"L'inaperçu", de Sylvie Germain
Au cours de déambulations prosaïques dans le labyrinthe d'un hypermarché qui nous était inconnu, mon regard fut accroché par le nom et le portrait de Sylvie Germain surnageant en tête de gondole...
L'inaperçu fait partie de ces livres qui vous happent dès les premières lignes et que vous ne pouvez plus lâcher.
Je m'y résignai, pourtant, pour passer à la caisse et regagner notre voiture, puis notre domicile.
Mais, une fois arrivés, mon mari, traîtreusement, s'empara de l'ouvrage et nous dûmes, dès lors, négocier une double lecture, chacun prenant tour à tour de l'avance sur l'autre et passant alternativement de la jouissance à la frustration , pour arriver au terme comblé...
Sylvie Germain conte l'histoire d'une famille provinciale endeuillée, cherchant à se reconstruire après la mort accidentelle de l'un des siens.
Mais le passage, en son sein, d'un personnage extérieur, étranger à lui-même, entraînera chacun au-delà des apparences, dans une errance à la recherche de soi qui fera affleurer des traumatismes bien plus anciens.
Un récit «vraissemblable»,dans la mesure où la fiction permet au narrateur omniscient de sonder les âmes et d'approcher ainsi la vérité, et, surtout, parfaitement maîtrisé, sachant reculer pour avancer.
Ceux qui ont absolument besoin d'une histoire pourront s'y raccrocher.
L'auteure traque l'inaperçu au coeur de l'être humain afin que ce dernier «ne soit pas tenu à distance de lui-même». Et cette quête identitaire puise dans ce «magma» originel où l'histoire de chaque individu et l'Histoire de l'humanité toute entière s'entremêlent.
Elle s'attend à tout, tant il y a «d'angles morts» : le pire, le plus souvent, là «où se tapie la bête archaïque prête à bondir à la première occasion» et, quelque fois, l'admirable.
Elle prend la peine de «regarder jusqu'à ouïr, d'écouter jusqu'à voir en transparence des choses».
Et tout l'art, toute la magie de Sylvie Germain est de savoir rendre perceptible le murmure de ce magma qui bouillonne au plus profond de chacun «en usant du pouvoir de l'imagination» et «de la séduction des fables», en déployant un style poétique, puissamment ancré dans la nature.
«Prophète du présent», elle «se borne à dire ce qui est», tels ses personnages, Pierre, fantôme servant de révélateur et Henri «rapporteur d'images», «témoin itinérant ,soucieux d'arracher à l'oubli les destins qui passent.»
Comme le peintre Rothko, dont la reproduction d'une des oeuvres, “fenêtre ouverte sur l'inexploré du monde” éclaire la chambre de Pierre, elle s'applique, à «rendre discernable l'inaperçu des drames, là où se frôlent le visible et l'invisible, la lumière et la nuit.»
Comme lui, elle «ne conçoit que des grands tableaux» . Et son oeuvre, intemporelle, est un “arbre-livre (...)en incessante métamorphose”, nourri de sa croissance souterraine.
Allant «chercher les mots du côté (...) des racines les plus anciennes» dans cet «inconnu inexploré», elle part «à sa propre rencontre» et ce sont «les mots qui s'emparent d'elle».
Sylvie Germain nous offre encore un très beau livre, envoûtant, proche par ses thèmes de son précédent roman Magnus qu'il n'arrive cependant pas à égaler, peut-être du fait d'une dimension historique moins présente.
( Prévoir 2 exemplaires si vous vivez en couple)
Editions Albin Michel, Août 2008