La poésie de Raymond Farina (1) : "Virgilianes" ...

Publié le par Emmanuelle Caminade

Raymond-Farina.jpg

Laissant de côté pour un temps le genre romanesque comme l'actualité littéraire, j'aimerais partager ma découverte récente d'un poète contemporain qui est loin d'être un inconnu pour les initiés, même si sa renommée reste encore confidentielle. Car la poésie de Raymond Farina fut pour moi une véritable rencontre et je me propose de vous la présenter en trois articles au travers de cinq ouvrages couvrant une période d'une vingtaine d'années : Virgilianes, Anecdotes et Epitola Posthumus , puis Eclats de vivre et Une colombe une autre.

 

Cette poésie doit beaucoup au parcours hors du commun (1) de son auteur.

Né à Alger en 1940, ce dernier fut élevé dans la ville haute par une vieille nourrice maltaise illettrée et le poète eut d'abord pour horizon le bleu du ciel cerclé de murs blancs et pour compagnons les nuages et les bêtes, ses incursions à l'école primaire s'avérant fort rares. Puis il connut le Maroc où il partagea les jeux des petits bergers de son âge qui lui apprirent à observer et capturer les oiseaux et réintégra progressivement un cursus scolaire plus classique. Il y écrivit ses premiers poèmes à l'âge de 13 ans. En 1960, il retrouva Alger et les horreurs des deux dernières années de guerre et, après des études supérieures à Nancy, il enseigna la philosophie de 1964 à 2000 dans plusieurs régions de France, puis au Maroc, en République centrafricaine et à La Réunion où il réside actuellement.

 

Les poèmes de Raymond Farina  ne commencèrent à être publiés que vers la fin des années 1970. Depuis, une quinzaine de recueils ont été édités (2) dans diverses maisons et certains poèmes traduits dans plusieurs langues. L'auteur est de plus lui-même traducteur de poètes américains, espagnols, italiens et portugais.

Son oeuvre décline sans cesse les thèmes de la mort et de l'absence, de la trace et oscille entre gravité et légèreté. Elle prend sa source dans l'enfance, un temps béni, sacré, de disponibilité au monde où l'enfant édifie dans ses songes une petite cosmogonie personnelle qui semble apprivoiser le mystère "comme on apprivoise les oiseaux". C'est une poésie qui cherche à sauvegarder cette part d'enfance, ses rêves, ses couleurs et ses parfums, sa lumière, cette légèreté qui semble transcender d'un coup d'aile la gravité du monde et le tragique de nos vies éphémères.

Enfant sauvé, élu, tel Moïse, pour éclairer les hommes de ses mots, le poète prend sa plume et se fait ange ou oiseau imprimant ses traces fugaces qui se muent en signes sur la page, témoins de la "fragilité du réel". Une poésie toute de murmures et d'interrogations, loin des certitudes. Une écriture fine et aérienne, musicale et colorée, érudite, élaborée mais concrète et familière qui capte l'instant, saisissant quelques éclats d'un monde en mouvement. Un geste vif et tendu, à la fois sûr et léger comme celui du calligraphe (3) à la recherche de la perfection.

 

1) Je vous reporte à l'excellent article de Régis Laouchert dont je me suis largement inspirée pour cette biographie :

http://rebstein.files.wordpress.com/2011/08/rencontre-avec-raymond-farina.pdf

2) pour une bibliographie complète : http://rebstein.files.wordpress.com/2011/09/raymond-farina-bibliografia-completa.pdf

3) Une poésie qui m'a fait me remémorer une très belle nouvelle de Passagers de l'archipel , le dernier livre d'Anne-Catherine Blanc, intitulée  Ligne de vie dont je donne un extrait significatif  à la fin de la chronique que je lui ai consacré...

VIRGILIANES

 

Virgilianes , publié en 1986, comprend deux recueils de poèmes dont le premier a donné son nom à l'ensemble et dont l'écriture commença dès l'été 1983. Deux recueils de poèmes délicats et sensibles qui n'ont rien d'abstrait où le poète, en empathie avec la nature, les animaux et les végétaux, comme avec les choses, exhale une âme virgilienne. Le premier réunit trente-trois textes (4) de longueur et de rythme différents qui se déploient en vers amples et tendus ou halètent en courts fragments.

Dans ces poèmes bouleversants, écrits sous un ciel gris de Bretagne et placés sous le signe de la mort, aléatoire et inéluctable, le poète, désorienté, tente désespérément d'affronter l'avenir en interrogeant, non les sorts virgilianes (5), mais son territoire d'enfance.

Il lui faut en effet retrouver «l'entrelacs de noms et de visages/qui furent si faciles/ et puis ces lettres d'avant le sens/ cette magie de Dieu/ éloignant de l'enfant/ la vérité violente». Il lui faut retrouver ce temps solaire «innocent», «anachronique», chercher la trace, le «sens exilé» de ce monde de «signes et choses/ sinnrebus de nous». Un retour aux sources nécessaire «pour conduire/ en douceur/ la vie» et faire «(...) la mort facile/ comme un sourire».

 

4) Peut-être Raymond Farina a-t-il aussi voulu s'inspirer des savantes architectures de son maître latin  et ce nombre impair de poèmes numérotés en chiffres romains m'a incitée à chercher dans le dix-septième le pivot de ce recueil : le thème de l'absence, ou plutôt des absents, de ceux qui ne sont plus que  (...) reflets/ dans la paix/ des images/  accompagnant/ l'éternité» et silence : un silence qu'il faut savoir écouter pour en tirer une «sagesse musicale» ...

5) Référence au Pantagruel de Rabelais où Panurge explore l'avenir en interprétant des vers de Virgile tirés aux sorts ...

 

Dans le deuxième recueil, Le conte d'été, composé de vingt-neuf poèmes rédigés en vers courts mais fluides, la nature dans sa simplicité et les choses muettes font entendre leur «musique invisible», la vie tente d'apprivoiser la mort, de l'emporter sur elle, la «tendresse» d'une «belle au carreau» et les «magies d'amour» s'érigeant en rempart contre «peines et pluies». Et le monde commence timidement à s'alléger, proposant au poète ses éclats de sagesse.

 

Raymond Farina, Virgilianes, Rougerie 1986

 

 

EXTRAITS :

 

Virgilianes

IV p.12

   

désir quitte les cartes

porte le Sud plus loin

que l'Erythrée mentale

 

phosphorescences

ô migrations

éclairs écailles

ciels mouvant des surfaces

 

et loin derrière

au bout des voix

étouffées la nuit lente

une barque comme un secret

que garderait la mer

 

XXXI, p. 47

 

il suffit

d'approuver

le blanc cerisier

 

de laisser

les questions épuisées

aller boire

à la source des larmes

 

il suffit

comme l'enfant

d'écarter l'herbe divine

jusqu'à la gloire du grillon

 

Le conte d'été

  VII p.59

 

la sagesse est là

loin des livres

concrète et bleutée

dans la paix des choses

près du rideau

qui s'affole

 

elle est aussi

- quand tu vois

les miettes

sur la nappe -

cette pensée

pour les oiseaux

 

elle est ta façon

de rendre au soleil

ses reflets

rien qu'en

effleurant

la carafe

 

XI, p. 65

 

sommes-nous

cette fable

que notre corps

raconte

 

sommes-nous

le mot de l'énigme

 

un presque vivre

ou un presque mourir

quelque chose d'étrange

entre Dieu et poussière

 

sommeil

comme désert

ou village

sous la neige

 

 

 

 

 

Publié dans Poésie

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
E
<br /> <br /> Oui, votre article est rafraichissant. Merci d'avoir pris le temps de préparer ce résumé. Tout ça donne le goût ...de lire.<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre