"Quelques mots d'arabe", de Loïc Barrière
Quelques mots d'arabe est un livre riche, à la structure maîtrisée et au ton juste. Une construction en aller et retour, du présent au passé et d'une rive à l'autre, ponctuée d'un refrain lancinant, ou plutôt de couplets, nous y met en haleine en délivrant bribes après bribes l'histoire de Farida, le personnage central autour duquel s'articule ce roman. Et l'écriture simple, directe, sans fioritures mais puissamment évocatrice, y restitue l'ambiance sonore, les parfums et les couleurs du Maghreb.
Dans cet ouvrage, Loïc Barrière montre l'importance de l'altérité dans la construction d'une identité et la responsabilité de l'ordre économique et social en vigueur dans la dépossession d'un destin.
C'est grâce à la sollicitude de Farida, sa compagne de classe, que Gaël, le narrateur, jeune collégien d'origine bourgeoise sensible et réservé, échappe aux persécutions de ses camarades maghrébins en apprenant l'arabe, en s'ouvrant aux autres. De son côté, Farida, l'Algérienne, étudie l'arabe classique, découvrant la culture de son pays d'origine pour tenter de trouver sa place en renouant avec ses racines. Mais si Gaël parviendra à s'affirmer, Farida sera, elle, rejetée par ses deux pays, l'Algérie et la France, par sa famille et même par son ami (car il est parfois plus facile de s'ouvrir à un autre lointain qu'à son proche voisin ).
Culpabilisé par le suicide de Farida, Gaël n'hésitera pas à traverser la Méditerrannée pour répondre à l'appel désespéré de Mohamed, son correspondant marocain. Et un périple au Maroc en compagnie de son ami mettra en lumière la détresse de ces jeunes chômeurs, paysans sans terre affluant à la ville ou diplômés sans travail dépossédés de leur vie - que certains n'hésiteront pas à risquer pour s'exiler en Europe. Il éclaire en parallèle le triste sort de ces jeunes filles, de ces jeunes femmes, dépossédées d'elles-mêmes par le poids de la tradition.
Les jeunes du Maghreb sont ainsi frappés d'une double spoliation : économique, du fait des rapports dominants/dominés hérités de la colonisation, mais aussi sentimentale, de par la soumission des femmes et des hommes aux rapports marchands imposés par les coutumes.
Ceux qui ont la chance d'être nés du "bon côté", sur la bonne rive et/ou dans une classe sociale favorisée, ont la liberté de pouvoir choisir leur vie, les autres ne peuvent prétendre, le plus souvent, qu'à survivre ou à mourir.
Un beau livre !
Quelques mots d'arabe, Loïc Barrière, édition du Seuil, Mars 2004