"Casaluna", de Joël Bastard
Ce magnifique recueil de poèmes dont le est empli d'une profonde nostalgie, de cette «nostalgie, laissée pour morte sur un lit de fougères».
L'écriture de Joël Bastard est belle. Affûtée «d'une eau tranchante de roche», elle fait miroiter le dessous des mots. Précision du vocabulaire associée à une succession d'images instantanées, elle reflète le mystère au-delà des êtres et des choses simples.
Le poète écrit «du miroir des pierres closes», «l'île comme une conque posée sur l'oreille», «pour répondre aux vagues qui cognent contre». Il rassemble «les éléments restants» «pour construire l'instant de la rive là-bas», pour faire face «à la nuit qui s'avance dans le noir». Et il rallume ainsi des mondes éteints «pour aller vers ce dernier mot que nous ne connaissons pas».
Casaluna est aussi un hommage aux humbles - ce que le poète nous signifie en reprenant les quatre premiers alexandrins des Pauvres gens de Victor Hugo. Il est surtout l'hommage d'un poète orphelin, dont les poèmes s'inscrivent comme une épitaphe sur son tombeau, résonnant comme le poème de Rimbaud, Les étrennes de l'orphelin - qui justement répondait à celui de Hugo cité par l'auteur :
Ce sont des médaillons argentés, noirs et blancs
De la nacre et du jais aux reflets scintillants;
Des petits cadres noirs, des couronnes de verre,
Ayant trois mots gravés en or : "A NOTRE MERE !"
Casaluna, Joël Bastard, Gallimard 2007, 106 p.
EXTRAITS :
p. 17
La rivière aliquote passera par les ouïes de la truite sévère. Son eau peignée de branchies comme pour le vent dans les genévriers. Tout respire et défile. La rivière bue des roches. L'haleine. Le souffle des bêtes à travers le jour construit de pierres sèches.
p. 18
Se tenir là. Sur cette rive. Pieds nus dans le silence des éboulis. Le long du lit mobile. La pente se tenant elle aussi sur la rivière. Se dressant dans le bleu excédé. Se retenant dans la chute à sa propre disparition. Elle finira par se laver de sa verticalité légendaire. Dans le mélange des chemins. Le retournement des fondations confidentielles. Les portes désolées. Elle finira dans le ventre éviscéré des truites noires. Dans l'accourse de cette langue glacée.
p.22
Le garrot brûlant du soleil sur mon bras. les volets à peine ouverts. La mélancolie peut venir déballer ses vieux cuivres dans la pénombre. Sa poignée de paille et ses taies d'oreillers empilées près de la Singer. Un mort se frotte le menton - au frais dans le cellier -, bruit de barbe bleue. C'est un homme qui s'interroge devant un casgiu. La faim de le voir!
"Casgiu" : fromage vieux
p. 48
J'écris depuis toujours. Depuis cette pierre close. Je me trompe. Depuis la pierre me suis trompé avec l'eau et vos syllabes dorées. J'écris depuis cet instant-là. De l'oeil penché et de votre corps. Aveuglée pierre close.
J'écris du miroir des pierres closes. Du grand orgue béant de roses même de bleus le ciel. Làdessus. Miroir de toutes choses qui renvoie nulle part de soi. Nous empêche de voir la rose. Son lilas d'autres fleurs. L'éclat de la mort prochaine sur les lèvres de la mère qui nous indispose.
Il n'y a rien dans ce tombeau. Ni dans cette manche que je tiens de toi. Les dents serrées dans l'expression. Sur cet os à ronger. Ce stylo.
p. 87
Les mains calleuses du berger sous le jet d'une fontaine. Bol de grès pour un sein d'eau claire.
Le poids renouvelé de l'absence à porter en bouche. La fraîcheur du manque.