Quelques miettes tombées du poème, de Jean-Pierre Boulic

Publié le par Emmanuelle Caminade

Quelques miettes tombées du poème, de Jean-Pierre Boulic

Dans son dernier ouvrage, Jean-Pierre Boulic revient aux sources de sa foi et de sa poésie. Il scrute ainsi à nouveau les lieux de son enfance, arpentant prairies et champs, landes et forêts, dunes ou roches bordant la mer, attentif aux arbres, aux plantes et aux oiseaux qui les habitent. Les sens en éveil, ce poète mystique breton dont les mots sont «gorgés de la sève de la source» contemple ainsi infiniment «le visage des choses de la terre».

 

 

Se composant de soixante-six courts (1) poèmes sans titres en vers libres - se réduisant parfois à quelques mots -, Quelques miettes tombées du poème s'attache essentiellement à «des riens des choses qui traînent/ qui passent mais interpellent», l'auteur les voyant comme des «signes».

Ces instants fugaces (2) sont en effet vécus par ce dernier «comme un ensoleillement/ des mots à venir (…), un envol de chants nouveaux /pour ouvrir le ciel» (p.59). Et dans ce recueil poétique Jean-Pierre Boulic nous livre ainsi une succession de petites épiphanies :

 

«Un rayon de soleil

par la brisure des nuages

se pose avec tendresse

sur l'épiderme des bruyères

 

Regarde cet instant

garde-toi bien de l'oublier

 

Il y a là posé

au cœur de la lumière

le secret sans mesure

d'un au-delà vivant d'amour» (p. 22)

 

1) un nombre double à la riche symbolique notamment en termes de signification spirituelle

2) "Ecrire c'est murmurer/ au secret d'un pauvre instant", écrivait-il déjà dans son recueil Sentiers illustré d'aquarelles Anne Lemaître (L'Atelier des Noyers, septembre 2021)

 

 

C'est un recueil d'une structure très simple (sans regroupement de poèmes en parties) n'ayant pour fil conducteur que celui des saisons, du cycle infini du renouveau. Commençant au printemps, il s'achève après l'été du cycle suivant, l'été incarnant la lumière divine à son apogée :

 

«Retable des champs

Juste à l'instant où tu vois

la maison d'épis

 

Deviens ce lieu lumineux

porté par l'immense été» (p. 62)

 

Les poèmes sont irradiés par cette lumière porteuse du vrai vers laquelle se tourne toujours le regard de l'auteur, et ils résonnent également de voix :

 

«Voix entremêlées

des merles et des moineaux

rondo du matin

 

Au fond des futaies

sans amertume se glisse

la bonté des voix (...)» (p.59)

 

Les oiseaux tiennent ainsi une grande place, ayant un rôle médiateur entre l'ici et l'ailleurs : «le passereau (...) invite à écouter/ Tandis qu'il s'envole vers un ailleurs» (p.25). Tout comme l'«infinie clameur de l'océan» et la brise, ce «vent pieux / plus vrai que le réel».

Et le poète écoute cette voix silencieuse de l'au-delà, «Cristal du silence/ inaccessible écho», et joue souvent sur la répétition de vers ménageant un écho (3). Tandis que chaque poème commence par une sorte de lettrine se dédoublant, la majuscule script se dupliquant en grand caractère manuscrit semblant prendre son envol.

Et l'on doit souligner au passage la présentation graphique particulièrement soignée de ce recueil, et notamment le recours à deux pages bleues pour l'encadrer et à la reproduction d'une lithographie de Jean Bazaine pour le ponctuer - lithographie dans laquelle l'ombre du noir et le jaune de la lumière se mêlent à ce bleu symbolique du ciel («ciel myosotis») (4) :

 

«Paysage bleu

sa couronne de chardon

la dune bruisse

 

Tes yeux peuvent alors voir

la louange de l'été» (p.23)

 

3)«Quand tes mots se penchent» (p.24)/ «Tandis qu'ils s'envolent vers un ailleurs» (p.25)/ «Laisse l'angoisse» (p.39)/ «en lui bruisse une voix» (p.53)/ «ô couleurs ô chemins/ à l'heure matinale» (p.70)/ «Un chant autrement» (p.70)/ «un regard vers la lumière» (p.73)/ «Ce n'est pas parole creuse» (p.74)

4) Ce bleu, mystère d'un monde éternel, que l'on retrouve chez Christian Bobin, poète mystique également à l'écoute du silence et à l'affût de la beauté

 

Lithographie de Jean Bazaine

 

«Sois sans crainte

tu es choisi

ne refuse pas

le signe offert

à ton regard

 

Abandonne toi

sans trembler

le cœur libre

à la grâce d'un oui

au poème» (p.15)

 

Usant fréquemment d'un "tu" désignant celui qui écrit, Jean-Pierre Boulic rappelle constamment sa mission poétique, celle d'un poète ayant répondu à un appel accueilli  comme une grâce. D'un poète qui, avec humilité, ne se considère pas comme un créateur mais comme un traducteur :

«(…)

Tu écoutes

l'infime

en vérité

avant de le traduire

au bout de tes doigts» (p.16)

 

«Au creux d'un monde / où violence est faite/ à la liberté de vivre» (p.14), Jean-Pierre Boulic exalte «l'élan du vivant» et «l'ensoleillement de vivre», chantant avec persévérance, malgré les souffrances et les larmes, son émerveillement et sa gratitude. Il offre ainsi en partage un chemin vers la plénitude, vers une réconciliation mystique avec la vie (5).

5) Ce que semble indiquer la citation en exergue de Charles Juliet, poète qui retrace le parcours l'ayant mené, après une crise existentielle, à une seconde naissance (en se rapprochant de la source)

 

 

 

 

 

 

 

Quelques miettes tombées du poème, Jean-Pierre Boulic, Les Cahiers d'Illador, mars 2024, 80 p.

 

A propos de l'auteur :

Jean-Pierre Boulic vit à Trébabu, juste en face de l’île d’Ouessant.

Il a publié de nombreux recueils de poésie et figure dans plusieurs anthologies (notamment Les années poétiques 2005 et 2008, Seghers, et Poètes de Bretagne sous la direction de Charles Le Quintrec, La Table Ronde 2008).

À l’automne 2010, il obtient le Grand Prix de poésie Louis Montalte de la Société des Gens de lettres. et en mai 2014, le Prix Yves Cosson de poésie de l’Académie littéraire de Bretagne et des Pays de la Loire pour l’ensemble de son œuvre.

 

Sur L'Or des livres : ici

 

 

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Publié dans Poésie, Recueil

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