Rencontre avec Jérôme Ferrari (Aix-en-Provence,13/05/11)
Peu de monde pour cette rencontre organisée par François-Xavier Renucci au Lycée Vauvenargues, il est vrai que le week-end s'annonçait plutôt ensoleillé...
Jérôme Ferrari a pu néanmoins nous y parler d'Où j'ai laissé mon âme mais aussi de littérature et d'écriture, et c'est bien là ce que l'on demande à un écrivain. C'est en tout cas ce qui a le plus retenu mon attention, son dernier roman ayant été déjà largement commenté dans la presse et sur le Net.
Il est tout d'abord ressorti de nos questions que l'écriture s'avère en général pour un écrivain beaucoup plus spontanée que les lecteurs ne se l'imaginent !
Un processus souvent initié pour Jérôme Ferrari par des événements minimes, une rencontre, une séquence ou une réplique de film ( Apocalypse Now pour Un dieu un animal, le documentaire L'ennemi intime de Rothman pour Où j'ai laissé mon âme) ... et non par un ambitieux projet .
Cela permet de réaliser que toutes nos observations, nos analyses , nos interprétations, si elles mettent parfois à jour des éléments significatifs échappant plus ou moins à la conscience d'un écrivain, relèvent aussi de ce qui nous modèle inconsciemment , que chaque livre achevé entame de multiples vies résultant du croisement des imaginaires de l'auteur et de ses lecteurs ...
De quoi se nourrit l'écriture de Jérôme Ferrari ?
Assez largement de ses lectures philosophiques ( Nietzsche bien sûr, mais également Gilles Deleuze ), bibliques (les Evangiles et notamment celui de St Jean ), littéraires ( importance de la littérature russe, du style de Lobo Antunes, de la poésie mystique soufie ...) mais pas de littérature corse , la découverte de cette dernière datant pour lui de la lecture de Marc Biancarelli !
Alors si on veut absolument tenter de rattacher les frères Nicolaï de Dans le secret à la littérature, il vaut mieux chercher du côté des frères Karamazov que des Deux frères corses de Dumas ...
Jérôme Ferrari fut et est encore un gros lecteur et, s'il a commencé à écrire quelques textes dès son adolescence, il n'a rien gardé de cette époque, la publication tardive ( à l'âge de 32 ans) de son premier livre étant liée à sa rencontre avec l'écrivain Marc Biancarelli.
Son désir d'écriture est né assez naturellement de son "plaisir" de lecteur. Un mot à comprendre en terme d' intensité puisque recouvrant tout autant la souffrance que la joie. Notion tout à fait intéressante d'intensité proposée par l'auteur pour mieux appréhender aussi son écriture : l'important semble être pour lui de révéler en faisant ressentir intensément ...
Revenant sur l'article de l'auteur dans Libération ,Sous les clichés, la corse, François-Xavier Renucci a donné l'occasion à Jérôme Ferrari de préciser la formule un peu maladroite, ou du moins peu explicite, qu'il y avait employée, disant qu'il cherchait en prenant la Corse pour cadre de ses fictions à la faire accéder à "la dignité littéraire"'. Il voulait surtout souligner que la Corse n'ayant jusqu'ici été présente dans la littérature - romantique ou régionaliste - que sous forme de clichés pouvait y apparaître désormais dans sa réalité.
Et si la Corse est toujours présente, à des degrés divers, dans ses romans, c'est que, pour un écrivain, il semble naturel de s'appuyer sur ce qu'il connaît le mieux, ce qui donne une garantie d'authenticité à ses fictions . La Corse lui fournit ainsi un matériau très riche pour nourrir certains personnages, décrire certains lieux ou traiter de certains thèmes. Rien de nouveau donc depuis son premier recueil de nouvelles Variétés de la mort, la Corse sera toujours "un merveilleux laboratoire d'expérimentation de l'universel".
Faisant référence à Apocalypse Now , je rappelais les reproches d'esthétisme racoleur fait à Coppola pour avoir abusé des effets spéciaux pour traiter de la guerre, estimant que le cinéaste avait sans doute , comme Conrad dans Au coeur des ténèbres , voulu montrer le pouvoir de fascination de l' horreur et le faire ressentir à ses spectateurs. Ce qui permettait de s' interroger sur le style qui convient pour aborder dans une fiction les horreurs de la réalité.
Un problème que Jérôme Ferrari s'est bien évidemment posé pour parler de la torture dans son dernier livre. ( Il avait été violemment critiqué , je le rappelle – et avec une certaine mauvaise foi, me semble-t-il quand même – par Joël Jegouzo au sujet de son style ...)
L'important est de savoir ce que l'on veut montrer, révéler, et de trouver le style le plus juste pour le faire. Il était important pour lui d'éviter de "faire joli" et d'éclairer la réalité sans donner matière au voyeurisme du lecteur en entrant trop dans des détails obscènes ...
Je termine là ce bref compte-rendu qui n'a rien d'exhaustif , en espérant que je n'ai pas trop déformé les propos de Jérôme Ferrari.
(Premier billet inaugurant une rubrique "Rencontres avec des écrivains" où je rendrai compte des rencontres et cafés littéraires auxquels j'assiste)