ETAIS, trente-six poètes, de Jean-François Agostini
Jean-François Agostini est poète et photographe, ce qui n'a rien d'antinomique car photographie et poésie, s'étayant l'une l'autre, apprennent à voir au-delà. Chacune exprime, en images ou en mots, ce que saisit de notre monde, avec toute sa subjectivité, un œil à l'affût : «Notre œil, notre monde», conclut ainsi le poème d'Hannah Arendt placé en exergue du livre (1).
Mais dans ce recueil un peu particulier, c'est à ses nombreux amis poètes que l'auteur a proposé d'accompagner, de soutenir ses photos de leurs textes en vers ou parfois en prose (2), «leur offrant avec ses images la part en attente, hors langage, la part silencieuse de son expression» (3), les deux sensibilités artistiques venant ainsi se renforcer au travers de la multiplicité des subjectivités.
1) La théorie des couleurs de Goethe, Hannah Arendt
2) Certains textes étant bilingues : corse/ français ou italien/français
3) Comme le dit si bien Antoine Graziani dans le texte de clôture
Ayant pris durant trois ans, à toute heure du jour ou de la nuit – tributaire de plus des caprices de la météo -, plusieurs centaines de photos de la presqu'île et de l'île de Pinarello surmontée de sa tour génoise au sud-est de la Corse, comme des roches voisines de la Capicciola balayées par les vagues, Jean-François Agostini en sélectionna trente-six. Une sélection qu'il réalisa en ayant en tête les quatre éléments constitutifs de notre univers, donnant ainsi à ce partage amical une dimension cosmique renvoyant même au divin, ou du moins à une certaine transcendance – ce que souligne la deuxième citation (d'Abû Hayyân-el-Tawhidi) placée en exergue du livre.
Sur ces photos, on voit donc la terre, souvent «en silhouette en bas de l'image», l'air et l'eau, «le ciel et les formes de l'eau en suspension», des embruns aux «nuages anthropomorphes» (4) se parant de multiples couleurs, notamment quand ils sont incendiés par le feu du levant.
Et ces photos mariant lumières et ténèbres car "l'obscurité luit autant que la clarté" (5) déclinent ainsi autour d'un même lieu toute une gamme de formes et de couleurs, à laquelle s'ajoutent ces mots reflétant la diversité des imaginaires sollicités qui nous entraînent avec eux dans de longues rêveries, nous renvoient dans un condensé à l'essentiel, ou nous plongent dans le fracas sonore des vagues qui se brisent...
4) Cf Jean-François Agostini dans l'introduction présentant son travail (p.11)
5) Hannah Arendt, ibid
Issu d'une démarche originale, ETAIS, trente-six poètes, s'avère ainsi un très beau recueil poétique collectif s'apparentant à un livre d'art, qui résonne comme de riches variations autour de notre monde.
ETAIS, trente-six poètes, Jean-François Agostini, Les Presses littéraires, Juillet 2019, 104 p.
Né à Paris en 1955 Jean-François Agostini vit à Fiori en Corse du sud entre mer et oliviers. Il quitte à 32 ans les artifices d’une carrière administrative et tient depuis une paillotte poétique saisonnière sur une plage bordant la Tyrrhénienne, il y accueille ses amis poètes, plasticiens, comédiens et passants des sables. Il s’occupe l’hiver de ses oliviers (ou vice versa) ainsi que de poésie au sein de l’association littéraire Entrelignes. Créateur et organisateur de Voyage en vers, manifestation annuelle destinée à faire découvrir la poésie contemporaine aux élèves des écoles primaires de la microrégion lors du Printemps des poètes. Créateur et organisateur des Mots en hiver, rencontres, lectures, conférences, débats avec des poètes de tous les horizons. Créateur et organisateur, en partenariat avec la Cinémathèque de Corse et l’association Cinémotion du festival de courts métrages et poésie Des courts en hiver. (Les Presses littéraires)
http://l-or-des-livres-blog-de-critique-litteraire.over-blog.com/agostini-jean-francois.html
Mehdi Marc Aït-Ali, Marie Alloy, Jean-Paul Angeli, Joël Bastard, Olivier Bentajou, Béatrice Bonhomme, Jacques Brémond, Anna Maria Celli, Valérie Canat de Chizy, Christian Degoutte, Jean-Michel Delambre, Alain di Meglio, Sylvie Durbec, Jacques Fusina, Antoine Graziani, Cécile A. Holdban, Jean Le Boël, Isabelle Lévesque, Danièle Maoudj, Jean-François Mathé, Xavier Malowski, Marcel Migozzi, Angèle Paoli, Jean-Baptiste Para, Pierre Perrin, Siegfried Plümper Hüttenbrink, Rossano Pestarino, Elis Podnar, Serge Prioul, Erwann Rougé, Marie-Ange Sebasti, José Vala, Jean-Pierre Verheggen, Anick Vinay, Claire Sylvie Vincensini
Ils font le pays ceux qui interrogent la mer
sans jamais obtenir de réponses. Ils la
regardent longuement sans la voir et c'est
l'horizon soutenant leur regard qui les fait
terre.
Joël Bastard
05.00
Pulsion sauve qui bat dans l'oubli
irradie dans l'ébloui
l'aiguille à nue
incise la veine bleue de l'aurore
un infime incendie prolifère
luit
sur l'épiderme glabre de l'été
le tain de l'obscurité se brise
dévoile l'envers ensanglanté du ciel
l'éloquence du jour à la commissure du feu
Olivier Bentajou
Rut maritime (extrait)
(...)
Tout est cisaille et mise à sac ; tout est outrance, charges et saccages, par chaque débâcle du mordant aveuglé de ressac. Tout est tenaille. Un cadentiel.
Machine ou organisme, tout un bris d'être cogne et s'élève, tombe et retombe, giflé, comme une voix ivre et recommence :
… lorsqu'on s'arrache du mur, décolle du sûr, s'enlève en l'air et puis, très dur, fore le silence ;
force, obsessif, cet extérieur d'un monde un peu trop à sa place, obscène, à l'accoudoir.
(…)
Mehdi Marc Aït-Ali
le ciel prend à la terre
quelques heures de désert et de sang
des rendez-vous de boue et d'or
Le ciel porte l'écharpe
de secrets écarlates noués
à de pâles instants
Il présente l'abîme à la lumière
Emprunter leurs chemins partagés
de crêtes et de vents
avec l'hésitation du regard ébloui
avec l'audace
de la mémoire incandescente
Marie-Ange Sebasti