Oliva Denaro / Le choix, de Viola Ardone

Publié le par Emmanuelle Caminade

 

Dans son dernier roman Oliva Denaro - désormais disponible dans sa traduction française de Laura Brignon sous le titre Le choix -, l'écrivaine napolitaine Viola Ardone revient sur la difficile émancipation féminine italienne de la seconde moitié du XXème siècle. Et elle s'inspire directement de l'histoire de Franca Viola (1), cette femme du Sud qui en est devenue le symbole.

1)https://www.ilpost.it/2018/01/10/franca-viola/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Franca_Viola

 

Affirmant son droit à dire non et à ne pas subir les choix des autres, la jeune Sicilienne (mineure au moment des faits au milieu des années 1960) fut en effet la première femme à oser refuser ce mariage réparateur relevant d'une tradition patriarcale séculaire - très vivace notamment en Sicile - et entré dans la loi italienne sous le fascisme. Depuis le "codice Rocco" de 1930, aucune poursuite pénale ne pouvait être engagée contre un violeur qui épousait sa victime, sauvant ainsi l'honneur de sa famille. Une victime sacrifiée, contrainte à passer sa vie avec son bourreau pour maintenir l'ordre existant, le mariage étant le seul statut donnant à la femme une valeur sociale !

Et il fallut ensuite attendre la loi du 5 août 1981 pour que cet article archaïque du code pénal italien soit abrogé, la reconnaissance légale du viol comme crime contre la personne et non plus comme outrage à la morale publique n'intervenant qu'en 1996.

 

 

L'histoire que nous raconte l'auteure se déroule à Martorana, petit village fictif de Sicile incarnant la société rurale traditionnelle de l'île.

A quinze ans, Oliva qui appartient à une famille pauvre est une jeune fille pleine de vie aimant courir dans les rues avec son frère et partir à la chasse aux escargots ou aux grenouilles avec son père pour les vendre sur le marché, mais aussi étudier. Elle rivalise ainsi avec Liliana - fille de communistes à l'éducation plus libre - pour obtenir les meilleurs résultats.

Avec la venue de ses premières menstruations, son petit monde est soudain bouleversé, rétréci. Enfermée à la maison ou sous la surveillance constante d'un chaperon afin qu'elle parvienne intacte au mariage et ne donne pas prise aux commérages, tout lui est désormais interdit, excepté l'école.

Troublée par la cour insistante que lui fait alors le fils du pâtissier Pino Paternò, elle ne sait comment réagir et, afin de couper court aux rumeurs, on la retire de l'école et la fiance rapidement à un parti honnête. Pino Paternò va alors la kidnapper, la séquestrant et la violant, sûr de la contraindre ainsi à l'épouser.

Mais Oliva osera dénoncer son violeur et affronter un procès, ce qui changera le cours de sa vie et de celle de sa famille...

Franca Viola lors du procès à Trapani

Dans ce roman divisé en soixante-dix-neuf courts chapitres répartis en quatre parties de tonalités assez différentes, Viola Ardone fait de son héroïne la narratrice - ce qui facilite l'empathie du lecteur – et brosse toute une galerie de personnages attachants, usant d'une langue simple, légère et limpide, colorée de nombreuses expressions dialectales.

Les trois premières parties se déroulent sur une année. Commençant en 1960, la première, racontée à hauteur de cette innocente jeune fille de quinze ans très attachée à son père et sous l'emprise de l'éducation de sa mère, campe avec une joyeuse insouciance  le petit monde d'Oliva jusqu'à ce qu'elle devienne femme, objet de tous les interdits et les convoitises. Cette dernière y liste de manière très concrète et naïve et avec un sentiment d'injustice les différences qu'elle constate entre filles et garçons. Elle y récapitule toutes les règles inculquées par sa mère - gardienne de l'ordre social existant - qui l'enserrent dans un carcan, comme pour mieux les extérioriser et s'en défaire, ne se privant pas de donner son avis personnel à tout propos. Et, sans doute parce que la culture a son rôle à jouer dans la libération des femmes, elle semble opposer à ces formules envahissantes sans cesse martelées ces déclinaisons latines apprises à l'école qu'elle psalmodie intérieurement comme un mantra dans les situations difficiles.

Dans la seconde partie tout ce gâte et s'accélère, les événements négatifs s'accumulant dans une sorte de tourbillon venant bouleverser la vie tranquille d'Oliva : infarctus du père, retrait de l'école et fiançailles avec un inconnu jusqu'à l'enlèvement et au viol.

La troisième partie, emplie de douleur et de tristesse, est celle de la réflexion et du choix, puis du procès. Oliva y est définitivement sortie de l'enfance. Confinée chez elle, épaulée par son père et par son amie Liliana, elle mûrira sa décision, poursuivra son violeur en justice et reprendra ses études à domicile afin de devenir institutrice. De refaire sa vie de manière indépendante.

Quant à la dernière partie, elle nous transporte en 1981, année d'abrogation du mariage réparateur, et permet de mesurer le chemin parcouru en trente ans, tant sur le plan légal que sur celui des mœurs dans la génération suivante. L'auteure, alternant la voix du père et celle de sa fille, y enrichit son point de vue narratif en instaurant une sorte de dialogue émouvant entre eux : un échange dans lequel ils reviennent tous deux avec recul et sincérité sur cette histoire et sur ce que sont devenus ses différents protagonistes.

 

Village de Sicile

Avec sensibilité et talent, Viola Ardone  caractérise ses personnages de manière riche et nuancée et sans le moindre manichéisme. Il y a ainsi une certaine ambigüité dans le comportement d'Oliva due à son innocence, à son manque d'expérience. Tandis que son violeur n'est pas totalement décrit comme un monstre, l'auteure sachant éclairer le poids des mentalités. Et ses personnages si crédibles, si humains, ne sont pas figés mais évoluent au cours du temps.

L'auteure a de plus habilement  doté son héroïne d'un frère jumeau afin de mieux montrer les différences de traitement entre cette fille et de ce garçon pourtant égaux dans le ventre de leur mère. Et elle ne se centre pas uniquement sur son héroïne, donnant une grande importance à sa famille - la famille étant le fondement sur lequel repose toute cette société ancestrale -, et notamment aux parents d'Oliva. Des parents aimants qui tous deux veulent le bien de leurs enfants mais de manière totalement opposée, illustrant ainsi les voies différentes de la tradition et de la modernité. Alors que la mère calabraise, dressée à dire oui et pleine de certitudes, s'exprime par ces formules transmises de génération en génération qui lui tiennent lieu de pensée, son père taiseux et empli de doutes, prend au contraire le temps de réfléchir. Aimant cultiver son jardin, cet homme atypique à l'esprit ouvert se montre avant tout désireux de respecter la volonté de sa fille et de lui donner la possibilité de choisir librement ce qu'elle veut faire de sa vie.

 

Il est regrettable que l'éditeur français n'ait pas cru bon de garder le titre original, hautement significatif de la portée du livre. Car le nom donné par Viola Ardone à son héroïne éponyme s'avère l'exact anagramme du sien, l'auteure s'appropriant ainsi cette histoire qui, au-delà de sa singularité, concerne toutes les femmes. Exaltant la prise en compte de la volonté des femmes, leur liberté à disposer de leur corps et à décider de leur vie, elle entend ainsi nous rappeler combien le combat d'Oliva reste encore d'actualité.

Outre que la pratique du mariage forcé réparateur est encore reconnue par la loi dans de nombreux pays du monde ou que l'on tente parfois de la rendre légale (2), le traitement des femmes reste en effet inégalitaire même au sein de nos sociétés occidentales. Les frontières entre harcèlement et séduction n'y sont toujours pas totalement intégrées par les hommes et la tendance à culpabiliser les victimes de viol pour dédouaner leur agresseur y demeure forte.

Le combat des femmes n'est donc pas terminé et ce livre y apporte sa contribution.

2) Le mariage réparateur est ainsi légal dans une vingtaine de pays comme le Koweit, la Thaïlande ou la Russie tandis qu'en Turquie le Président Erdogan a tenté a deux reprises (en 2016 et 2020) de le faire entrer dans la loi

 

 

 

 

 

 

 

 

Oliva Denaro, Viola Ardone, Einaudi 2021, 306 p.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

Le choix, traduit de l'italien par Laura Brignon, Albin-Michel, 17 août 2022, 400 p.

 

A propos de l'auteure :

https://it.wikipedia.org/wiki/Viola_Ardone

 

Née en 1974, Viola Ardone est diplômée de lettres. Après quelques années dans l’édition, elle enseigne aujourd’hui l’italien et le latin, tout en collaborant avec différentes publications. Après Le Train des enfants, Le Choix est son second roman à paraître en français, chez Albin Michel.

 

EXTRAITS :

 

Parte Prima

1960

 

I.

(p.5/6)

La femmina è una brocca : chi la rompe se la piglia, così dice mia madre.

Io ero piú felice se nascevo maschio come Cosimino, ma quando mi fecero nessuno si curò del mio parere. Dentro la pancia noi due stavamo insieme ed eravamo uguali, però poi siamo venuti diversi : io con la camicia rosa e lui celeste, io con la bambola di pezza e lui con la spada di legno, io con la vestina a fiori e lui con le braghette a righe. A nove anni lui aveva imparato a fischiare, con e senza dita, mentre io sapevo farmi la coda, sia bassa che alta. Adesso che ne abbiamo quasi quindici, lui è diventato dieci centimetri piú alto di me e può fare molte cose piú di me ; camminare per il paese con il sole e con il buio, mettere i pantaloni corti e, nei giorni di festa, anche lunghi, parlare con le femmine e con i maschi di tutte le età, bere un bicchiere di vino alla domenica con l'acqua dentro, dire parolacce, sputare e, quando è stagione, correre fino alla spiaggia e farsi il bagno di mare con i calzoncini. Io sono favorevole al bagno di mare.

Mia madre, tra noi due, preferisce Cosimino perché lui è chiaro di pelle e di capelli, come moi padre, e invece io sono nera, come il corvo. Non è una broca, lui. Non si rompe. E se si rompe si rimette insieme.

Io a scuola sono sempre stata brava, mentre Cosimino di studiare non aveva volontà. Mia madre non si dispiacque e gli disse che doveva rimboccarsi le maniche e trovare un buon lavoro per non fare la fine di mio padre. Io lo guardavo nell'orto, accovacciato sulle piante di pomodori : non mi sembra che avesse fatto una fine, perché a lui, anzi, piace iniziare sempre cose nuove dal principio. Come quando, con i soldi ricavati dalla vendita delle lumache che avevamo raccolto dopo una abbondante pioggia, riusci a comprarci le galline. Disse che il nome delle bestie potevo deciderlo io, e a me piacciono i colori : Rosina, Celestina, Verdina, Violetta, Nerina …

2.

(p.8/9)

Dopo il giorno non ho pittorato piú insieme a mio padre. Mia madre, dice che non ho ancora il marchese è colpa sua, perché mi ha cresciuta come uno maschio. Io non sono favorevole al marchese. L'ho visto solo una volta e ho provato timore. Una mattina, dopo colazione, entrai in bagno e in un catino trovai un mucchio di stracci macchiati di rosso che navigavano nell'acqua color ruggine. Sembrava il corpo di un piccolo animale moribondo. - Mia madre entrò: - E il marchese,- mi revelò, poi gettò via l'acqua sporca e strofinò i panni con la pietra di sapone fino a farli tornare bianchi. - Viene il giorno che tocca anche a te, - disse, e io iniziai a pregare che guel giorno non arrivasse mai.

Le regole del marchese sono: cammina a occhi bassi, riga dritto e statti in casa. Fino a quando non mi viene, però, posso fare i lavori nell'orto, andare al mercato a venderre le erbe, le rane o le lumache con mio padre, tirare le pietre con la fionda ai maschi ogni volta che prendono in giro il mio amico Saro che è storto di una gamba, correre per le stradone assieme a Cosimino e ritirarmi tutta sudata e con le ginocchia nere. Alle altre mie amiche il marchese è venuto. Da quel momento, si sono allungate le gonne, sono usciti i brufoli in faccia, ed è spuntato il seno sotto la camicette. A Crocifissa sono cresciuti anche un poco di baffetti e i maschi hano initiato a chiamarla «il brigante Mussolino . Lei, però non se ne cura, va in giro con l'aria sofferente e le mani premute sulla pancia come se fosse gravidata e a tutte le compagne che incontra ripete la stessa domanda : - A me è arrivato il sangue, e a te ? - come se avesse vinto un premio.

(...)

 

On peut lire un extrait en français:ICI

 

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