P.M. Ziegler, peintre, de Noëlle Renaude
Né en 1950, Pierre-Marie Ziegler s'est donné la mort en 2013, laissant une œuvre picturale "à double lecture, figurative et abstraite", à une époque où la peinture devenait le parent pauvre de l'art contemporain. Dédié à leur fils lui-même peintre (1), ce livre que lui consacre la dramaturge Noëlle Renaude, ayant vécu et travaillé à ses côtés durant plus de quarante ans, ne semble pas avoir pour principale ambition de faire connaître sa peinture à un public plus large. Comment interpréter sinon cette absence de reproductions, hormis celle illustrant la couverture (2) ?
Si, au-delà des époques et des lieux, elle dégage les constantes qui sont l'ordinaire des peintres dont les œuvres modifieront néanmoins les «courants d'art», éclairant notamment ces «préparatifs imposés» mobilisant le temps «pour arriver à se poser calmes et droits debout comme des gamins au piquet devant une surface vide», l'auteure ne nous en apprend pas plus sur ce que signifie être peintre. Et bien qu'elle s'interroge sur l'acte de création, elle avoue n'avoir jamais vraiment saisi comment fonctionnent les peintres ni ce qui au fond les anime : «Elle n'y comprenait rien en fait, elle avait beau partager sa vie avec un peintre, le secret restait entier».
Il y a en effet quelque chose d'irréductible dans la peinture qui appartient au règne de l'indicible, les peintres parvenant à créer leur monde avec leur fougue à eux «sans le secours de ces mots soudés et de leur sens».
1) le peintre Julien Ziegler, formé à la villa Arson
2) Une absence de reproductions de ses toiles qui conduira néanmoins le lecteur curieux à en rechercher sur le site du peintre (ici), cette connaissance préalable me semblant ajouter un intérêt non négligeable la lecture du livre
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Sans titre, Huile sur bois, 7,5 x 6 cm, 1992
Après un premier rendez-vous raté avec la mort à vingt et un ans, Pierre-Marie Ziegler, rejoignant la prédestination ancestrale et la prédiction maternelle, annonça qu'il allait «devenir peintre, en bâtiment, décorateur, artiste, copiste, faussaire peu importe mais peintre, passer quoiqu'il arrive sa vie le pinceau à la main».
Et P.M. Ziegler, peintre est la biographie de cet homme ayant peur de la «nuit qui avance» dont la peinture se confond avec l'existence, lui permettant d'apprivoiser l'incompréhensible et terrifiante réalité pour rendre cette vie «possible et fréquentable». C'est le récit d'un «acharnement à avancer, à peindre et à vivre». Un roman remontant le temps de manière étonnamment apaisée et même joyeuse car si «le monde en général lui va mal», si ce peintre a «besoin d'un sas entre le monde et lui», «il est bien comme il est dans ce monde qui ne lui va pas».
L'auteure, fort heureusement, ne plonge jamais dans le pathos ni même ne l'effleure, évitant les écueils de son sujet grâce à une écriture humble et aimante, sobre et pudique. Outre le temps écoulé depuis le suicide de son époux, la narration à la troisième personne apporte le recul nécessaire, auquel s'ajoute souvent une légère distance comique. Et, surtout, la démarche formelle qu'elle adopte s'avère d'une émouvante pertinence, semblant parfaitement épouser celle du peintre. Comme si «la proximité du peintre peignant» avait déteint sur son écriture.
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P.M. Ziegler, peintre est un récit fragmenté en cinquante-deux courtes séquences ou petits tableaux accumulant des «copeaux d'existence», rassemblant les éléments anodins d'une «vie périssable» qui, dans leur banalité, racontent l'essentiel. Et le choix de ce titre minimaliste résonne étrangement comme une épitaphe qu'on n'aurait pas voulu réduire à deux dates, l'important étant le contenu de la parenthèse : tous ces «brefs instants de vie» que l'auteure note d'un trait précis.
Noëlle Renaude ravive ainsi les traces du peintre disparu pour dire qu'il a vécu, tentant d'en réconcilier tous les morceaux. Car «il vivait comme il pouvait mais il vivait». Et son livre s'avère moins le portrait d'un peintre que le «paysage d'une vie» passée le pinceau à la main. Le roman d'une vie se construisant dans la peinture, avec toute sa part de mystère.
Et c'est bien là que ce récit d'un destin singulier prend une résonance universelle, tant il renvoie à la part mystérieuse des vies de ceux qui nous sont pourtant les plus proches. A la solitude et au mystère de chaque être humain.
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P.M. Ziegler,peintre, Noëlle Renaude, Inculte, 12 janvier 2022, 150 p.
https://fr.wikipedia.org/wiki/No%C3%ABlle_Renaude
On peut lire les premières pages (p.7/17) sur le site de l'éditeur : ICI (cliquer sur "lire un extrait" sous la couverture)