Enraciné, de Jean-Pierre Boulic
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Enraciné, le dernier recueil poétique de Jean-Pierre Boulic, s'enracine comme les précédents dans ce «pays d'abers» entre «ciel terre et océan», dans ce «lieu univers» que cet «itinérant de la joie» ne cesse de chanter et de célébrer, et qui lui permet de voir plus loin. De pressentir un au-delà :
Qui veut voir les événements
Sous le voile de leur mystère
S'amarre à une terre
Portant
A l'ombre de ses roches
Et le sel et la lumière
(2. Matin, p.44)
Aux jours premiers du chemin de vie et du chemin poétique (1) de l'auteur, se trouvent en effet ces lieux bretons aimés qui, dans le paisible sentiment d'éternité que procure l'enfance, furent à la fois ceux où il s'enracina dans cette terre et ceux où il pressentit un indicible infini. Toute la poésie de Jean-Pierre Boulic s'inscrit ainsi dans cet ancrage propice à l'élévation. Et, jouant pleinement de la symbolique du cycle des heures, des jours et des nuits comme des saisons, le poète s'y appuie sur le mystère de La Résurrection, nous faisant pénétrer au cœur d'un temps éternel.
1) Ce recueil dédié "à tous ceux du chemin" semble ainsi l'être à tous les hommes et les poètes
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Ce recueil de poèmes composés de courtes strophes en vers libres, très marqués par une perception synesthésique (2) et mystique du monde, est structuré en quatre parties : Veille, Matin, Fête à venir et Hymne. Quatre parties dont les plus importantes sont la première et la dernière, et qui suivent apparemment le cycle des saisons mais révèlent une construction autrement signifiante. De la tonalité sombre et douloureuse d'une nuit d'hiver à la renaissance d'un matin de printemps jusqu'à l'apothéose du solstice d'été, elles épousent un élan ascendant, gommant la phase descendante de l'automne et interrompant ainsi le retour prévisible d'un nouveau cycle. Même si «novembre à la peau rousse» est évoqué dans la dernière partie, celle-ci nous conduit en effet au «jardin des délices», le poète y célébrant cette terre qui ne vieillit pas comme nous, qui «n'est pas ridée», et entonnant un hymne à la vie éternelle en réponse aux angoisses de la première partie :
Elle se réjouit
D'un pur étonnement
La vie
Sans répit
D'un seul élan
Arraché à la douleur
(4. Hymne, p. 84)
Un hymne semblant combler ce "désir d'horizon" dont parlait le premier poème du recueil précédent de l'auteur, A la cime des heures (3), désir que le poète n'arrive plus à formuler dans le poème ouvrant Enraciné : «Tu n'as plus les mots/ Qui disent ce que tu désires»(1. Veille, p.13)
Un hymne louant enfin la création, tant la divine Création que l'inspiration divine du poète :
Laisse percer la clarté
Nouvelle genèse
Commencement du commencement
Horizon de la création.
(...)
(4. Hymne, p. 91)
2) "Tu écoutes/Le secret des images/ Et des couleurs" (p.37), "Entends parfums et couleurs/ Du silence" (p. 57)...
3)
(...)
A l'orée un désir d'horizon
Au-delà de l'ombre des arbres penchés
Elève le songe vers ce qui t'échappe.
L'Orée, p. 14
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Attachons nous maintenant à cette première partie recélant à mon sens toute la singularité de ce recueil. Veille nous fait en effet pénétrer dans cette nuit hivernale semblant nourrir les inquiétudes d'un poète vieillissant dont le pas s'est arrêté «Au bord de ce banc/ Peinture écaillée/ Et résine des temps» (p.13). Un poète redoutant l'approche de la mort :
Menaçants nuages
Terre recroquevillée
Attente du gel.
Les bras vannés en décembre
Des peupleraies désarmées.
*
Tu as la douleur
De ne plus savoir écrire
Le mot qui convient.
Que reste-t-il à ton cri
Sang et sueur d'une nuit ?
(p. 14)
Tout le lexique souligne la dégradation physique l'accompagnant (4) mais aussi la peur du vide :
Janvier
Bouleaux écriteaux de givre
Livre blanc sur un chemin
Aux périphéries du monde
*
Tout tremble
De s'éveiller les mains vides
De ne pas entendre
Chants d'oiseaux beauté des heures.
(p.16)
Et «Le ciel disparaît/ Derrière un brouillard» comme un «haut mur blanc». «Le feu s'éteint» dans un «dernier souffle».
Mais au bout de neuf pages, un tournant s'opère avec la réminiscence du petit enfant dessinant l'ange et venant modifier la perception du vieux poète : de «frôlements d'ailes» en «indicible chuchotement», cette «nuit tombée/ Au bout de sons amaigris/ Retient l'infini». Et, délesté, ce dernier semble prêt à partir :
Tu n'as plus rien pour souffrir
Même pas les larmes
Plus rien à donner
Que la poussière du vide.
Laisse gésir les ténèbres
Tu parviens à l'heure
Où tu vas enfin connaître
La terre sans heurt.
( p.26)
Il se laisse alors conduire «dans l'ouvert du silence» sans craindre la lueur à la lisière du passage. Vers ce «vide apparent», «dans l'ignorance des heures». Là où «le bleu du silence de la beauté» se laisse contempler. «Et l'ange s'est approché/ Au cœur de la patience».
Et toute la dynamique vitale récapitulatrice des trois parties suivantes confirmera cette trajectoire, ce chemin menant au paradis.
4) Fanés, ébréché, meurtries, blessure, de guingois, déchiqueté, petite mine ...
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Enraciné, Jean-Pierre Boulic, La Part commune, avril 2023, 94 p.
A propos de l'auteur :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Pierre_Boulic