"Le répondeur", de Luc Blanvillain

Publié le 20 janvier 2020 par Emmanuelle Caminade

Le répondeur est une sorte de fable très actuelle et très drôle tournant autour d'un écrivain célèbre un peu archaïque devant faire face au «bourdonnement des temps modernes» dans un «ghota germanopratin» auquel il semble relativement indifférent. C'est une comédie ironique où Luc Blanvillain nous invite plus largement à méditer sur la création artistique, comme sur la communication, sur notre relation à l'autre.

Ayant fui «le cauchemar des périphéries» où des vies entières peuvent «se dérouler sans événements», Le jeune imitateur Baptiste tente de réussir à Paris. Mais le spectacle qu'il donne dans un petit théâtre alternatif, imitant des célébrité politiques et littéraires, ne fait pas recette.

Un soir, Pierre Chozène, écrivain renommé au petit air de J. M. G. Le Clezio «connu pour ses longs silences» vient l'y rencontrer. Ecrivant un livre pour lui important et difficile, monument érigé à la gloire d'un père silencieux, il a besoin de tranquillité et souhaite lui confier son téléphone portable afin qu'il prenne les appels à sa place en se faisant passer pour lui. Lui donnant toute liberté pour cela, il est prêt à lui confier sa bible : ses notes sur ses proches depuis longtemps accumulées en vue d'un hypothétique roman. A lui confier sa vie.

C'est «une véritable mission d'infiltration comme dans les polars», non seulement excitante mais très bien rémunérée. Aussi, la jugeant «techniquement jouable», Baptiste accepte-t-il.

Il s'y révèlera «incroyablement doué» et ne se contentera pas de répondre à la fille de l'écrivain, Elsa qui, malgré ses dons, n'ose pas se lancer dans la peinture, à son ex-femme venimeuse et à son père taiseux, ainsi qu'à son éditeur impatient, à son attaché de presse et son traducteur ou au journaliste féru de son oeuvre... Il se prendra en effet au jeu et s'enhardira à les appeler de lui-même et à s'immiscer réellement dans ces vies jusqu'à en modifier le cours, ne sortant pas indemne de ces travestissements de la réalité et de ces manipulations.

Jusqu'à ce que tout soit découvert et qu'un délicieux parfum de scandale «catalys[e] la chimie du succès »...

On goûte bien sûr la satire des pratiques de tout ce petit monde littéraire médiatisé, où «il y a des codes, des connivences», où l'on «réseaute» afin d'être publié. Et surtout cette mise en abyme de l'écrivain au travers de Chozène et de sa «doublure vocale». Car si l'écrivain est «par nature un faussaire», Baptiste, dont l'identité semble bien instable, reflète à part entière cet écrivain en proie à la création littéraire.

Cet imitateur à la «méthode atypique» développe ainsi «un imaginaire sonore synesthésique», s'imprégnant moins de la tessiture et de la tonalité des voix que de leur phrasé jusqu'à ce qu'elles forment dans son esprit «une représentation figurative ou abstraite» : «oseraie sous la lune» ou «bocage en bord de mer», «hélicoptères» ou «balancelle»... Il se laisse porter par ces voix qui résonnent en lui et font naître des images, s'enrichissent de données psychologiques et initient des dialogues étonnants, tandis que ses imitations télescopent «les époques, les goûts, les modes».

Et, bien que l'argument de départ soit totalement irréaliste - le livre, d'emblée placé sous une épigraphe de Villiers de L'Isle-Adam, ne se revendiquant pas du réalisme ni même de la vraisemblance - le procédé s'avère «finalement si romanesque» qu'il redore «le blason de la littérature». D'autant plus que le style ironique et distancié de l'auteur, tout en vivacité, en élégance et en finesse, réussit à nous entraîner sans efforts dans cette histoire fantasque et déjantée aux multiples et cocasses rebondissements.