Rencontre avec Gaëlle Obiégly, Sainte-Cécile-les-Vignes (21/02/14)

Publié le par Emmanuelle Caminade

Rencontre avec Gaëlle Obiégly, Sainte-Cécile-les-Vignes (21/02/14)

Passionnante rencontre hier au Café littéraire de Sainte-Cécile-les-Vignes où, interrogée par Xavier Tresvaux, Gaëlle Obiégly nous présenta son dernier livre Mon prochain : un livre singulier à l'image de son auteure.

Gaëlle Obiégly n'aime guère la posture littéraire et, de même qu'elle ne lit que de l'écriture, elle n'écrit ni avec ni pour la littérature. Car son rapport à la littérature est existentiel, l'écriture étant pour elle une attitude face au réel, la recherche d'une voie pour se représenter le monde et les autres – ce qui n'est pas soi – et pour retrouver ce "moi" qui n'est pas celui que l'on s'est construit, séduit par des théories auxquelles on a tenté de se conformer mais qui ne coïncident pas forcément avec nos propres observations du réel ou les tendances personnelles qui nous constituent. Il y a donc une fonction pratique, utilitaire, de l'écriture qui sert à libérer ce moi enfoui.

La connaissance de soi, de son "génie" propre, est d'ailleurs un sujet essentiel du livre, le terme "génie" n'ayant rien à voir avec celui de talent mais recouvrant seulement «ce qui nous convoque à nous-même», cette singularité dont nous sommes les dépositaires.

Aussi ce génie peut-il être tout à fait improductif, comme chez Louis Lambert le héros de Balzac, ou comme chez la narratrice de Mon prochain qui, grâce à son incapacité à écrire les articles que lui commande son journal, va découvrir le sien, notamment en se confrontant à la manifestation de celui de son prochain (un génie qui peut même se loger dans des caractéristiques très physiques, la simple mâchoire d'un chanteur croisé dans un métro révélant l'approche de la vie de son détenteur !)

Et Gaëlle Obiégly semble dans ce livre affectionner les figures de ratage : Gaëlle, le double de la narratrice désertant le chemin de la réussite pour s'enfoncer dans la petite délinquance, renonce ainsi à l'écriture au profit de l'existence pure, sans souci de laisser de trace. Et Pinceloup, jeune américain s'étant identifié au criminel d'une fiction, apparait paradoxalement à la fois comme  figure d'un ratage le conduisant à la peine de mort mais aussi d'une réussite puisqu'il a mené à terme son projet – occasion pour l'auteure de s'interroger sur ce qui, entre réel et représentation, est premier...

Cette connaissance de soi nécessite une intense réflexion naissant  d'une observation très minutieuse et très concrète du monde et des autres qui permet de saisir ces décalages infimes qui soudain ouvrent une brèche, «une faille», pour voir et penser le monde. Des mini accidents qui vont devenir des événements, ces dysfonctionnements fécondant la pensée.
Aussi L'écriture de Gaëlle Obiégly valorise-t-elle l'observation et la réflexion au détriment de la narration. L'auteure n'aime pas raconter des histoires et s'en estime incapable. Elle se sent «moralement obligée de déserter
le champ de la fable», et elle refuse de se laisser aller au plaisir d'écrire, à l'ivresse des mots. D'où sa tendance à freiner, à rompre brutalement par l'humour dès qu'elle pourrait se laisser entraîner à faire de la littérature.

 

Gaëlle Obiégly écrit dans des carnets et quand se décide un livre, il lui est essentiel de trouver une forme, d'en inventer une nouvelle.

Mon prochain est né de son désir de dire adieu au monde car elle pensait qu'elle allait mourir. Elle s'est aperçue alors qu'elle ne pouvait penser le monde car il lui était inconnu. Et de cet inconnu, de cet irreprésentable est née l'écriture de ce livre. Un livre écrit en 21 jours mais, qu'ayant «survécu à l'anesthésie», elle améliora après son opération. Sinon, ça aurait été «un livre posthume pourri»!
Comme toujours, elle s'est amusée à prendre le contre-pied de son livre précédent. Et si Le musée des valeurs sentimentales  avait une forme très rigide et se déroulait en un seul lieu, Mon prochain possède une forme souple et se déroule en une multitude de lieux éloignés les uns des autres qui donnent un indice de distance, de la grandeur de l'espace du monde. Même si ce livre ressemble un peu à un patchwork, il est très composé, très contraint. Ses sept parties ne sont pas des chapitres, plutôt des catégories mises en place avant de travailler. Des maisons qu'elle habite successivement et dans lesquelles elle va voir le monde et ses personnages sous l'angle de catégories différentes. Quant à l'avertissement préliminaire c'est une sorte de marche-pied afin d'éviter que la première catégorie, en forme de reportage, ne laisse entendre que le livre en serait un, ce qui n'est pas le cas.

Gaëlle Obiégly nous est apparue ainsi comme une auteure authentique, d'une très grande exigence morale envers soi, ne s'affirmant en rien dans une posture, qu'elle soit littéraire ou autre. Et on attendra avec intérêt son prochain livre qui, forcément, sera très différent du précédent ...

Publié dans Interview - rencontre

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