"J'arrivais pas à dormir" de Ahmed Kalouaz

Publié le par Emmanuelle Caminade

 

 

 

 

 

 

 

 

«Je n'arrive pas à dormir car d'autres mots viennent m'assaillir. Je les retrouve couchés sur le seuil de ma porte, attendant patiemment leur tour.»

 

Ahmed Kalouaz, cet authentique poète ambulant, semble ne jamais pouvoir trouver le repos, sa muse le maintenant sans cesse en éveil. Allant et venant sur les voies et les routes, «attentif à tout ce qui défile», «observant ceux qui marchent, la couleur du temps, les murs qu'on maquille. En chasse de la moindre curiosité, du mot qui fait mouche », il nous entraîne à sa suite, nous faisant épouser ses vagabondages poétiques comme dans son recueil Paroles buissonnières - publié en 2012.

 

 

«Les mots cadenassés se lamentent et périssent, il leur faut un champ de lin, une safranière en octobre, un rang de lavandes de juillet ou de vignes en vendange. Ils savent trinquer avec le vent qui passe.»

 

J'arrivais pas a dormir regroupe quarante-deux petits textes en prose reliés par une sorte de fil conducteur, celui de ces mots aperçus et saisis au cours de ces divagations : «bribes de mots sur les façades», phrases volées sur un mur, mais aussi sur l'ardoise d'un menu ou l'étal d'un marché, sur les panneaux de signalisation et les affiches, une enseigne ou une pancarte, une tombe, un monument ou même un tatouage ...

«Glaneur assidu», le poète «enfourne cette langue des signaux», «comme des notes de chanson à mettre plus tard en harmonie». Il «collectionne ces poèmes errants, ces phrases égarées par des petits poucets qui marquent leur chemin, crient leurs envies ou leur colère». Des «giboulées de mots» qui renvoient en écho des paroles de chansons ou des vers de poètes, des mots entendus ici ou ailleurs, ses phrases en appellant «d'autres qui surgissent des limbes, d'un sourire croisé dans la rue, du visage attristé d'un ami perdu ». Et le poète va ainsi tirer «patiemment de leur torpeur» ces traces écrites figées en ranimant leur mémoire d'un petit vent rafraîchissant remontant le temps, accrochant ses phrases «à des cerf-volants au cœur du ciel» qui emportent «ces bouts de vie qui font trésor».

 

 

«Mon père était aveugle de ne pas savoir lire, de ne pas connaître la valeur des lettres, l'architecture des mots. Il a marché avec sa canne, parmi ceux qui n'avaient que leurs mains pour pécule».

 

J'arrivais pas à dormir résonne comme un hommage d'Ahmed Kalouaz à cette langue éclairant le monde comme des étoiles dans la nuit. Une langue que son père refusa d'apprendre - et constituant néanmoins son seul héritage -  qui lui fut donnée comme «viatique».

C'est à la fois un art poétique plongeant ses racines dans les «collines de l'enfance» et mettant en lumière cet «équilibre fragile du temps qui va et des choses qui le tissent», et un touchant éloge de la poésie. De cet élan vers l'autre et vers le monde qui semble se confondre avec le mouvement de la vie, le souffle des poètes faisant écho à celui du vent. Des poètes qui «ouvrent le chemin et racontent à ceux qui ont le souffle court, ce qui court, ce qui vit un peu plus près du ciel.»

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

J'arrivais pas à dormir, Ahmed Kalouaz, Le mot et le reste, février 2018, 134 p.

 

A propos de l'auteur :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Ahmed_Kalouaz

http://l-or-des-livres-blog-de-critique-litteraire.over-blog.com/kalouaz-ahmed.html

TABLE :

 

7   J'arrivais pas à dormir

10  La petite bouteille du dimanche

13  Les poètes ne meurent jamais

19  Aujourd'hui je m'endors

22  La colonne

25  Terre des amoureuses

28  Pourquoi ici ?

31  La musique est un cri

34  Eluard ou Verlaine

37  La casquette bleue

40  Prieuré Saint-Michel

43  En cas d'absence

46  Une poignée d'années

49  Les platanes de Van Gogh

52  L'étagère à livres

55  D'après leur voeu58 Le capitole

61  La fileuse de haine

64  Ecoute le tonnerre

67  La rue ou rien

70  Je n'oublierai jamais

73  Mais c'est là tout le temps

76  Des miens trop m'éloigner

79  Pour en arriver là

82  La tour sans venin

85  Bonjour Victoire

88  L'île aux mimosas

91  Comme un rêve oublié

94  Les passagers du Mont

97  L'esprit s'évade

100 Les bruits du monde

103 Le vieux café

106 Chemins d'encre

109 Hôpital rural

112 Chacuterie

115 L'enfance rieuse

118 Le tableau des départs

121 Le bel homme

124 Les grains d'or

127 Champ d'habit

130 Je mange dans les nuages

 

Publié dans Recueil, Poésie

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