Tout sur Pasolini, sous la direction de J. Gili, R. Chiesi, S. Cirillo et P. Spila
En Italie comme en France, beaucoup de livres ont déjà été consacrés à la vie et à l'oeuvre volumineuse et protéiforme de Pier Paolo Pasolini, romancier, essayiste, dramaturge, cinéaste et poète en toutes choses qui fut une figure marquante du XXème siècle italien. Un écrivain, tel qu'il aimait à se définir (1), qui a utilisé tous les langages pour saisir «la prose du monde» : les signes par lesquels s'exprime la réalité.
Né avec le fascisme, il fut le témoin critique des grandes mutations socio-culturelles de son pays dans les années 1960, mettant en lumière un «nouveau stade d'aliénation avec le couple néo-capitalisme-télévision». Et, pressentant l'avenir, il incarna une modernité paradoxale rattachée à ses fondements, «ni progressiste ni régressiste mais en marge des catégories morales et temporelles», avant de mourir en 1975, à l'âge de cinquante-trois ans, sordidement assassiné dans des conditions encore mal élucidées.
A l'occasion du centenaire de sa naissance, les éditions Gremese ont conçu un impressionnant ouvrage collectif franco-italien, aussi peu académique que l'écrivain auquel il rend hommage. Un copieux ouvrage très approfondi (2) mais se voulant digeste qui, sous la forme d'un dictionnaire encyclopédique épousant la prolixité et l'éclectisme pasoliniens, pourra combler les spécialistes tout en étant accessible à un public plus large. Ses concepteurs en effet, misant sur la diversité des approches et la fragmentation (permettant une lecture étalée dans le temps mais aussi un certain grappillage) ont pertinemment opté pour une tonalité lisible.
1) "Sur mon passeport, il est écrit écrivain"
2) Riche d'une importante bibliographie et de nombreuses notes en fin d'article
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Pasolini et les "Borgate"
Tout sur Pasolini ne prétend pas à l'exhaustivité mais tente d'éclairer les multiples facettes de la vitalité créatrice bouillonnante de cet inclassable «poète des choses», en s'intéressant tant à l'oeuvre - analysée et contextualisée de manière très pointue - et à sa réception qu'à l'homme «hanté par des mythes personnels». Il embrasse ainsi la complexité d'une pensée polymorphe sans cesse en mouvement, d'une «révolte poétique et théorique» certes liée aux évolutions économiques et politiques de la société mais indissociable de l'individu, du contexte historique et familial dans lequel il s'est formé, de ses lectures, de ses affects et de ses goûts comme de ses voyages, de ses découvertes et de ses rencontres…
Elaboré sous la direction de Jean Gili, Roberto Chiesi, Silvana Cirillo et Piero Spila (eux-mêmes parties prenantes de l'ouvrage), ce dictionnaire encyclopédique de grand format comptant quatre cent cinquante pages regroupe ainsi les textes et les contributions de cinquante experts (3) pasoliniens français et italiens (4) et s'enrichit d'une importante iconographie (5).
3) Essayistes, enseignants universitaires et chercheurs, journalistes critiques notamment de cinéma ... tous présentés en quelques lignes à la fin de l'ouvrage (6 pages étant consacrées aux auteurs)
4) Les textes italiens ayant été traduits par Fabien Gautheron
5) Images d'archives en noir et blanc disséminées dans les multiples contributions mais aussi de nombreuses pages en couleur reproduisant des images de ses films
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L'ouvrage débute par une présentation de Pasolini permettant notamment au lecteur non initié de se familiariser avec cette peu conforme figure. Après une préface de Philippe Vilain mettant en lumière sa modernité, suivie de deux articles de Hervé Joubert-Laurencin et de David Luglio s'attachant au rôle du contexte historico-familial dans lequel est né et a grandi l'écrivain italien, et éclairant l'impact du dialecte frioulin sur son rapport à la langue et à la réalité, une biographie détaillée d'une dizaine de pages fixe les dates et événements importants (même apparemment minimes). Tandis qu'une sélection thématique alphabétique de courts textes de Pasolini (6) donne un bref aperçu de sa pensée dans différents domaines.
Nous pouvons alors aborder à proprement parler le dictionnaire encyclopédique pasolinien qui, avec près de 340 entrées semblant parfois un peu hétéroclites, nous entraîne du A de Accattone (six pages étant consacrées à ce premier film en tant que réalisateur), d'Afrique (voyages ayant initié la découverte de tout un «univers anthropologique») ou d'Animaux (côtoyés dès l'enfance) ... au Z du peintre Zigaina Giuseppe avec lequel Pasolini noua une amitié de presque trente ans «qui s'est prolongée par delà la mort». Et ceci en passant notamment par le C de Callas Maria qui joua dans son film Médée : «la femme qu'il avait le plus aimée après sa mère», de Cendres de Gramsci, important recueil de poésie écrit entre 1951 et 1956 et de Chansons (rappelant son grand intérêt pour les chansons populaires)... Ou le F de fascisme, football et frère …
6) S'y ajoutent les nombreuses citations insérées dans les divers articles, auxquelles je reprocherais, particulièrement pour les extraits de poèmes, de n'être quasiment que des traductions nous privant de la version originale. Dans un ouvrage franco-italien, on aurait pu attendre une plus grande présence de la langue italienne !
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On pourrait s'étonner de l'absence délibérée d'une bibliographie complète qui perturbe les repères habituels permettant d'aborder l'oeuvre d'un écrivain ou d'un artiste. Quelques pages supplémentaires en effet n'auraient en rien alourdi l'ouvrage. Mais une approche transversale kaléidoscopique a été préférée à une approche chronologique séparant les genres. Sans doute car l'oeuvre de Pasolini n'est compréhensible que prise dans son ensemble.
Pour néanmoins faciliter le repérage, un jeu de quatre symboles précisant le genre (cinéma, roman, essai, poésie) a été judicieusement introduit pour accompagner les titres des entrées concernant l'oeuvre. On remarquera de plus des pages grises démarquant les six entrées "Cinéma", "Critique cinématographique", "Essais", "Poésie", "Roman" et "Théâtre" (5) où sont analysés en profondeur chacun de ces genres et leur importance dans l'oeuvre pasolinienne. Une analyse se prolongeant dans le domaine des arts avec des pages grises consacrées à la place de la Danse, de la Musique et de la Peinture dans cette œuvre. Et on notera la visibilité de ces entrées (en capitales et caractères gras) dans la Table des matières.
Outre les huit pages iconographiques exposant quelques tableaux et dessins de Pasolini, un important cahier central de quatre-vingt pages propose par ailleurs des reproductions (essentiellement en couleur) extraites des nombreux films de Pasolini, qui ne sont nullement regroupées par film mais classées par association d'images : un classement qui permet de rendre compte de l'imaginaire et des obsessions pasoliniens.
Tout sur Pasolini s'avère ainsi un ouvrage capital - faisant la part particulièrement belle au cinéma - qui élargit et approfondit nos connaissances en abordant l'homme et l'oeuvre sous des angles nouveaux. Un ouvrage qui nous donne de multiples clés pour entrer dans l'univers pasolinien, rendant ainsi cette œuvre singulière intelligible. Et, presque un demi siècle après sa mort, il montre combien la pensée de Pasolini trouve encore son actualité.
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Tout sur Pasolini, sous la direction de J. Gili, R. Chiesi, S. Cirillo et P. Spila, éditions Gremese, 3 février 2022, 450 p.
Ouvrage réalisé sous la direction de Jean Gili, Roberto Chiesi, Silvana Cirillo et Piero Spila, avec les textes et les contributions de :
Gloria Albonetti, Nicolas Bauche, Pascal Binétruy, Roberto Calabretto, Stefano Casi, Matteo Cazzato, Andrea Cerica, Roberto Chiesi, Silvana Cirillo, Claudio Crescentini, Anthony Crézégut, Nicola De Cilia, Luciano De Giusti, Dominique Delouche, Gualtiero De Santi, Patrizia Felici-Bisson, Fabio Francione, Maurizio Franzini, Enrico Giacovelli , Roberto Gigliucci, Jean Gili, Alessandra Grandelis, Marinella Guatterini, Anne-Violaine Houcke, Hervé Joubert-Laurencin, Paolo Lago, Patrice Lajus, Filippo La Porta, Bertrand Levergeois, Bernard Lonjon, Davide Luglio, Alessandro Macis, Anton Giulio Mancino, Giuseppe Manfridi, Jean-Jacques Manzanera, Dacia Maraini, René Marx , Patrizia Masala, Caroline Masoch, Jean-Max Méjean, Domenico Monetti, Tommaso Mozzati, Jean-Michel Ropars, Alfredo Rossi, Guido Santato, Alberto Sobrero, Paolo Speranza, Piero Spila, Giacomo Trevisan, Francesca Tuscano.
EXTRAIT :
L'éditeur interdisant expressément toute reproduction même partielle d'un contenu de ce livre je n'en donne pas d'extraits.