"50 fables choisies" de Jean de La Fontaine + dossier de Sylvie Howlett

Publié le par Emmanuelle Caminade

"50 fables choisies" de Jean de La Fontaine + dossier de Sylvie Howlett

Publiées en trois recueils successifs de 1668 à 1694, les fables de Jean de La Fontaine ont rencontré dès leur époque un succès qui ne s'est pas démenti au cours des siècles. Sur près de trois cents fables écrites par l'auteur, toutes n'acquirent certes pas la même notoriété, mais elles font néanmoins tellement partie de notre patrimoine littéraire qu'elles ont contaminé notre langage courant au travers de nombreux proverbes ou expressions issus directement de leurs vers.

Dédiées au jeune Dauphin, fils du roi Louis XIV, du moins pour le premier recueil, ces fables furent utilisées systématiquement dans l'enseignement dès le début du XVIII ème siècle par les jésuites. Puis la IIIème République y vit un livre de morale opportun pour l'école laïque et elles devinrent incontournables dans les classes du primaire jusqu'aux années 1960.

Sans doute cette popularité altéra-t-elle un peu la perception de ces fables et nuisit-elle à leur estime. Mais ces dernières ont désormais été réhabilitées dans toute leur complexité et parfois leur ambiguïté. N'ayant rien de moralisateur, elles sont plutôt l'oeuvre d'un moraliste et, au-delà de la critique des excès du régime absolutiste et de la satire sociale, elles recèlent toute la philosophie de l'existence d'un auteur pénétré d'une antique sagesse.

 

 

On ne compte plus les ouvrages scolaires destinés à leur étude et les éditions Folio viennent de sortir un petit ouvrage à bas prix conçu conformément aux nouveaux programmes de sixième. Il propose cinquante fables offrant aux professeurs une grande marge de choix, accompagnées - selon l'usage de la collection Folio + collège - d'un très instructif dossier présenté de manière attrayante et ponctué de divers tests et exercices. Un dossier proposant une approche originale et ludique ne renonçant pas pour autant à un regard pointu sur l'oeuvre, qui facilitera la tâche des enseignants et permettra aux élèves de tirer le meilleur parti de leur étude de ce classique de la littérature.

Le choix des fables et l'élaboration du dossier ont été confiés à Sylvie Howlett, agrégée de lettres modernes et traductrice qui a déjà montré la pertinence de son travail pédagogique au sein notamment des éditions scolaires Magnard sur des oeuvres aussi variées que celles de Charles Barbara, Stefan Zweig, Dostoïevski ... ou Alexandre Pouchkine (chez Folioplus classiques).

 

 

Le loup et l'agneau, Marc Chagall

La première moitié du livre, suivie d'une table des matières, regroupe les fables dans une présentation soignée et une typographie agréable, avec une numérotation des vers de cinq en cinq et quelques notes en bas de page éclairant la compréhension de certains mots ou expressions.

Sylvie Howlett, avec la seule injonction programmatique d'étudier les catégories sociales, a choisi des fables allant des plus connues aux plus originales en tentant un intéressant regroupement thématique, ces dernières se répartissant à part égale en cinq thèmes : La société : oppression ou bonne gestion / Egoïsme et avarisme / Le savoir peut sauver... ou non / Rien de trop (traitant des excès, et des mérites de la tempérance) / La recherche du bonheur. Les cinquante fables retenues sont de plus accompagnées d'un pictogramme animal en indiquant malicieusement la difficulté lexicale ou contextuelle : "simples, subtiles, royales".

Précédé d'un sommaire, le dossier se divise comme toujours en quatre parties. La première, "Je découvre", revêt une importance capitale puisque qu'elle situe l'oeuvre dans son contexte (celui, formel, de la fable mais aussi plus largement dans le contexte littéraire, social et politique, économique ou scientifique), présente l'auteur et approfondit le sens des mots de l'époque, donnant ainsi aux élèves les moyens d'analyser ensuite eux-mêmes ces fables. Elle s'avère de loin la plus riche, sans doute car on ne peut aborder des textes du XVIIème siècle et un genre littéraire tombé en désuétude sans un minimum de connaissances préalables.

La seconde partie, "J'analyse", utilise les outils classiques de l'analyse littéraire (modes verbaux et temporalité, modalité du discours, versification, schémas narratif et actanciel, caractérisation des personnages, formes de comique) pour proposer aux élèves de nombreux exercices.

Quant aux deux dernières parties, plus réduites, elles donnent quelques pistes aux professeurs qui auront tout loisir s'ils le désirent de les développer en y apportant leur propre touche et – on l'espère – leur propre passion. "Nous avons la parole" s'attache ainsi à l'expression orale au travers d'exercices théâtraux ou de débats, et "Prolongements" propose images (en noir et blanc et en couleur *) et groupement de textes thématique pour prolonger l'étude de ces fables.

*Cf les deux illustrations ci-dessus : les Fables illustrées par Nézière et Le loup et l'agneau de Chagall

Une manière agréable et intelligente d'aborder un auteur qui, pensant en images, se mit à la portée des enfants tout en ayant un regard aigu et subtil sur le monde de son époque – monde qui par nombre de côtés ressemble encore au nôtre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

FABLES, Jean de La Fontaine, dossier de Sylvie Howlett, folio + COLLEGE, avril 2017, 192 p., 2,90 €

 

A propos de l'auteur :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_de_La_Fontaine

 

EXTRAIT :

 

Tirée du premier volume du deuxième recueil datant de 1678 (Livre VIII, fable VII), cette fable évoquant la tentation et la corruption semble toujours d'une brûlante actualité !

 

LA SOCIETE :

OPPRESSION OU BONNE GESTION

 

Le chien qui porte à son cou le dîné de son maître

p.19

 

Nous n'avons pas les yeux à l'épreuve 1 des belles,
Ni les mains à celle de l'or :
Peu de gens gardent un trésor
Avec des soins assez fidèles.
Certain Chien qui portait la pitance
2 au logis,
S'était fait un collier du dîné de son maître.
Il était tempérant
3 plus qu'il n'eût voulu l'être,
Quand il voyait un mets exquis :
Mais enfin il l'était et tous tant que nous sommes
Nous nous laissons tenter à l'approche des biens.
Chose étrange ! on apprend la tempérance aux chiens,
Et l'on ne peut l'apprendre aux hommes.
Ce Chien-ci donc étant de la sorte atourné
4 ,
Un Mâtin
5 passe, et veut lui prendre le dîné.
Il n'en eut pas toute la joie
Qu'il espérait d'abord : le Chien mit bas la proie
6 ,
Pour la défendre mieux n'en étant plus chargé.
Grand combat : D'autres chiens arrivent ;
Ils étaient de ceux-là qui vivent

p.20

Sur le public, et craignent peu les coups.
Notre Chien se voyant trop faible contre eux tous,
Et que la chair courait un danger manifeste
1 ,
Voulut avoir sa part. Et lui sage : il leur dit :
Point de courroux, Messieurs, mon lopin
2 me suffit :
Faites votre profit du reste.
À ces mots le premier il vous happe un morceau.
Et chacun de tirer, le Mâtin, la canaille,
À qui mieux mieux ; ils firent tous ripaille
3 ;
Chacun d'eux eut part au gâteau.
Je crois voir en ceci l'image d'une ville,
Où l'on met les deniers
4 à la merci des gens.
Echevins, Prévôt des Marchands
5,
Tout fait sa main
6 : le plus habile
Donne aux autres l'exemple. Et c'est un passe-temps
De leur voir nettoyer un monceau de pistoles
7.
Si quelque scrupuleux par des raisons frivoles 
Veut défendre l'argent, et dit le moindre mot,
On lui fait voir qu'il est un sot.
Il n'a pas de peine à se rendre
8 :
C'est bientôt le premier à prendre.

 

(La fable - en accès libre sur internet - est assortie du pictogramme "royal" dans l'ouvrage Folio+, et les numéros y correspondent à des notes en bas de page )

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