"Pense aux pierres sous tes pas" de Antoine Wauters
Après Nos mères, premier roman s’extrayant de la guerre pour tracer le parcours de survie et de reconstruction par les mots d’un enfant - d’un enfant porteur du feu de la vie, de l’amour et de l’écriture -, Antoine Wauters continue son chemin, tout en côtoyant aussi celui du poète Carlo Bordini (1) et d’Antonio Moresco et de sa Lucina (2), creusant plus loin encore le territoire de l’enfance. S’inscrivant dans une perception plus large de l’espace et du temps, de la place de l’homme dans l’univers, Pense aux pierres sous tes pas semble en effet chercher à pénétrer le mystère de la vie dans une sorte de retour à l’innocence première. Une exploration que seule rend possible la simplicité lumineuse d’une écriture poétique.
1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Carlo_Bordini

Dans un pays où se succèdent les dictateurs corrompus d’un Régime tentant de faire entrer son peuple dans l’Histoire - celle d’une «modernité» aveuglée par «le fric» - en décidant pour lui de son bonheur, deux jumeaux, un garçon et une fille liés par un amour fusionnel, par un amour absolu refusant de se plier aux normes, vivent libres et heureux malgré leurs «peurs couleur corbeau» et leurs manques affectifs tenant aux déficiences de leurs parents : à la violence de leur père comme à l’indifférence de leur mère. Mais une nuit de leurs douze ans, tout bascule. Alors que «dans le tam-tam de leurs coeurs fondus», leurs corps se sont rapprochés, leur donnant la légèreté «des anges et des dieux», leur père les surprend. Désormais séparée de Marcio en vertu de codes moraux réducteurs, Léonora est envoyée vivre chez son oncle. Commence alors le long chemin de la reconstruction, de la renaissance et de la réinvention de soi. Un chemin pour retrouver la joie car "tout ce qui est dévasté peut devenir rond, rond, rond encore" (3).
3) Citation de Carlo Bordini par l'auteur
Quand tu marches, pense aux pierres sous tes pas. Dis-toi que chacune d'elles compte et qu'en dehors, eh bien, il n'y a rien.
Le bonheur est en effet «dans chaque pas, dans chaque minuscule seconde». Il suffit parfois de simplement fermer les yeux pour en prendre conscience. Et au travers de la course du temps, des «mille rebonds de la vie», «l’essentiel ne change pas». Il faut alors retrouver l’enfant que l’on a été : celui qui aimait la vie. Une quête guidée par cette petite lumière qui nous maintient vivant et que nous révèlent l’érotisme et la poésie qui tous deux muent notre désir en don, en partage.
Dans cette longue marche hors du temps pour se rejoindre, pour retrouver en eux cette joie primitive et terrasser les ombres, ces deux jumeaux séparés semblent ainsi incarner le souffle de la vie, ce désir qui nous pousse vers l’autre et fait notre humanité, nous distinguant de la bête.

Le roman s’apparente à une fable nous renvoyant aux contes de notre enfance. Mais une fable revêtant une structure musicale et même chorégraphique qui, d’interludes en reprises, semble épouser la succession des cycles de destruction et de reconstruction de cette danse qu’est la vie. Les points de vue narratifs y alternent, celui de Léonora s’enrichissant de celui de Marcio et adoptant de prime abord le langage brut, concret et familier de l’enfance pour prendre peu à peu du recul. Un recul donné également par les lettres du père à son frère Pepino, Paps réussissant enfin à se dégager de la violence de ses sensations. Tandis que les injonctions et les exercices de Mama Luna, cette mère lunaire guérisseuse brandissant haut l’étendard de la poésie libératrice, salvatrice, viennent secouer l’apathie et relancer l’espoir à l’infini.
Un roman poétique doux et sauvage, à la fois existentiel et politique, qui transcende toutes les résignations.

Pense aux pierres sous tes pas, Antoine Wauters, Verdier 23 août 2018, 192 p.
EXTRAIT :
On peut lire les premières pages (p.1/17) sur le site de l’éditeur : ICI