Pour Clara, Nouvelles d'Ados, prix Clara 2022

Publié le par Emmanuelle Caminade

Pour Clara, Nouvelles d'Ados, prix Clara 2022

Pour Clara est un recueil collectif réunissant les six textes ayant remporté en 2022 le prix Clara, un concours de nouvelles réservé aux adolescents de treize à dix-sept ans. L'éditeur Fleurus publiant les textes primés, leader dans le domaine de la littérature jeunesse, destine bien sûr ce livre aux adolescents. Il me semble cependant intéressant à lire également pour des adultes, et pas seulement pour découvrir les préoccupations des adolescents dans l'univers de ces fictions.

Ce qui intéresse L'Or des livres en effet, c'est la singularité et la qualité littéraire de ces textes qui, désormais proposés au public, s'ouvrent à la critique quel que soit l'âge de leurs auteurs.

 

Il ne faut pas se laisser rebuter par la couverture insipide ne reflétant nullement la teneur de ces nouvelles, ni par le titre, le sujet de ces dernières ayant peu de choses à voir avec Clara - cette adolescente passionnée d'écriture décédée subitement d'une malformation cardiaque en mémoire de laquelle a été créé ce prix en 2007. Et encore moins par cette quatrième de couverture annonçant : "Des ados écrivent pour des ados", comme si ces jeunes auteurs visaient ce public restreint ! Car il ressort de la présentation-même de leur chemin d'écriture par chacun des six lauréats que, déjà grands lecteurs, ils ont commencé à écrire (souvent très tôt) uniquement pour eux, pour le plaisir de la création littéraire, avant d'oser franchir le pas et affronter le jugement d'un jury d'adultes appartenant au monde des lettres et de l'édition.

 

Tous les textes sont de bonne tenue, correctement écrits avec une aisance certaine, et la plupart recèlent des qualités littéraires plus ou moins affirmées. En émergent nettement trois dont les auteurs me semblent particulièrement prometteurs.

Pour comprendre comment, lors d'une heure de colle, des lycéens ont réussi à mettre le feu à leur établissement, Zaynab Tobal Maamar (âge non précisé) nous entraîne dans le tourbillon d'une véritable tornade, orchestrant dans un rythme d'enfer un récit choral alternant les voix des cinq protagonistes mis en cause. Si ces derniers incarnent à ses dires les "nombreux problèmes éphémères" auxquels elle fut confrontée "dans cette période de transition qu'est l'adolescence", elle réussit néanmoins avec brio à leur donner chair en très peu de traits. Et son texte témoigne surtout d'une maîtrise époustouflante de la construction.

Les deux héros éponyme de Pluyane et Solée s'activent à dispenser pluie et soleil sur la terre, observant les humains évoluant sous leurs pieds. Dans ce petit conte merveilleux se distinguant par l'originalité de son inspiration, Salomé Frish (17 ans) livre avec beaucoup de sensibilité, de malice et de poésie, et un talent certain pour l'allégorie, une réflexion sur le sens de nos vies dans ce monde.

Dans Perspectiva, Bianca Tarantelli (16 ans) met en scène une héroïne rescapée d'un tragique accident qui a perdu le goût à la vie. D'une jolie plume, elle mène de front deux fils narratifs : le premier se déroulant au retour de l'héroïne chez elle un an et soixante-dix-sept jours après cet accident et le second revenant sur ce choc dans des sortes de "flashes" émergeant de la nuit. Une construction d'autant plus habile que, narrés à la première personne, ces deux fils soulignent la fracture entre l'ancien moi joyeux et le nouveau moi déprimé de l'héroïne.  

 

Moins aboutis formellement, moins percutants, deux autres textes se remarquent néanmoins.

Les masques de Julie Rosiaux (15 ans), s'impose par une écriture sensible quoique non exempte de quelques clichés langagiers, et surtout par l'efficacité des situations narratives imaginées. Son héroïne refuse de vivre dans ce monde de mensonges. Assoiffée de transparence, de vérité, elle s'isole et s'enferme, fascinée par la vie cachée des habitants de l'immeuble d'en face qu'elle observe le soir au travers de leurs fenêtres éclairées...

Inhumation de Raphaël Sanchez - le benjamin (13 ans) et seul garçon de cette riche promotion – nous transporte dans une Amérique violente au temps de la guerre de Sécession. Et si son récit pêche par un anachronisme trop patent (une shérif noire!) et des propos parfois un peu démonstratifs pour illustrer son refus de toute discrimination, ce jeune auteur affirmant beaucoup de vigueur dans les dialogues montre des dispositions pour l'art de la nouvelle, sachant entretenir un certain mystère et réussir sa chute.

Dans Au cœur de la guerre enfin, Constance Icard (14 ans) s'essaie quasiment pour la première fois à un "texte portant sur le monde réel", prenant le risque - inconsidéré à mon sens - de s'immerger dans une actualité politique internationale brûlante mais peu sérieusement documentée sur laquelle on manque de recul. Son héros, un jeune Russe idéaliste s'étant engagé dans l'"opération spéciale" de Poutine, va ainsi découvrir les horreurs de la guerre sur le front ukrainien et obéir avec courage à sa conscience plutôt que se soumettre aux ordres dégradants de ses supérieurs. Mais si elle a eu le mérite de bousculer ses habitudes d'écriture et de faire l'effort de se documenter pour tenter de rendre vraisemblable son histoire et de lui donner couleur locale, elle n'a pas bien mesuré la complexité du sujet auquel elle s'attaquait. Son récit, trop caricatural et empli de bons sentiments, ne reflète ainsi que le ressenti d'une jeune adolescente face à une guerre couverte par la plupart des médias (à sa décharge) dans le registre de la simplification et de l'émotion. Et, s'étant de plus lancée dans une longue nouvelle très linéaire (trois à quatre fois plus longue que celles de ses concurrents), les défauts de cette dernière n'en sont malheureusement que plus apparents. Peut-être aurait-elle dû rester dans ce monde de l'irréel qui, à ses dires,  favorise son imagination. On aurait du moins aimé pouvoir juger de ses qualités littéraires sur un texte appartenant à son domaine de prédilection.

 

Ces nouvelles transcendant les préoccupations adolescentes témoignent dans l'ensemble d'une maturité étonnante, et d'une maîtrise littéraire stupéfiante pour certaines. Aussi se lisent-elles non seulement avec intérêt mais souvent avec un réel plaisir. Et ce recueil, qui devrait encourager les adolescents à lire et à écrire, donne espoir dans cette très jeune génération où s'annoncent peut-être quelques futurs écrivains.

 

 

 

 

Pour Clara, Nouvelles d'ados, Prix Clara 2022, éditions Fleurus, novembre 2022, 192 p.

Les bénéfices de la vente du recueil seront versés à l'ARCFA (Association pour la Recherche en Cardiologie du Foetus à l'Adulte de l'hôpital Necker-Enfants malades)

 

A propos du Prix Clara :

https://www.fleuruseditions.com/prix-clara-2022

 

 

EXTRAITS :

 

Etincelles

p.57/58

 

- Mais comment avez-vous pu mettre le feu à votre école ?

Le proviseur les fixait sévèrement, tandis que les cinq coupables se regardaient du coin de l'oeil. Qui oserait dire quoi que ce soit dans une situation pareille ?

- Cinq minutes. Cinq minutes sans surveillance, et voilà le lycée à la merci des flammes! C'est tout bonnement inadmissible, a vociféré celui-ci. Croyez-moi, cette heure de colle est loin d'être la dernière que vous aurez!

Emma s'est mise à sangloter. Meg lui a fait les gros yeux. Stella se rongeait nerveusement les ongles. Ils étaient cuits, elle allait tout balancer, et bonjour l'exclusion … Ethan était étrangement silencieux, perdu dans ses pensés, les joues légèrement roses. Rayan, qui transpirait à grosses gouttes, a réarrangé ses lunettes d'une main tremblante.

- Que diable s'est-il passé ? s'est exclamé le chef d'établissement hors de lui.

 

***

 

Meg

 

Je pense que vous vous demandez comment j'ai pu en arriver là. Eh bien, pour ça, je dois reprendre depuis le début.

 

Je suis la fille qu'on ne voit pas. Je suis celle qui ne veut pas être vue. On ne me remarque pas. Et je ne remarque pas les autres non plus. Je n'ai pas besoin d'eux, et ils n'ont pas besoin de moi.

Je suis juste la fille du premier rang, qui lève la main pour répondre à toutes les questions. Qui est sympa avec tout le monde sans vraiment avoir d'amis. Qui aime secrètement un garçon, puis un autre, en fonction de la météo ou du dernier livre qu'elle a lu, sans jamais oser le lui avouer. (...)

 

Pluyane et Solée

p.39

 

(…)

- Ce n'est pas le protocole.

Solée se lève d'un bond. Sa lèvre inférieure tressaute comme pour réprimer des sanglots. Elle préfère céder aux cris :

Je n'en peux plus, du protocole! On ne sait pas d'où viennent ces lois ni pourquoi nos tâches apparaissent comme des évidences. On déchire des cartons, on s'écorche les doigts. On lave les nuages sans jamais prendre la peine de nettoyer nos cœurs. Et on répète tout ça, mécaniquement, on tue nos corps, on répète, on obéit. Regarde-moi! Les humains n'imagineraient jamais qu'Helios gratte les cartons comme un animal. Moi, cela ne me plaît plus. Je ne veux pas embellir le monde si c'est pour le voir d'en haut, j'illumine un monde dans lequel je ne vis pas!

Pluyane ne répond pas. Il sort son balai et commence à frotter les nuages.

Un beau jour, d'autres employés du ciel apparaissent. Ils avancent avec leurs baluchons, des hommes et des femmes de tous âges. Ils ricanent bêtement et parlent fort. Hostile, Solée les flaire. Elle examine leurs tabliers de travail et leurs muscles encore souples, le corps neuf qui se tordra bientôt sous l'effort. Parmi les nouveaux arrivés, un homme à la peau sombre se mordille nerveusement la lèvre. Solée l'apostrophe :

- Comment t'appelles-tu ?

- Ora.

- Un nouveau collègue ?

- Je crois …

- A quoi sers-tu ?

- A libérer les orages

- A quoi servent les orages ?

- Je ne sais pas.

- Pourquoi es-tu là ?

- Je ne sais pas.

- Pourquoi aujourd'hui, pourquoi maintenant ?

- Je ne sais pas.

(...)
 

Perspectiva

 

p 195

0

Vide. C'est le seul mot qui me vient à l'esprit. Je pose mon café désormais froid et j'enfile mon manteau avant de sortir du bar à pas lents. Dehors, il gèle. J'inspire lentement l'air glacé par mes narines.

Depuis un an et soixante-dix-sept jours, ma vie n'a plus aucune saveur.

 

p. 199

Interlude 1

 

L'odeur de la nuit, du bonheur et de l'été.

Des rires fusent. Le vent dans mes cheveux provoque en moi un sentiment d'ébriété. Je suis plus proche qu'aucun humain ne l'a jamais été de la liberté à l'état pur. La brise balaye mes cheveux, mes peurs, mes insécurités. Un cri de joie s'échappe de mes lèvres et se dilate dans la nuit noire.

Je suis au sommet du monde.

Soudain un cri. Un crissement de pneus.

Je chavire. Autour de moi, des hurlements éclatent.

Le monde s'évanouit à mes côtés.

Je ne vois plus rien. Un choc.

Puis c'est le noir.


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