Un printemps sans fenêtre suivi de Réminiscences, de Raymond Farina
Au seuil de mes quatre-vingts ans,
au fond de mon confinement,
modestement, je me demande
s'il ne vaudrait pas mieux chercher
à faire alliance désormais
avec tous ceux dont les passions
s'aquarellent en vert et bleu,
tous ceux qui n'ont jamais appris
que l'évangile des mésanges
et militent tranquillement
pour le règne du myosotis
(…)
(Le jardinier fou, p.9)
Un printemps sans fenêtre suivi de Réminiscences s'ouvre par un merveilleux poème en donnant la tonalité. Et ce dernier recueil de Raymond Farina s'inscrit d'emblée dans le sillage de son précédent opus paru en 2020 : Notes pour un fantôme suivi de Hétéroclite et La gloire des poussières.
Au seuil de la vieillesse, le poète y appréhendait en effet le monde de manière plus apaisée. Il y apprivoisait la mort dans un sursaut de vitalité, l'acceptation de sa propre insignifiance au sein du cosmos l'invitant à être d'autant plus sensible à la beauté de la nature et aux joies de la vie. Une thématique qui s'annonçait déjà en 2015 dans son anthologie La maison sur les nuages. Car au fur et à mesure que l'on avançait dans la chronologie des poèmes, se sentant "proche des nuages", il s'y éloignait de "l'anecdote du monde", dépassant "l'horreur de mourir" en apprenant à s'effacer.
Le confinement printanier qui nous fut imposé au début de la Pandémie va paradoxalement encore accentuer cette tendance chez le poète. Un printemps sans fenêtre fut en effet écrit dans cette étrange époque où la vie sembla s'arrêter, où les sorties furent interdites malgré l'appel du printemps et où la peur de la mort entraîna le repli sur soi et facilita le rejet de l'autre, attisant les oppositions et les haines. Et il s'avère un recueil malicieusement rebelle, s'affirmant à contre-courant :
Qu'érablement l'érable allume,
avant l'automne et bien après,
hors des saisons, contre leur rythme,
sa rouille dorée, flamboyante !
Que je lysse en toute innocence,
virgilement amarylisse!
Que j'encense alors que dénigrent
les pisse-froid et les censeurs,
que je fleure le romarin
quand tant de particules fines
mettent les poumons au supplice !
Qu'avec tendresse je muguette
si le muguet est interdit!
(...)
(Le jardinier fou, suite)
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Vingt-huit poèmes se répartissant en trois parties (Et le vert en mémoire, Les saisons folles et La grande vacance ) composent Un printemps sans fenêtre et, «même pris dans [ses] quatre murs», le poète sait y retrouver ses ailes pour s'éloigner de ce monde de tourments.
Ainsi dans la première, va-t-il chercher dans sa mémoire les «quelques pollens de sagesse» qu'il a recueillis «en observant l'arbre et l'oiseau», se livrant à une vibrante célébration de la vie au travers de tous ces arbres, de toute cette végétation qui en est le symbole. Dans la seconde, il répond à la folie de ce confinement printanier contre nature en vantant ces folles saisons auxquelles il fut confronté, qu'il s'agisse de ce «mai en hiver» «sur l'océan qu'on dit indien» ou de l'automne, «saison abstraite» qu'il «n'aime qu'en poésie»... Et dans la dernière, il laisse libre cours à son ironie malicieuse pour décrire cette folle époque où un petit virus, expression d'une nature excellant dans la fantaisie, a bouleversé nos «trop sûres prévisions», multipliant les événements «en artiste de l'imprévu» et «changeant le monde en tragédie». Un petit virus étant pourtant lui-même «une forme de la vie » qui est venu inverser toutes nos valeurs.
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Faisant remonter le passé avec sérénité, qu'il soit heureux ou malheureux, Réminiscence s'inscrit pleinement dans la logique du vieillissement, le poète se tournant avec recul et apaisement vers son passé.
Le recueil se divise en sept parties regroupant au total vingt-trois poèmes évoquant «le charme entêtant du passé» mais aussi (cf Le pays du père) cette blessure fondatrice qui marqua le destin du poète. Ce dernier s'y remémore son enfance et les divers lieux où il vécut, comme les rencontres qui infléchirent sa vie : tous ces «moments successifs», ces «processus secrets» dont l'homme s'avère «la lisse conséquence» à l'aube de sa mort. Le parcours d'un homme ayant vécu, poli comme un galet, peut en effet se comparer à la «longue patience» qu'il faut à la pierre pour rejoindre «le vacarme des siens / dans le roulis des houles» (L'archéologie d'une pierre).
Et, ce qui ne surprend pas chez un poète amoureux de «ces fascinants passants de l'air» qui aime distiller une "métaphysique de la légèreté" faisant échapper à la gravité de ce monde, ce recueil se termine par deux poèmes exaltant la «mystique de l'oiseau». Un oiseau qui sera toujours là pour aider Icare à transcender sa chute prochaine :
(…)
Il n'apporte plus de questions,
il n'apporte plus de présages,
mais il est là, heureusement,
dans les moments où l'avenir
se dissout dans ta nostalgie,
où ton cœur affolé
cherche son ancien rythme
tandis que tes deux tempes savent
ce qui te reste encore de temps
pour faire des adieux discrets
à cet instant où l'aube
vient soudain effacer
ton dernier cauchemar,
ta dernière insomnie,
et qu'il jaillit du grand manguier
du jardin créole d'en face
pour renouveler ta surprise,
ton étonnement d'être en vie.
(L'oiseau encore, p. 99/100)
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Un printemps sans fenêtre suivi de Réminiscence, Raymond Farina, N & B éditions, Novembre 2022, 110 p.
A propos de l'auteur :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Raymond_Farina
http://l-or-des-livres-blog-de-critique-litteraire.over-blog.com/farina-raymond.html
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