettant en scène comme des pitreries, et des histoires de maris trompés et de vieilles filles abusées avec des images truculentes et un langage provocateur pour l'époque.
Tutta la vita nous montre un homme moderne angoissé et complexe, tantôt fasciné par l'agitation terrible et mystérieuse de la vie ou avide de «construire» quelque chose d'immobile et de durable, un grand enfant qui cherche à s'opposer à la vie réelle, s'agite et s'invente «un jouet colossal» en se prenant pour «Dieu le père» et passe ainsi «du rêve à la mort» sans avoir vécu. Ou au contraire, un enfant peureux ou conscient de l'absurdité, de la répétition du monde que la peur ou l'ennui, cette «paralysie du vide », empêche d'entrer véritablement dans la vie. Et si la mort est omniprésente dans Tutta la vita, c'est que la vie réelle, la vie naturelle, est toute entière mouvement et transit, c'est à dire mort continuelle, les hommes se substituant les uns aux autres, les morts revivant dans les vivants.
Et ce recueil n'est pas seulement critique, il indique également d'autres voies pouvant peut-être rendre à l'homme la vie supportable : accepter l'absurdité du monde, se préparer à la mort et regarder sa vérité, savoir qui on est, apprendre dans un monde sans Dieu «à être son propre père»...
Il émane de ces nouvelles une vision spirituelle, quasi religieuse, d'un monde sans Dieu. C'est à l'intérieur de soi que se trouve la lumière et la plénitude de la vie. A l'extérieur, il n'y a pour la plupart des personnages que vacuité et obscurité mais certains, pourtant, voient ou entendent le monde mystérieux qui les entoure. L'univers d'Alberto Savinio refuse le dualisme entre la matière et l'esprit et toutes les barrières, notamment celles entre l'enfant et l'adulte. C'est un univers imprégné de l'esprit d'enfance – du moins de celui de la prime enfance et de la cosmogonie qui l'accompagne - , de la nostalgie d'un paradis perdu. Et il n'y a rien d'étonnant, quand l'auteur réclame une sorte de "christianisme" qui s'élargirait à tous les être vivants et aux choses, à ce qu'une nouvelle fasse descendre sur terre «un petit soleil domestique en forme d'enfant, répandant lumière, chaleur et force autour de lui», un «ange», un enfant «né avec le sourire», heureux de vivre, qui s'annonce comme un sauveur.
5) Dans Poétique de l'ironie, en partant d'une affirmation d'Héraclite selon laquelle "la nature aime à se cacher"
6) Giorgio Vecchietti parle d' "un libro al tritolo" ce que l'on pourrait traduire par "un livre explosif" ou "un livre au vitriol" quoique le vitriol ne soit pas un explosif ( le tolite étant un explosif n'évoquant rien en français)
Tutta la vita, Alberto Savinio, Adelphi edizioni, 1973/2011
Toute la vie , Gallimard 1975, traduit de l'italien par Nino Franck, (Bompiani 1943 pour les nouvelles tirées de Casa "la vita" et Bompiani 1945 pour celles tirées de Tutta la vita)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Alberto_Savinio
EXTRAITS :
IL SUO NOME
p.20/21
Lodovico sta supino sul letto, rievoca un episodio della sua vita inutile, il ricordo di una delle sue tante occasioni mancate. La noia lo divora e per aggrapparsi alla vita egli va ricomponendo questo ricordo con la diligenza di un mosaicista che colloca a una a una le tessere sul sottofondo. Fruga le caselle della sua memoria e una dopo l'altra le svuota. Ritova non i soli fatti di allora ma anche i segreti emersi dall'oscuro fondo dei fatti, tale il segreto di quel capostazione che come un Wagner in berretto gallonato si è creato un homunculus nel telegrafo Morse e se ne sta rinchiuso giorno e notte in ufficio a colloquio con quella sua creatura mostruosa , mentre la moglie da anni riposa morta al piano di sopra, e la figlia essa pure morta ha dimenticato se stessa alla finestra, e d'accanto al vaso di gerani guarda i treni che passano e si portano via la sua ultima speranza. La vita di Lodovico è simile a questo lenzuolo che gli si aggrinza sotto i reni nudi e sudati, talmente usato che all'aggancio dell'alluce si lacera in lunghe ferite silenziose, che nemmeno la èco dànno più del grido di dolore che dà la tela lacerata.
ANIMA
p.101/102
I genitori del piccolo Nivulo stanno curvi nel angoscia. Nivulo ha superato il tempo in cui i bambini cominciano a esprimere in suoni inarticoli i loro piccoli pensieri, e lui ancora non ha formulato parola. Per il rimanente il bambino non mostra anomalie. In capo al ventiquattresimo mese di vita, il piccolo Nivolo si staccò un giorno dall' angolo di muro ove la mamma lo aveva collocato ritto sulle gambette molli e cedevoli, mosse da solo e trabalbante i primi passi, arrivò tremante di stupore fino nel mezzo del salotto come una piccola nave in alto mare, continuò ad avanzare le mani protese come per afferrare una immagine che gli sfuggiva, e in fine si rifugiò nelle braccia di sua madre che trèpida lo aspettava all'altro capo del salotto. Ma il sorriso non illuminava il suo volto infantile, non la gioia di scoprire il mondo, non la volontà di farlo suo. Lo sguardo del piccolo Nivulo era spento alle cose esteriori, inerte la sua attenzione e assorbita da qualche cosa che stava dentro di lui. « Nivulo è come le antiche case milanesi » diceva suo padre che aveva l'ingegno degli accostamenti, « è come le antiche case milanesi che non hanno la facciata sulla strada ma sul giardino interno ». E il dolore di aver messo al mondo un bambino con la faccia rivolta all'interno, piombò la povera madre in un tetro smarrimento.
(...)
PATERNI MOBILI
p. 175/178
La squadra dell'ATMA operava con ordine e disciplina. Non si confonda il nome della ditta ATMA che è un sigla composta delle iniziali di Azienda Traslochi Mobili e Arredamenti, con la parola sanscrita Atma che significa « anima del mondo ». Anche il cane di Arturo Schopenhauer si chiamava Atma. A proposito del cane Atma, ecco quello che scrivono i biografi di Schopenhauer. « Vicino a una finestra dello studio, accanto alla scrivania, una pelle di orso stesa sul pavimento indicava il posto abituale di colui che Schopenhauer chiamava il suo migliore amico. Questi era un cane di razza spagnola e biondo di pelo, rispondente al nome di Atma che significa « anima del mondo » , Schopenhauer seduto alla scrivania scriveva Il Mondo come Volontà e Rappresentazione, Atma se ne stava acciambellato sulla pelle di orso, e tra il filosofo e il cane sembrava che ci fosse interdependenza perfetta, ossia che la condizione dell'uno fosse il naturale complemento della condizione dell'altro. Ma un giorno (era il 1848, l'anno che portò in Europa tanti profondi rivolgimenti) Atma morì e l'interdipendenza si spezzò . Che fece allora Schopenhauer ? Fece anzitutto portar via la spoglia di Atma, poi uscì di casa e andò difilato al miglior canile di Francoforte, comprò un cane di razza spagnola ma nero di pelo perché spagnoli di pelo biondo nel canile di Francoforte non c'erano, se lo portò a casa, , lo fecce accucciare sulla pelle di orso accanto alla scrivania , gli mise nome Atma che significa « anima del mondo » e si rimise tranquillamente a scrivere Il Mondo come Volontà e come Rappresentazione ». È difficile trovare un più bell'esempio di attaccamento alle abitudini. Schopenhauer come si sa era celibe, ma immaginandolo sposato vien fatto di compatire la povera signora Schopenhauer.
(...)
POLTRONDAMORE
p. 200/201
(...) A proposito : Rosci, quando diventò l'amante della signora Teresa e voleva combinare con lei una specie di luna di miele, andò a trovare il nostro commendatore e gli diede a credere che era gravemente ammalato di appendicite e che andava operato d'urgenza. Bove insisteva a dire che stava benissimo, ma Rosci lo portò di peso nella sua clinica , gli apri la pancia e glie la richiuse senza toglierli né aggiungerli niente, lo tenne in degenza per quaranta giorni interi e in ultimo gli presentò un conto di venticinquemilla lire ; e intanto lui e la signora Teresa, su questo mio sedile, non vi dico che ballo ! Credo anzi che la mia prima molla rotta io la debba al ballo che Rosci e la signora Teresa fecero su me, e mi meraviglio che lui, un chirurgo, non abbia pensato a rimettermi le budella a posto. Che macellaio ! E tanti altri di cui non riccordo più nemmen la faccia e che probabilmente lei stessa, poveretta, doveva aver dimenticato... Ah ! Ma il tenore Franz come dimenticarlo, grasso e rosco come un maiale e con quella sua faccia di poppante ? Al momento dello spasimo piaceva al tenore Franz farsi buttare una frittata bollente sul sedere, e al momento bono la signora Teresa premeva il campanello a pera sulla testiera del letto, e la Rosa accorreva dalla cucina con la padella fumante. (...)