"A notti aspetta / La nuit attend", chronique d'une partielle non rencontre
Livre après livre, Norbert Paganelli trace modestement et patiemment sa route, obstinément. «Route de l'oiseau» qui s'élève au-dessus des abysses imprimant son furtif sillage entre hier et demain, passerelle fragile entre l'ici et l'ailleurs, le poète lui-même se fait route. Il est ce pont, cet entre-deux : un pied sur terre et le second dans «l'autre monde», un monde obscur et immuable au «temps pétrifié», un «monde qui nous échappe».
A notti aspetta / La nuit attend vibre de voix muettes, de murmures et de chants que seule semble entendre l'oreille attentive du poète. Des voix qu'il sollicite aussi, qu'il tente de mettre en mots ou auxquelles il cherche à répondre. Car ce recueil débutant par une «adresse» s'avère avant tout dialogue. Un dialogue éclairant avec l'autre monde mais aussi avec les oeuvres d'autres poètes, la majeure partie de ces poèmes étant introduits par une citation. Un dialogue dont le je, «pétri de tous les hommes», s'efface le plus souvent devant le nous car le poète, né des mots «de tous les temps» prête sa bouche «au monde entier».
Modestie encore de ce dernier quand, tel un enfant tentant de «jeter un petit rien», il jette ses vers «comme des gouttes d'eau». Des gouttes s'additionnant les unes aux autres qui peut-être feront naître «une lueur faible et (...) ténue / Mais une lueur tout de même». «Sait-on jamais ?»
Un beau recueil, peut-être un peu trop foisonnant, dont j'avoue ne pas avoir bien saisi la cohérence de la structuration et dans lequel je n'ai malheureusement pas pu rentrer totalement.
Il m'a notamment été parfois difficile de faire coïncider pleinement le sens des citations en exergue - souvent elliptiques et renvoyant majoritairement à un répertoire peu connu - et celui qui me semblait émaner du poème. Et je me suis sentie alors exclue d'un dialogue de poète à poète.
De cette partielle non-rencontre naquit un échange avec Norbert Paganelli .
Sans doute étais-je peu réceptive et me suis-je trop fixée sur ces citations qui ne sont pour lui que des "saluts fraternels" adressés aux poètes. Et si ces vers sont "probablement à l'origine du texte présenté, le rapport n'est pas toujours évident" car "le texte est resté en sommeil un certain temps, il a ensuite été modifié, gratté, enrichi, lavé [et] parfois des éléments d'un autre texte sont venus s'y adjoindre", l'auteur ayant "l'habitude de procéder comme un peintre qui modifie le jet primitif". Il reste que "l'étincelle qui l'a fait naître demeure".
Il m'a surtout d'emblée manqué une clé car l'épigraphe du livre «Pour le lointain pays d'où sont venus mes pères soupire / mon âme dans la prison de son corps» "éclaire certains aspects de l'ouvrage". Mais la citation de C. Mac Kay, ce poète jamaïcain au nom gaélique inconnu de moi, ne pouvait m'évoquer l'Afrique, alors que pour l'auteur "le peuplement originel de la Corse est d'origine africaine et c'est bien là l'un des problèmes de la Corse actuelle: celui de ne pas admettre l'externalité de ses origines ! " Une citation qui personnellement me renvoyait uniquement au mystère des origines de l'homme.
Je n'ai donc pas décelé toute la dimension corse de ces textes – et notamment les références à la langue - , me situant sur un plan beaucoup plus large.
Norbert Paganelli tente toujours dans ses poèmes "de faire sentir que ce qui est ici est aussi ailleurs, que l'aire culturelle qui est la [sienne] n'est qu'une partie de l'ensemble et rien de plus" et c'est peut-être aussi ce non-enfermement insulaire qui m'a fait délaisser trop la partie pour ne voir que l'ensemble !
A notti aspetta / La nuit attend, Norbert Paganelli, poèmes en langue corse traduits par Dominique Colonna, Colonna édition, Mai 2011, 137 p.
EXTRAITS :
( http://www.invistita.fr/)
Adrizzu
Fètila senta sta boci chì mai ùn parla
Boci ammutulita cascata in a vadina
Boci svrimbatoghja cuddata versu i punti
Boci serena cantendu pianu pianu
Chì vi ci voli par fà
Ciò chè vo t’aveti à fà
Una boci più maiò
Un’di sti boci carca à steddi
Vistuta di seta cuparta d’oru
Di tutti quiddi bisognu ùn avemu
Tantu chè ci ferma sta boci muta
Quidda chì dici ciò ch’ùn vulemu
Quidda chì parla quand’è i labbra si strìgnini
Quidda chì sempri si chjama boci
Senza u batesimu di a noscia parolla
Adresse
Faites la entendre cette voix qui jamais ne dit mot
Cette voix perdue dans le fond du ruisseau
Voix de fêlure réfugiée sur les hauteurs
Voix sereine qui berce en chantant
Que vous faut-il pour faire
Ce que vous devez accomplir
Une plus grande voix
Une de ces voix à la traîne étoilée
Vêtue de soie couverte d’or
De tout cela nous n’en avons cure
Tant qu’il nous reste cette voix muette
Celle qui raconte ce que nous ne voulons pas
Celle qui parle lorsque la bouche se ferme
Celle qui porte encore le nom de voix
Sans avoir reçu l’onction de notre verbe
Avemu dittu
Cì hè calcosa chì trimulighja
Eppò tuttu si perdi
I parolli vani par culà
A fica idda si ni stà quì
Ci hè stu pratu chì s’appri
A tarra chì si spirda
È u lumu attacatu à l’ombra
Chì ci lenta un suspiru
Eccu avali chè a stedda affaca
Ùn ci hè chè notti
Par pudècila purtà
Nous avons dit
Il y a quelque chose qui tremble
Et puis tout disparaît
Les paroles vont par là
Le figuier lui s’en reste ici
Il y a le pré qui s’ouvre
La terre qui s’affole
Et la lumière à la traîne de l’ombre
Qui nous accorde un soupir
Voici maintenant que se montre l’étoile
Il n’y a que la nuit
Pour pouvoir nous l’offrir
Zidda è zuddu
« …nantu à un zuddu ammutulitu
induva u sonnu camineghja »
Maria Paula Lavezzi
A zidda chirchinàia calda buddenti
Cascàiani fora i parolli arrutati
Purtati da ventu pizzicaghjolu
Quì era stu tempu stantaratu
Senza appoghju di li mani
Senza chjappedda è chjoda ancu di menu
Hè cusi chè zidda ùn era chè zuddu
Di l’altru mondu
Agguantatu à l’appiatu
Una sera dopu cena
À li primi ghjorna di lu mesi
Di nuvembri
L’âtre et le seuil
« …sur un seuil silencieux
où passe le sommeil »
Marie Paule Lavezzi
L’âtre gémissait dans sa fièvre
Dehors pleuvaient les mots cinglants
Portés par la bise piquante
Ici règnait ce temps pétrifié
Qui tenait sans l’aide d’une main
D’une brique ou d’un clou
Voici pourquoi l’âtre n’était que le seuil
De l’autre monde
Capturé furtivement
Un soir après dîner
Aux premiers jours du mois
De novembre