"J'arrivais pas à dormir" de Ahmed Kalouaz
«Je n'arrive pas à dormir car d'autres mots viennent m'assaillir. Je les retrouve couchés sur le seuil de ma porte, attendant patiemment leur tour.»
Ahmed Kalouaz, cet authentique poète ambulant, semble ne jamais pouvoir trouver le repos, sa muse le maintenant sans cesse en éveil. Allant et venant sur les voies et les routes, «attentif à tout ce qui défile», «observant ceux qui marchent, la couleur du temps, les murs qu'on maquille. En chasse de la moindre curiosité, du mot qui fait mouche », il nous entraîne à sa suite, nous faisant épouser ses vagabondages poétiques comme dans son recueil Paroles buissonnières - publié en 2012.
«Les mots cadenassés se lamentent et périssent, il leur faut un champ de lin, une safranière en octobre, un rang de lavandes de juillet ou de vignes en vendange. Ils savent trinquer avec le vent qui passe.»
J'arrivais pas a dormir regroupe quarante-deux petits textes en prose reliés par une sorte de fil conducteur, celui de ces mots aperçus et saisis au cours de ces divagations : «bribes de mots sur les façades», phrases volées sur un mur, mais aussi sur l'ardoise d'un menu ou l'étal d'un marché, sur les panneaux de signalisation et les affiches, une enseigne ou une pancarte, une tombe, un monument ou même un tatouage ...
«Glaneur assidu», le poète «enfourne cette langue des signaux», «comme des notes de chanson à mettre plus tard en harmonie». Il «collectionne ces poèmes errants, ces phrases égarées par des petits poucets qui marquent leur chemin, crient leurs envies ou leur colère». Des «giboulées de mots» qui renvoient en écho des paroles de chansons ou des vers de poètes, des mots entendus ici ou ailleurs, ses phrases en appellant «d'autres qui surgissent des limbes, d'un sourire croisé dans la rue, du visage attristé d'un ami perdu ». Et le poète va ainsi tirer «patiemment de leur torpeur» ces traces écrites figées en ranimant leur mémoire d'un petit vent rafraîchissant remontant le temps, accrochant ses phrases «à des cerf-volants au cœur du ciel» qui emportent «ces bouts de vie qui font trésor».
«Mon père était aveugle de ne pas savoir lire, de ne pas connaître la valeur des lettres, l'architecture des mots. Il a marché avec sa canne, parmi ceux qui n'avaient que leurs mains pour pécule».
J'arrivais pas à dormir résonne comme un hommage d'Ahmed Kalouaz à cette langue éclairant le monde comme des étoiles dans la nuit. Une langue que son père refusa d'apprendre - et constituant néanmoins son seul héritage - qui lui fut donnée comme «viatique».
C'est à la fois un art poétique plongeant ses racines dans les «collines de l'enfance» et mettant en lumière cet «équilibre fragile du temps qui va et des choses qui le tissent», et un touchant éloge de la poésie. De cet élan vers l'autre et vers le monde qui semble se confondre avec le mouvement de la vie, le souffle des poètes faisant écho à celui du vent. Des poètes qui «ouvrent le chemin et racontent à ceux qui ont le souffle court, ce qui court, ce qui vit un peu plus près du ciel.»
J'arrivais pas à dormir, Ahmed Kalouaz, Le mot et le reste, février 2018, 134 p.
A propos de l'auteur :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ahmed_Kalouaz
http://l-or-des-livres-blog-de-critique-litteraire.over-blog.com/kalouaz-ahmed.html
TABLE :
7 J'arrivais pas à dormir
10 La petite bouteille du dimanche
13 Les poètes ne meurent jamais
19 Aujourd'hui je m'endors
22 La colonne
25 Terre des amoureuses
28 Pourquoi ici ?
31 La musique est un cri
34 Eluard ou Verlaine
37 La casquette bleue
40 Prieuré Saint-Michel
43 En cas d'absence
46 Une poignée d'années
49 Les platanes de Van Gogh
52 L'étagère à livres
55 D'après leur voeu58 Le capitole
61 La fileuse de haine
64 Ecoute le tonnerre
67 La rue ou rien
70 Je n'oublierai jamais
73 Mais c'est là tout le temps
76 Des miens trop m'éloigner
79 Pour en arriver là
82 La tour sans venin
85 Bonjour Victoire
88 L'île aux mimosas
91 Comme un rêve oublié
94 Les passagers du Mont
97 L'esprit s'évade
100 Les bruits du monde
103 Le vieux café
106 Chemins d'encre
109 Hôpital rural
112 Chacuterie
115 L'enfance rieuse
118 Le tableau des départs
121 Le bel homme
124 Les grains d'or
127 Champ d'habit
130 Je mange dans les nuages