Senza mai arrivare in cima / Sans jamais atteindre le sommet, de Paolo Cognetti

Publié le par Emmanuelle Caminade

Senza mai arrivare in cima / Sans jamais atteindre le sommet, de Paolo Cognetti

La montagne occupe une place primordiale chez cet écrivain milanais qui partage sa vie entre la ville trépidante et sa paisible "baìta" d'altitude dans le Val d'Aoste, creusant régulièrement ce filon dans ses écrits (1). Et cet "appel de la montagne" semble pour lui une quête vitale de sens, une quête infinie de soi dans son rapport au monde et à l'autre.

Dans son carnet de montagne Il ragazzo selvatico (2013) / le garçon sauvage (2016), Paolo Cognetti relatait ainsi le ressourcement dans la solitude de sa montagne d'enfance d'un auteur trentenaire étouffé par sa vie citadine, avec pour seule compagnie les livres de Nicolas Bouvier, David Thoreau ou Mario Rigoni Stern... Un récit autobiographique qu'il transposa dans un langage romanesque, l'enrichissant d'un voyage dans cet Himmalaya si souvent rêvé à partir de ses lectures de jeunesse, et de philosophie bouddhiste. Et après l'immense succès de Le otto montagne (2016) / Les huit montagnes (2017) qui remporta le "premio" Strega et le prix Médicis étranger et fut traduit dans de nombreuses langues, cet auteur "multigenres" - également nouvelliste et essayiste, ce que nous ignorons parfois en France où ces ouvrages ne sont pas traduits - revient au récit de montagne, forme libératrice qu'il affectionne tout particulièrement (2). Il s'y retrouve en effet sans a priori dans une humble position d'apprentissage, d'observation et d'écoute, faisant le vide en lui et se laissant remplir, essayant de comprendre ce qu'il voit et d'approcher l'invisible.

1) Une sensation ressentie plus encore par le lecteur français puisque, après Sofia si veste sempre di nero (2012) /Sophie s'habille toujours en noir (2013), les trois derniers des quatre livres de l'auteur traduits dans notre langue lui sont consacrés (ses nouvelles et ses essais provenant d'autres sources d'inspiration n'ayant pas été traduits)

2) Cf https://libreriamo.it/libri/paolo-cognetti-mio-libro-racconto-viaggio-che-mi-ha-cambiato : "E per me scrivere di viaggio è stato liberante: mettersi nella posizione di uno che impara, che osserva e fa vuoto e si lascia riempire. Scrivere un libro così è più gioioso, mi ha fatto bene, perché mi ha costretto a pormi in una posizione di ascolto verso le cose. Fare lo scrittore è, nell’invisibile, provare a capire  cosa si vede. Per questo occorre mettersi in una posizione di ascolto".

 

Trek dans le Haut Dolpo Népalais

 

Senza mai arrivare in cima / Sans jamais atteindre le sommet est le récit d'un trek automnal d'un mois accompli à l'occasion du quarantième anniversaire de l'auteur dans le nord-ouest du Népal, dans cette montagne qui de la ville semble une abstraction, et où disparaissent les frontières et s'abolit le temps. Sur les hauts plateaux du Dolpo, Paolo Cognetti parcourut ainsi trois cents kilomètres à pied et franchit huit cols à plus de 5000 mètres sans chercher à atteindre aucun sommet, au sein d'une expédition mettant en branle une caravane de vingt-cinq mules et de vingt-deux personnes : guides, porteurs, muletiers et cuisiniers locaux et une dizaine d'Alpins dont lui-même et ses deux amis Nicola et Remigio (dans lequel on reconnaîtra Bruno l'ami d'enfance montagnard de son dernier roman). Sans compter la chienne Kanjiroba qui se joindra au trio et dans laquelle les amis finiront avec humour par voir une réincarnation de l'écrivain américain Peter Matthiessen (3).

3)https://fr.wikipedia.org/wiki/Peter_Matthiessen

https://next.liberation.fr/livres/2014/04/07/peter-matthiessen-ecolo-au-coeur-pur_993810

 

"On est toujours solitaire en montagne, même accompagné", et le seul ami à vraiment pénétrer l'intimité du narrateur s'avère l'auteur du célèbre Léopard des neiges (4), dont on sent constamment la présence invisible. Car ce livre de chevet emporté dans son sac à dos, lu et relu, a inspiré en grande partie ce périple sur les traces du voyageur naturaliste écologiste et bouddhiste zen, Paolo Cognetti y faisant constamment allusion, le citant et le commentant dans son récit qui, a bien des égards, semble une sorte de réécriture, quarante ans après, de cet ouvrage culte.

L'auteur désirait retrouver la vivacité de cette antique culture montagnarde disparue et abondamment évoquée dans son précédent roman tout en donnant chair au royaume perdu de l'enfance, et surtout constater de ses yeux, avant qu'elle ne disparaisse, qu'il existait encore une montagne vierge, intègre. Délaissant les Alpes désormais colonisées par la ville pour cet Himmalaya déjà gagné par la modernité, c'est donc dans le coin le plus reculé du Népal, dans ce "petit Tibet" à côté du grand aujourd'hui perdu, qu'il s'est rendu, reprenant quasiment le même sentier que Matthiessen et s'immergeant dans une terre d'une immuabilité apaisante, imprégnée d'une culture bouddhique encore vive.

4) https://www.babelio.com/livres/Matthiessen-Le-leopard-des-neiges/80291

"Om Mani Padme Hum"

Et ce retour aux racines prend doublement la forme d'un pélerinage car ce voyage qui semble la commémoration d'un écrivain avec lequel l'auteur se sent en affinité s'avère aussi une sorte de parcours sacré empreint de mysticisme dans une montagne où affleure l'invisible, comme ces empreintes de léopard des neiges : une sorte de "chemin de purification" scandé par ces "Om Mani Padme Hum", vers mystérieux inscrit partout dans le paysage et résonnant comme un mantra. Un pélerinage laïque à connotation bouddhiste dont le but n'est ni d'atteindre une cité sainte ni de conquérir un sommet inviolé, mais se contentant de décrire des cercles autour, se concentrant sur le chemin, sur cette longue et souvent éprouvante marche en altitude qui donne une autre dimension au temps et à l'espace. Un parcours rappelant le dessin du vieux sage de la vallée de l'Everest dans Le otto Montagne / Les huit montagnes. Une manière différente d'approcher la cime du Sumeru (5), d'approcher l'essence de cette montagne originelle, l'essence de la vie et sa propre authenticité.

5) Un dessin en forme de mandala représentant une roue dont les huit rayons séparant les mers, à l'extrémité desquels se trouve une montagne, convergent en un centre occupé par le plus haut sommet, celui du Sumeru. Une représentation asiatique du monde et du choix s'offrant à l'homme pour y inscrire sa vie

On retrouve par ailleurs dans cet ouvrage le thème du double antagoniste déjà très présent dans Le otto montagne (6), cette idée que nous ne sommes pas fait d'un seul bloc et voyons s'affronter en nous et se compléter des tendances, des aspirations différentes, voire contradictoires. Et ces "saliscendi", ces montées et ces descentes entre montagne et vallée, tout comme ce va-et-vient entre écriture fictive (nouvelles et romans) et récits ou essais, semblent traduire chez l'auteur une recherche constante d'équilibre et d'harmonie avec le monde et avec soi.

6) Notamment dans ce héros tenant à la fois de son père et de sa mère, tendu entre l'appel de l'âpre et solitaire haute montagne et sa préférence pour les plus riantes vallées boisées, mais aussi dans le contraste entre Piero le citadin et Bruno le montagnard

 

 

On lit avec plaisir ce carnet de voyage plein de charme agrémenté de cartes et de dessins de l'auteur et de deux aquarelles de Nicola Magrin (dont une en couverture), appréciant toujours la simplicité, la limpidité et la fraîcheur du style de l'auteur.

Mais si l'on goûte les descriptions des paysages et des rencontres sur ces hauts plateaux du Dolpo népalais, comme celles de la vie quotidienne au campement, ainsi que cette sorte de dialogue qui semble s'instaurer entre Peter Matthiessen et l'auteur, trop de pensées et de réflexions reprennent les thèmes du précédent roman de Paolo Cognetti, donnant au lecteur l'impression de tourner un peu en rond. Et on espère que cet écrivain à l'authenticité attachante renouvellera à l'avenir ses sources d'inspiration.

 

 

 

 

 

Senza mai arrivare in cima, viaggio in Himmalaya, Paolo Cognetti, Einaudi, novembre 2018, 116 p.

 

 

 

 

Sans jamais atteindre le sommet, voyage en Himmalaya, traduit de l'italien par Anita Rochedy, Stock, 9 mai 2019, 176 p.

 

A propos de l'auteur :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Paolo_Cognetti

 

EXTRAIT :

 

Capitolo primo

Lungo il fiume

p.12

(…)

Da quando c'era andato a vivere, in montagna, più delle cime avevano cominciato a interessarmi le valli, e più degli alpinisti i montanari. Ero affezionato all'idea che esistesse un unico grande popolo sulle terre alte del mondo, ma era anche quella una romanticheria : sulle Alpi eravamo ormai cittadini dell'immensa megapoli europea, o di una sua periferia boscosa. Abitavamo, lavoravamo, ci spostavamo, avevamo relazioni da cittadini. Esistevano ancora, i montanari ? C'era da qualche parte una montagna autentica, libera dal colonialismo della città, integra nel suo essere montagna ? Con questo spirito ero andato in Nepal qualche anno prima. Avevo girato le zone più frequentate solo per scoprire che anche in Himmalaya la modernità stava portando i suoi doni : strade, motori, telefoni, energia elettrica, prodotti industriali, il benedetto desiderato benessere in cambio di una cultura antica, povera e destinata all'estinzione, proprio come quella alpina. Dovevo cercare meglio, andare più lontano.

(…)

p.17/18

(…) Peter si ritrovò vedovo, padre di un bambino piccolo, sperduto in molti sensi : arrivò provvidenziale l'invito d'un amico zoologo che andava in Nepal a studiare il comportamento dei bharal, le pecore azzure dell'Himmalaya. Meta della spedizione era Shey Gompa, il «monastero di cristallo» nel cuore del Dolpo, dove la caccia era stata vietata dal lama locale e quei selvatici proliferavano. Con un po' di fortuna si sarebbe potuto avvistare anche il loro principale predatore, il leopardo delle nevi, «il più ellusivo dei grandi fellini», mai osservato da nessuno o quasi. Non era un buon modo per ricomenciare, o almeno una perfetta fuga ? Peter lasciò il figlio a una coppia di amici e partì. «Ecco un vero pellegrinaggio, un itinerario del cuore», scrisse, verso «l'ultimo rifugio rimasto al mondo di incontaminata cultura tibetana». Da queste righe e da una mappa disegnata a mano cominciava il diario che gli avrebbe portato la fama. Come mi era successo altre volte, ero incappato nel libro appena troppo tardi per conoscere l'autore : Peter era morto nel 2014, quasi novantenne, un vecchio alto e magro dalla faccia segnata e gli occhi chiarissimi. Li guardavo in una foto in bianco e nero che usavo come segnalibro e mi sembravano così tersi, occhi senza ombre e senza segreti.

(…)

p.33/34

(…)

Volevo andare a vedere il lago e rimandai ancora un po' il bisogno di stendermi al caldo e dormire. Attraversando un ponte sospeso riconobbì un masso descritto da Peter, con l'Om Mani Padme Hum dipinto nel bel mezzo del torrente. Mi impressionava che dopo quarant'anni fosse ancora lì, ma il monastero diroccato sulla riva ne aveva forse quattrocento. Un pastore di yak che sonnecchiava tra i cespugli apri un occhio mentre scendevo verso l'acqua. Anche due occhi di Budda sinuosi, sensuali, dipinti sulla parete di un chorten, mi osservano tra gli alberi. Chi di noi stava guardando, chi veniva guardato ?

Mi sedettì sotto un ginepro carico di bacche mature e ne raccolsi qualcuna senza motivo, le misì in tasca pensando che prima o poi avrei trovato la ragione di quel gesto. Phoksundo da dov'ero appariva senza fine, si allungava e giù in fondo si biforcava tra altissime pareti rocciose. Secondo Peter, che passando di lì aveva raccolto le leggende locali, nessun pesce vi era mai vissuto né alcuna barca l'aveva solcato, il che lo rendeva ancora più tetro ai miei occhi : da sempre, tanto quanto mi rallegra l'acqua turbinosa dei torrenti, mi inquieta quella immobile dei laghi di montagna. Provai a fare amicizia con lei abbozzandone scorci sul mio taccuino. Il tratto era incerto, la mano tremava, e pazienza se non sapevo disegnare il ramo di un pino sporgente che ne lambiva la superficie, le rocce affioranti come arcipelaghi, il monastero in rovina. Misi a fuoco un'idea : che il lago riflette ogni cosa ed è dunque fatto di ciò che si specchia in lui, come me in quel momento. E l'unica linea orizzontale e retta dove tutto è obliquo, ricurvo, spezzato, irregolare : forse era questo che mi turbava. O forse erano pensieri distorti dalla nausea che mi aveva invaso.

(...)

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