Rencontre avec Josée Kamoun, la nouvelle traductrice de Jonathan Coe
Sainte-Cécile-les-Vignes, le 16/09/11
Josée Kamoun et Françoise Tresvaux
Une soixantaine de personnes s'étaient rendues au restaurant Le Relais de Sainte-Cécile-les-Vignes - un petit village du Vaucluse dédié au vin mais aussi à la littérature (1) - pour le premier café littéraire de la rentrée. Françoise Tresvaux y avait invité Josée Kamoun à venir parler de son métier de traductrice et de sa traduction du dernier roman de Jonathan Coe : La vie très privée de Mr Sim.
Josée Kamoun - dont ce n'est pas l'activité principale - est traductrice depuis 25 ans. Elle est notamment la voix française de John Irving et de Philip Roth et si elle traduit surtout des auteurs américains, elle n'a pas hésité à s'attaquer au célèbre écrivain britannique qui était auparavant traduit - entre autres - par Serge Chauvin, son relecteur chez Gallimard; elle a même exceptionnellement accepté de traduire son dernier roman sans l'avoir lu auparavant!
1) Sainte-Cécile-les-Vignes : une coopérative vinicole, une bibliothèque, une librairie, un café littéraire et un salon du livre (Lire entre les vignes) !
De la traduction en général
Le métier de traducteur
La profession de traducteur littéraire n'en est pas vraiment une, même s'il existe une école de traduction. Les éditeurs ne demandent aucun diplôme – et on a parfois plutôt intérêt à les cacher ! Certes, il est indispensable d'être bilingue, mais il suffit en général d'être un ami d'ami ou un écrivain pour que l'on fasse appel à vous ...
Pourtant, pour s'acquitter correctement de sa tâche, il ne faut pas seulement connaître deux langues, il faut maîtriser deux littératures ! Une tâche nécessitant donc des compétences ( Josée Kamoun n'en manque assurément pas ) et beaucoup de travail.
Un traducteur est toujours libre de refuser une traduction à l'éditeur avec lequel il travaille. Il est en effet difficile de traduire un livre que l'on n'aime pas, dont le sujet vous rebute, vous pèse, vu la longueur du temps que l'on doit passer seul avec lui. Mais il y a un grand plaisir, un certain "frisson" à se sentir "caméléon" et à se glisser dans la peau d'un écrivain qui ne vous ressemble pas forcément ou dans des textes que vous n'auriez jamais pu écrire.
Le traducteur est un personnage obscur et solitaire , une sorte de "restaurateur de tableaux" qui s'accommode en général de l'ombre et son travail est contrôlé par un personnage encore plus obscur, le relecteur. Ce relecteur est un spécialiste, en général un linguiste, plus rarement un traducteur, qui procède , page à page, à une lecture parallèle minutieuse des textes dans les deux langues.
Traduire des effets et non des mots
Si le traducteur est "le double du langage de l'auteur", il ne peut que réécrire le livre à partir d'un canevas pour passer d'une langue à l'autre. Une traduction rigoureusement littérale est en effet impossible, le traducteur "traduit des effets, pas des mots".
Les sonorités les rythmes propres à chaque langue influent aussi sur le sens et certains mots, certaines expressions n'ont pas d'équivalent. Sans parler des spécificités grammaticales. En anglais, par exemple, le prétérit est le seul temps du récit alors qu'en français nous disposons du passé simple, du passé composé et du présent de narration (2).
Il n'existe donc pas une traduction idéale, figée, d'un roman et il est souhaitable que la traduction d'une oeuvre soit sans cesse reprise, comme l'interprétation d'une oeuvre musicale ou la mise en scène d'une oeuvre théâtrale.
2) la "retraduction" par Josée Kamoun de Sur la route de Kerouac au passé composé lui a ainsi permis d'insuffler un rythme que ne pouvait rendre le passé simple, temps obligé du récit - dont, à l'époque de la première traduction, seuls les auteurs et non les traducteurs pouvaient s'affranchir.
Peut-on juger juger une traduction ?
L'évaluation du travail de traduction ne peut se faire sans une confrontation texte à texte que bien peu de personnes peuvent faire, hormis le relecteur , faute de compétence et/ou de temps. Aussi, le traducteur reçoit-il fréquemment des blâmes ou des louanges immérités. Bien souvent les reproches incombent en réalité à l'auteur et, le plus difficile à traduire, ce ne sont pas forcément les acrobaties linguistiques !
Le traducteur est un peu dérangeant et joue pour le lecteur un rôle équivoque : il lui ouvre le texte – ce qu'il a tendance à oublier – et il est en même temps soupçonné de trahir le texte. Le traducteur est ainsi une sorte de "témoin gênant" qui lui rappelle qu'il n'a pas, lui, accès au texte.
Quant aux rapports avec l'auteur, il est assez rare qu'ils se passent mal , ce dernier ne comprenant généralement pas la langue dans laquelle vous traduisez son livre. Là où les ennuis commencent, c'est quand l'auteur pense comprendre cette langue ou, pire, quand il pense que ses amis la comprennent ! Le meilleur auteur, c'est un auteur mort ...
De la traduction de "The terrible privacy of Maxwell Sim"
Josée Kamoun a pris beaucoup de plaisir à lire ce roman qui propose "un panorama du monde post-moderne" et montre la fascination exercée par ce "monde de plus en plus matérialiste et dématérialisé". Un roman qui lui est apparu comme une "version légère" de La carte et le territoire de Houellebecq , le héros devenant une sorte de "figurant" désorienté. Un héros qui est appréhendé sous un angle "plus psychanalytique que sentimental", Mr Sim étant amoureux de la voix de son GPS qui serait une sorte de "surmoi virtuel".
Elle s'est par ailleurs tout de suite sentie en phase avec l'écriture de Jonathan Coe, "une prose oralisée, conversationnelle, fluide" qui ne présente pas de difficulté majeure à traduire, d'autant plus que l'on comprend toujours ce que veut dire l'auteur.
Cette traduction lui a quand même pris 6 mois, car il est nécessaire de laisser souvent reposer , "infuser" une traduction avant d'y revenir.
L'auteur n'est pas intervenu dans cette traduction, Josée Kamoun s'étant contentée de lui poser quelques questions par mail en bout de parcours. Elle a ensuite rencontré l'auteur à l'occasion de la promotion de son livre à Paris et lui a servi d'interprète.
Je brûlais de questionner la traductrice sur sa traduction du titre "The terrible privacy of Maxwell Sim" par "La vie très privée de Mr Sim". Une traduction qui ne rend pas compte d'un titre original qui résume pourtant fort bien le livre, cette peur du héros à s'affronter, à s'accepter, cette incapacité à établir pour la même raison une complicité dans ses relations avec les autres , notamment avec les femmes.
Pourquoi n'avait-elle pas traduit "terrible privacy" par "terrible intimité" alors que cette expression apparaît de manière récurrente dans le texte et même dès la dernière épigraphe du livre ? Pourquoi l'occultation pure et simple du terme "terrible" ? Et le mot de Coe qu'elle traduisait ainsi tout au long du livre par "intimité" était-il bien "privacy" ?
Je voulais comprendre la logique de cette traduction.
A ma grande surprise, Josée Kamoun sembla un peu agacée par ma question et se mit immédiatement sur la défensive. Me faisant remarquer – ce que j'ignorais – que, selon la loi, c'était l'éditeur qui choisissait le titre, elle en revendiqua paradoxalement la liberté de traduction, la responsabilité entière.
Et je dois dire que ses explications ne m'ont pas tout à fait convaincue et ont même semé le doute dans mon esprit , me faisant penser – ce que naïvement je n'avais pas réalisé – que même si le titre ne lui avait pas été imposé elle avait peut-être devancé les désirs de l'éditeur !
Car l' expression utilisée par Jonathan Coe est bien toujours "terrible privacy", mais elle a jugé bon de ne pas la traduire de la même manière dans le titre, ce qui personnellement me semble peu cohérent.
La raison en serait que "terrible intimité" ne signifierait rien hors contexte pour le lecteur. Mais un titre revêt-il toujours un sens précis ? Bien souvent un bon titre a quelque chose d'étrange, de mystérieux qui ne sera totalement explicité qu'après lecture du livre.
Pour parfaire sa démonstration elle ajouta avoir choisi ( ce que je ne mets pas en doute) le terme "vie privée" – qui est un des sens de "privacy", avec celui de "confinement" -, en s'inspirant d' un comique évoquant "sa vie privée, privée de tout", ce qui s'appliquait bien à un héros plutôt démuni...
Bien que je respecte totalement la liberté du traducteur et que je sois très admirative et reconnaissante du travail qu'il réalise, cette réponse me sembla plus relever de la pirouette , et il est à mon sens évident qu' avec ce titre, repris dès la dernière épigraphe du livre, l'auteur donnait délibérément, un peu lourdement selon son habitude, un indice capital. Et je vois bien maintenant combien l'expression "vie très privée", avec sa connotation légèrement grivoise, rend le titre bien plus accrocheur...
Cette rencontre fut donc tout à fait intéressante. Josée Kamoun, très à l'aise, vive, intelligente et drôle, s'y montra brillante mais sa réaction à ma question – quoique instructive - fut un peu décevante. Sentiment que je partage avec une des participantes qui s'apprêtait à poser la même question et que j'avais devancée.
Salle du restaurant où se déroule le café littéraire
Voir la critique et les extraits de La vie très privée de Mr sim :