Il tram di Natale / Le tram de Noël, de Giosuè Calaciura

Publié le par Emmanuelle Caminade

 

Dans Il tram di Natale / Le tram de Noël, publié en Italie en novembre 2018 et venant de sortir en France dans la traduction de Lise Chapuis (et dans une version illustrée par Jacques Dubois), Giosuè Calaciura s'inspire ostensiblement (1) de A Christmas Carol (2), un conte de Dickens marqué par la lutte des classes et porteur d'un message social qui décrit la rédemption de son héros une nuit de Noël où il fut visité par des fantômes. Et si de Dickens l'auteur italien a conservé, outre l'aspect onirique, la préoccupation sociale et l'intention didactique, ces dernières semblent l'emporter sur cette espérance rédemptrice conforme à l'esprit de Noël.

1) Le conte étant cité en exergue du livre et l'auteur y faisant référence dans l'histoire d'une des protagonistes

2) A Christmas Caroll in Prose: Being a Ghost Story of Christmas (Chant de Noël en prose : histoire de fantômes de Noël)

 

L'intrigue se déroule la nuit de Noël dans une ville non identifiée qui pourrait être n'importe quelle ville. Le tram n°14 y accomplit son dernier trajet le ramenant du centre à son terminus, à cette "périphérie de la périphérie où Dieu se refusait de regarder, où il n'avait, même par erreur, jamais pénétré". Enfermé dans sa cabine tapissée de journaux occultants, le conducteur n'a pas remarqué la couverture nouée au dossier du dernier siège du fond dans laquelle se trouve abandonné un bébé noir venant de naître.

Son tram en mouvement dont les phares et les étincelles jaillissant du pantographe illuminent la nuit apparaît alors comme une comète, à l'instar de celle qui guida les bergers et les mages vers l'enfant Jésus. Et à chaque arrêt vont monter des hommes et des femmes affamés et exploités, fatigués et résignés, prisonniers de leur misère et de leur solitude : prostituée noire malade et son client veuf aux cheveux teints en mal d'amour, vendeur de parapluies ambulant délaissé par son fils parti travailler en Allemagne, serveur philippin dépossédé de son nom, jeune clandestin africain ou vieux magicien bengali frappé d'Alzheimer...

S'entassent ainsi dans ce wagon plongé dans le noir par le conducteur pour aider au repos de ses passagers, ces "prisonniers pour des siècles des Limbes, marqués du péché originel, sans condamnation et sans Paradis, gris et oubliés, avec une seule espérance : que l'on prie pour eux." Tout un peuple tentant désespérément de survivre que notre indifférence a rendu invisible.

Et, hypnotisés par les lumières extérieures des réverbères qui strient régulièrement l'obscurité du couloir de ce tram, ces derniers passagers vont finir par voir ce nouveau-né comme un miracle de la nuit de Noël et tous s'agenouiller autour de lui, formant une étrange crèche moderne.

 

Nativité, peinte par  Rembrand

 

Ce petit texte d'une centaine de pages emprunte la simplicité de la structure cumulative des contes en chaîne dont l'auteur amoindrit le côté répétitif en introduisant à mi-parcours une rupture (3). Tandis que le final, déjà annoncé par la montée d'une infirmière interprétant l'événement de manière réaliste et rationnelle en ne faisant pas de cet enfant "le fruit du miracle de Noël", s'avère surprenant.

3) L'intrusion de deux représentants des "Volontaires de la Patrie", petits nazillons racistes pourchassant les noirs et les étrangers qui, ne voyant pas l'enfant et ne faisant pas le poids dans ce wagon, verront la peur changer de côté et s'enfuiront à l'arrêt suivant

Dans ce huis clos entrent successivement en scène de manière assez théâtrale ces différents protagonistes qui n'ont pas de place décente dans ce monde. Et Giosuè Calaciura va s'attarder tour à tour sur chacun, le narrateur racontant avec empathie leur histoire, leur journée, en se mettant de leur point de vue, et avec une ironie parfois burlesque et beaucoup de tendresse. Il juxtapose ainsi une somme d'histoires pitoyables sans céder pour autant au pathos : des destins plombés certes similaires mais dont il veille à préserver la singularité, restituant ainsi à chacun sa dignité.

 

On retrouve bien sûr toute la symbolique et le lexique chrétiens d'un auteur qui a toujours manifesté un certain goût du blasphème et nous décrit un monde abandonné de Dieu dans lequel s'épanouit l'injustice des hommes. Et ce conte s'avérant assez amer tend à sensibiliser et à déstabiliser ceux qui, tel ce conducteur d'un tramway "crucifié sur l'asphalte" rêvant de "conduire un autobus" et de se perdre dans "la liberté des pneumatiques", refusent de voir et d'entendre.

Il tram di Natale/ Le tram de Noël s'apparente plus à un anti-conte de Noël inversant la donne du miracle rédempteur. Si on peut y trouver quelques petits miracles, au sens banal du terme (4), le sacré en effet semble y changer de camp. Dans cette énième Nativité, ce n'est plus Dieu qui envoie son fils se sacrifier pour racheter les péchés des hommes mais ce sont ces hommes et ces femmes qui, dans "l'acmé de leur souffrance", acquièrent sainteté. Ce sont eux qui, grâce au miracle de la plume poétique et compassionnelle de Giosuè Calaciura, vont tenter de rédimer leurs semblables enfermés dans leur confortable aveuglement.

Mais peut-on ouvrir les yeux sur la misère et l'injustice de ce monde intolérable sans en devenir fou ? Rien n'est moins sûr.

4) Notamment cette retrouvaille inopinée de personne ou d'objet perdus, ou cette solidarité nouvelle venant rassembler ces passagers solitaires qui face à l'enfant de la crèche vont partager un même gâteau

 

 

 

 

 

 

Il tram di Natale, Giosuè Calaciura, Sellerio2018, 107 p.

 

 

 

Le tram de Noël, traduit de l'italien par Lise Chapuis, éditions Noir sur Blanc, 22 octobre 2020, 116 p.

 

A propos de l'auteur :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Giosu%C3%A8_Calaciura

http://l-or-des-livres-blog-de-critique-litteraire.over-blog.com/2018/05/calaciura-giosue.html

 

EXTRAIT :

On peut lire la présentation du livre (en italien) et en feuilleter les premières pages (p.11/17) : ICI

 

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