"Tartes aux pommes et fin du monde", de Guillaume Siaudeau

Publié le par Emmanuelle Caminade

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Avec Tartes aux pommes et fin du monde, Guillaume Siaudeau signe un premier roman plein d'imagination, de légèreté et d'humour, et non dépourvu d'acuité ni d'épaisseur philosophique. Un roman en forme de récit autobiographique dans lequel un doux rêveur «qui aime bien les bibliothèques» retrace avec candeur son parcours menant à l'âge où il faut affronter l'humaine condition et se demander si la vie vaut la peine d'être vécue.

Guillaume Siaudeau présente ce récit globalement linéaire (même s'il intègre plusieurs flashes-back reprenant des souvenirs) de manière très aérée, une bonne quarantaine de chapitres commençant à mi-page multipliant les espaces blancs propices à la rêverie. Et, bien qu'ancrant son histoire dans la réalité, dans la banalité de ces routines et de ces événements heureux ou malheureux qui tissent le quotidien, il plonge le lecteur dans un univers onirique et poétique venant la transcender, allégeant ainsi la cruauté de l'existence. Un univers fantaisiste et loufoque qui n'est pas sans rappeler celui de Boris Vian auquel l'auteur semble envoyer un clin d'oeil avec ce bar du «Martin triste» qui «avait pour spécialité les cocktails clignotants». Et sa séduisante héroïne ne se prénomme pas Chloé ni Alise mais tout simplement Alice : «le genre de fille qui vous accueille cheveux ouverts et dont les rétines font deux petits parterres de terreau fertile où planter vos yeux».

 

Avec une écriture très économe, simple et familière, l'auteur porte un regard clairvoyant sur le monde, sur la violence mais aussi la douceur des rapports humains, montrant l'extrême solitude des êtres qui conservent toujours une part de mystère, même pour leurs proches. Et il témoigne de beaucoup de tendresse et de bienveillance pour tous ses personnages : des hommes et des femmes modestes qui ont besoin «d'amour ou de compagnie» pour se «sentir exister» et ressentent douloureusement ces pertes, ces abandons ou ces morts qui jonchent l'existence. Leur bonheur est fragile, la soudaineté du malheur ne laissant pas «le temps d'éplucher toutes les pommes de terre ni de tailler tout le buisson» mais l'auteur montre l'amour et l'amitié et tous ces «plaisirs simples» qui embellissent leur vie – sans négliger «la succulente tarte aux pommes» de la propriétaire qui «portait la gentillesse sur son visage».

Le paradis n'est donc pas sur terre. Pas plus que le chien Bobby, l'homme ne peut s'envoler mais il tentera toujours de se construire «des ailes en carton». Le seul problème s'avère celui du suicide et dans ce passage à l'acte toujours possible réside aussi cette liberté qui donne son prix à la vie. Une liberté toutefois moins enviable que celle de ces navires prenant le large car «il n'y a pas plus libre qu'un bateau qui laisse des traces dans l'eau».

Au travers de son héros, Guillaume Siaudeau résume ainsi par petites touches le parcours des hommes de tous les temps, passant sans cesse du mythe d'Icare à celui de Sisyphe. «Aimer et perdre. La vie [est] rythmée par ces deux mots», mais il veut imaginer, comme Camus, un Sisyphe heureux.

Accepter «nos petites vies bancales» avec «nos souvenirs sous les bras», «réapprendre à aimer pour réapprendre à perdre», «chercher une nouvelle destination vers où programmer [nos] ailes». Dépasser nos angoisses pour affronter l'inconnu, destination qui présente au moins l'avantage de «[limiter] les chances de se tromper de route» ...

Une morale positive déjà annoncée par l'épigraphe du livre empruntée à Walker Hamilton :

«Ca ira mieux quand j'aurai un chien, un bon gros chien.

Peut-être même que j'en prendrai deux.»

Et l'auteur termine habilement cet étonnant récit à la fois drôle et doux-amer en entretenant un petit suspense débouchant sur une fin inattendue. Faisant ensuite se rejoindre le rêve et la réalité, puis dressant un malicieux autoportrait rendant hommage à la fiction, son récit évoque alors par certains côtés Le vol d'Icare de Raymond Queneau.

«Raconter des histoires» ne signifie pas «raconter des bobards» mais «dire juste assez mais pas trop» pour faire avaler les «tas de pilules de la vérité». Guillaume Siaudeau, assurément, possède l'art de raconter ces histoires comme des «verres d'eau (ou d'autre chose) qui les aideraient à couler en douceur».

 

(Article publié sur  La Cause littéraire le 20/08/13)

 

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Tartes aux pommes et fin du monde, Guillaume Siaudeau, éditions Alma, 14 août 2013, 144 p.

 

Guillaume Siaudeau est né le 16 décembre 1980. Il vit à Clermont-Ferrand.

Il a déjà publié de la poésie et tout récemment un e-book, Ces bus qui n'arrivent pas (éditions La matière noire, 22/07/13).

Il tient également un blog intitulé La méduse et le renard.

 

 

EXTRAITS :

 

p.15/16

 

   Un été nous sommes allés, mon père ma soeur et moi, nous balader près d'une falaise. Nous avions emmené notre chien Bobby, un border collie croisé labrador. Il faisait très chaud ce jour-là. J'ai le souvenir d'une vieille dame engluée de sueur qui gueule «il fait très chaud aujourd'hui» et d'un type l'accompagnant qui répond «oui, il fait vraiment chaud aujourd'hui». Il faisait donc vraiment très chaud et Bobby traînait un peu la patte. Pas la patte traînante d'un chien prêt à mourir, non, plutôt comme un vieux chien fainéant qu'on a amené en pleine chaleur se balader au bord d'une falaise.

   Et alors que nous marchions depuis seulement quelques minutes, on a entendu Bobby couiner fort, avant de tomber comme une mouche. Un petit couinement que le vent a eu du mal à emporter plus loin, et sa chute dans la poussière au bord de la falaise. J'ai d'abord cru que Bobby était fatigué et s'offrait une pause bien méritée. Quand la poussière est retombée sur son petit corps inerte de chien, j'ai senti qu'il se passait quelque chose de bizarre.
   Papa s'est tapé sur les cuisses et son visage disait «
allons bon, il manquait plus que ça». Moi je n'ai pas pu parler et ma soeur s'est mise à pleurer. Et c'est dingue comme les larmes peuvent sembler minuscule quand vous êtes à vous balader au bord d'une falaise et qu'un chien vous claque entre les doigts.

(...)

 

p.36

 

(...) Certains immeubles ne ressemblent plus à grand chose quand ils n'ont pas encore le soleil sur les épaules. Des petits amas de pierre dépressive qu'on pourrait démolir du regard.
   Je remontais la rue tranquillement, mes mains brassant un peu de solitude au fond des poches. Il y avait toujours un boulanger pour me rappeler que je n'étais pas seul à errer dans les prémices du jour sans savoir quoi faire de mes mains.

   Je me rendais le long du fleuve et m'asseyais toujours sur le même banc. Un banc en bois qui semblait n'avoir jamais connu le panneau «attention peinture fraîche». Et depuis le vieux banc usé, j'observais le crépuscule s'ouvrir, persuadé qu'il ne fleurissait que pour moi et les quelques boulangers de la ville déjà en service. De temps à autre un bateau passait, laissant des traces d'écume derrière lui, que l'eau effaçait aussitôt.

  Pas un seul matin je n'ai hésité à nager jusqu'au premier bateau de passage, pour foutre le capitaine par-dessus bord et prendre la poudre d'escampette. Les automobiles passent leur vie à tourner en rond, quand les bateaux prennent le large. Il n'y a pas plus libre qu'un bateau qui laisse des traces dans l'eau.

   Je me contentais pourtant de rester assis sur le banc à fomenter mes petits hold-up fluviaux.

   (...)

 

 

 

Publié dans Fiction

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L
<br /> Tartes aux pommes et fin du monde est un petit bijou dont la valeur n’attirera pas nécessairement les braqueurs mais sur lequel devraient se pencher les esthètes. <br /> <br /> <br />  <br />
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R
<br /> Un livre attachant, dont le protagoniste principal évoque bien ce que l'on peut imaginer être une archétype d'une partie de la jeunesse contemporaine, celle ô combien nombreuse qui se retrouve<br /> plus ou moins insérée à la lisière de la société,  mais pas pour autant dépourvue de vie affective et de regard sur le monde qui les entoure, "petits" que  l'écriture économe mais très<br /> imagée de l'auteur reflète avec talent.<br />
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