"Les jeunes constellations" de Rayas Richa
Les jeunes constellations, premier roman de Rayas Richa, est tombé comme une sorte d'ovni sur la scène littéraire contemporaine. C'est une histoire fabuleuse à l'image de ces récits colportés et enrichis depuis la nuit des temps par les aèdes ou les troubadours, qui donnèrent naissance à la fiction. Une histoire s'insérant dans une longue tradition mais dont la magnifique et surprenante écriture, à la fois ludique, érudite et poétique, nous fait rire et nous émeut tout en nous rafraîchissant de ses constantes audaces.
Accompagné de Pelleas, précepteur connaissant la vie (et essayant de la lui montrer) qui lui sert de mère et de père - la première étant morte à sa naissance et le second l'ayant abandonné -, un jeune et candide bâtard de dix-sept ans, agité de rêves et de désirs, est parti de France pour l'Orient. Son vieux géniteur libidineux se souvenant soudain de lui l'a en effet appelé à le rejoindre à Constantinople, lui envoyant pour la route le journal qu'il avait rédigé lors de son propre voyage : «un guide des bordels» jalonnant la route des croisés !
Rayas Richa nous conte jour après jour par la voix de son héros le voyage d'un jeune garçon chu sur la terre comme une étoile du ciel, celui d'un être de chair et d'esprit devant s'accommoder de son corps et tenter de «vivre parmi les hommes» malgré les «désaccords du monde» en trouvant le chemin de sa Jérusalem céleste, au-lieu de rester à «barboter» sur la rive. Il nous décrit ainsi le chemin initiatique d'un héros perdant son enfance et ses illusions car «il faut détruire et déconstruire en [soi] pour vivre ». Un chemin charnel et spirituel qui passe par l'expérience fondamentale de l'amour et de la mort. Un chemin d'écriture aussi car «en voyage, la vie vous traverse (...) Alors on gribouille pour s'assurer de quelques traces.»
Par trois fois tu aimeras, et par trois fois, tu perdras l'être aimé...
https://fr.wikipedia.org/wiki/Voyage_avec_un_%C3%A2ne_dans_les_C%C3%A9vennes
3) Par exemple :«De jeunes cyprès un peu cocottes roulaient dans des saris de verdure leurs jambes d'écorce sombre .»(p. 203) ou «Rien ne restera sinon la triste pudeur des maronniers où des bourgeons durcis cautérisent la douleur des branches.» (p.219)...
Peinture d'Adriaen Brouwer
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Départ de Marco Polo pour l'Orient,
Johanes, fin XIVème
«Croire à la fiction, c'est croire à la vie»/ «la raison moissonne des tristesses».
(...)
Regarder le ciel jusqu'à l'usure et essayer de croire, du moins, aux variétés chromatiques de l'existence.
Les jeunes constellations, Rayas Richa, illustrations de Donatien Mary, L'arbre vengeur, Février 2016, 224 p.
http://www.arbre-vengeur.fr/?p=3688
p.63
(...)
L'enfer fermentait déjà dans l'auberge des croisés. En poussant la porte, je pénétrais dans des relents de transpiration, de gangrènes, de viande et de crottin. L'urée de toute l'Europe y avait rendez-vous. Dans la salle, les voyageurs buvaient, bouffaient, branlaient, bâfraient, beuglaient... Une dizaine de lanternes à huile accrochées à la charpente répandaient plus d'ombre que de lumière. Le plafond était bas. Les ivrognes se cognant aux lampes faisaient vaciller des lueurs qui éclairaient alternativement des pans de la salle. A droite, entre les oscillations, j'ai vu : une bagarre/noir/chairs/noir/couenne tuméfiée/noir/un couteau. Depuis un coin aveugle, des chansons de croisés se mêlaient aux couinements d'un porc qu'on égorgeait près de l'âtre. A une solive voisine, pendait, à faisander des canards et des perdrix sur lesquels des soulards mesuraient leur adresse à coups de couteaux ou d'arbalètes. (...)
p. 84
(...)
Rien : plus rien n'échappa à la forêt. Avec vêpres, l'air devenait terreux, teinté de bistre. Le moindre moineau fatrouillant dans les branches nous refilait des chamades cardiaques. Revenaient les peurs enfantines ; revenaient les inquiétudes ancestrales que toute forêt sérieuse champignonne au coeur de l'homme. Même Pelleas sursautait à chaque bruissement : on pensait au loup, on pensait aux ours, et si leur faim valait la nôtre, alors...
Alors, on s'arrêta faire un feu et attendre le sursis d'un autre jour. On s'installa sur une souche couverte de mousse – divin-divan. On fit griller tonne de champignons, piqués sur des tiges de romarin. La panse de la nuit. Lueurs un peu froide du feu. Estomac spongieux et esprit pas en reste. Il faut dire la lecture du Journal.
(...)
p.105
(...)
La Sibylle, à son tour, égrena des plaintes. Elle pleurait le déclin de la sorcellerie, la carrière promise au bûchers d'ignorance et de fanatisme. Elle s'emporta contre l'immense bêtise du nouvel homme adorant un dieu qui est un homme ; s'adorant lui-même.
«Et les femmes pas en reste» fiella la Sybille. «Les mères et les filles viennent au printemps pour leur avortement semestriel cogner à ma chaumière ... "Zi wou plé ma bonne dame, un lavement" ; c'est qu'il ne se salira pas à les cureter leur cureton, sibonsibon... En hiver, aux jours de menstrues régulières, elles me jettent des pierres...»
Avec le vin, le feu du foyer, les langues se réchauffaient. Pelleasybille = Ne pouvaient pas être plus collés = faisaient lit- téralement plus qu'un. (...)
p.149
MARDI
Aux portes de la ville si longtemps désirée, une tristesse, une nostalgie s'est mise à clapoter gentiment au rythme de la lagune. Avec Venise, il fallait abandonner le rêve de Venise ; mon vieux camarade de jeu. Dans un instant une ville allait remplacer les villes de mon imagination. Et le plaisir à savoir mon voeu exaucé était amputé, endeuillé par la disparition du voeu lui-même. A quoi bon courir ses rêves, si toute joie doit porter son contingent de peines ? J'ai pensé un instant aux grands récits des grands hommes, à ceux qui avaient choisi et réalisé leurs destinées ; tous les Ulysse, tous les Alexandre de nos admirations ont-ils jamais été les héros de leur propre vie ?
(...)
p. 188
(...)
De Charybde en surprises : la servante qui me vint ouvrir = !!
Si fine, si transparente sa (?) chemise (?) ; rien qu'un voile de pudeur.
Chevelure d'un noir sans révérence et sans loi ;
Plus bas,
des mirettes toutes en lagune avec exhalaisons sulfureuses ;
Plus bas,
des lèvres d'un rose apostat et rieuses qui firent fondre sous la langue un «ciao bello» ;
Plus bas encore,
des .........Vite piétiner ses propres regards et bafouiller un : «Il fratello Pelleasolo per favore ?»
Moi = amusant ou ma voix ? Son rire folâtra – doux comme des draps froissés. Et son doigt (ouaté) me suggéra de la suivre.
La suivre donc, dans l'escalier !
Dans l'escalier, la suivre !!
Encore un étage !!!
Vertigo & No further comment...