Villa Mon Rêve, de Nicolas Rouzet
Originaire de Dunkerque où il a passé toute son enfance, et issu d'une famille désunie, éclatée, qui ne lui a rien transmis, Nicolas Rouzet semble avoir pour seul point d'ancrage familial cette ville martyre du bord de la mer du Nord qui fut aux trois quarts détruite par les bombardements et dont le bitume et le sable des dunes ont recouvert tant de cadavres.
Dans Villa Mon rêve, ce court récit publié fin 2019 par les éditions poétiques Mazette dans leur collection de littérature Brèche - accueillant des formes brèves inclassables en marge du roman et de la poésie -, il s'inspire de cette mémoire familiale trouée et plombée de nombreux deuils : une mémoire intimement mêlée à celle de la seconde guerre mondiale.
Bataille de Dunkerque, opération Dynamo
Me voici, je suis tissé de tous mes morts, par leur parole inaudible, leur bouche cousue. Mon corps est plein de sable, mon âme pèse le silence sur la balance du jugement. Tous mes rêves, mes cauchemars, sont traversés par leur présence familière, leur absence...
(p. 8)
Cet auteur poète se faisant narrateur va ainsi, bravant "la tempête de sa destinée" (1), tenter de rassembler ces songes épars hantés de fantômes, de rendre audibles les voix de ces derniers et d'incarner leurs ombres et, brodant sur les vides, de retisser les lambeaux du puzzle familial.
1) Cf son poème La rôdeuse
Le récit, judicieusement fragmenté (en courts chapitres eux-mêmes divisés en nombreuses sections) fait alterner sans cesse les points de vue narratifs, passant du recul de la troisième personne au "je" du narrateur - mais aussi à celui de Guy Templeuve, ce grand-père germanophile qu'il ne croisa qu'une fois.
Un grand-père qui finit aveugle, jouant des lieder qu'il était seul à entendre sur un clavier muet, et désormais spectre errant cherchant dans le vent cette maison qui fut la sienne et semblant en attente de pardon :
«Vous qui êtes mon sang, pardonnez-moi ! Vivant, je me suis éloigné de vous. Maintenant je reviens vers vous, mais personne ne me voit.»
Scandé d'entêtants décomptes macabres et mêlant les vainqueurs et les vaincus, le récit s'articule sur ce grand-père auquel le narrateur semble parfois s'identifier et sur cette mystérieuse villa Mon Rêve de Malo les Bains – station balnéaire à quelques kilomètres de Dunkerque. L'ancienne villa familiale qui vit passer tant de choses durant la guerre et que l'auteur découvrit pour la première fois à l'âge de onze ans : «La villa paraissait assoupie comme prisonnière d'un songe ».
Et tout ce récit va s'attacher à réveiller cette belle au bois dormant pour qu'elle livre ses secrets, tandis que, ranimant ainsi les fantômes, le narrateur sort sans doute aussi lui-même de son enfermement.
Villa Mon Rêve, mélancolique et troublant récit servi par une très belle écriture, semble s'inscrire ainsi dans le sillage d'une œuvre poétique procédant d'une même démarche. Celle d'un poète allumant la lampe pour éclairer l'obscurité et ouvrant un espace (2) à tout ce qui cogne aux murs. D'un poète qui redonne voix et chair à ces ombres souterraines qui peuplent ses rêves.
2) Cf le poème Le cercle et la parole
Malo les bains
Villa mon rêve est suivi d'une nouvelle édition remaniée de Terminus Nord (La Porte, 2016), un court texte poétique entre vers libres et prose qui hante les mêmes lieux.
L'auteur y revient sur son enfance dans cette ville de Dunkerque où il retourne en rêve quelquefois : «une ville terminus» où le temps semble se figer, ou du moins s'écouler si lentement qu'il «ne coule pas plus vite qu'une pierre/ au fond du fleuve».
Villa mon rêve, Nicolas Rouzet, Mazette, novembre 2019, 62 p.
(à commander chez l'éditeur : http://www.editions-mazette.fr/villa-mon-reve)
Nicolas Rouzet est né en 1970. Enfance à Dunkerque, à deux pas de la mer, où il développera un goût définitif pour l’inaction et la rêverie. Il vit aujourd’hui à Marseille ; aime les grands espaces, les poètes maudits et les chansons russes. (éditions Mazette)
On peut lire les premières pages du livre : ICI