Le silence des fantômes, de Jean-Simon Ottavi

Publié le par Emmanuelle Caminade

 

 

Après un recueil de nouvelles publié à vingt ans (Les Fourvoyés, Publibook, 2005), Le silence des fantômes  est le premier roman de Jean-Simon Ottavi.

C'est l'histoire d'une malédiction, d'un secret de famille enfoui depuis plusieurs générations et d'une quête de vérité. L'histoire d'un héros désincarné dont le monde vole en éclats, ce qui l'amène à s'interroger sur son identité.

 

 

Une «enfance terne» avec un «comportement effacé», de mornes études d'ingénieur lui ayant assuré un métier bien payé, une «passion aussi subtilement allumée qu'éteinte» pour sa compagne : l'existence de Romain se résumait à «une petite chose paisible à laquelle il tenait particulièrement». Mais après trente-cinq ans de tranquillité, «son univers clos de certitudes et de sécurité» sombre dans le chaos quand Rose lui annonce qu'elle attend un enfant dont elle ne sait pas qui est le père. Le choc de cette révélation soudaine, ajoutant l'inquiétude d'une paternité possible à la douleur de la trahison, réveille alors Romain et le tire de son apathie : «Sans le choc qu'il avait subi face à Rose, il serait probablement resté le même être désincarné pendant encore longtemps.»

Ayant besoin de retrouver ses racines pour réfléchir, il se réfugie alors dans sa maison d'enfance propice aux souvenirs, celle construite par ses grands-parents où il passait ses vacances et qui fut abandonnée en l'état à la mort de ces derniers, sa mère ne voulant étrangement plus entendre parler de ce lieu pour elle maudit. Une maison livrée depuis dix-huit ans à la végétation et à la poussière comme aux hordes d'insectes et de rongeurs, qui s'avérera recéler bien des secrets.

Pour comprendre qui il est vraiment et faire émerger un homme neuf, Romain devra s'extraire du double chaos de son existence et de son passé familial et reconstituer non seulement «le puzzle brisé de ses sentiments» envers Rose mais celui de cette maison dont il a le sentiment d'être une extension : «Romain, sans qu'il pût le formuler distinctement, eut le sentiment qu'il était une extension de ce lieu, comme s'il était la pièce maîtresse d'un puzzle que sa présence ici venait compléter.»

Et il pourra ainsi s'affirmer et survivre à la profanation de ses sanctuaires.

 

 

Le silence des fantômes nous confronte à plusieurs mondes, Jean-Simon Ottavi creusant les non-dits et ces mystères qui nous dépassent et levant le voile («le rideau») sur ces mondes souterrains qui excèdent la réalité apparente. C'est un roman dans lequel il brasse de nombreux thèmes (1) et développe surtout une riche thématique identitaire témoignant de préoccupations souvent philosophiques qu'il met en scène et traite littérairement par petites touches éparses.

Empruntant à plusieurs genres, l'auteur joue notamment à fond des clichés du roman gothique et des contes de fée, sachant imprégner la maison (mais aussi le village alentour), personnage central de ce roman, d'une atmosphère onirique et fantasmagorique menaçante qui nous donne «la féérique impression d'évoluer dans une réalité qui s'était cachée dans les replis de la nôtre». Et il entretient  le suspense en multipliant les rebondissements et nous surprend en nous entraînant parfois vers de fausses pistes.

La narration est faite par un narrateur omniscient se plaçant tant du point de vue du héros que d'autres personnages, dans un très classique passé simple nous valant, avec la concordance des temps, de savoureux imparfaits du subjonctif. Une narration linéaire avançant rapidement avec quelques retours en arrière diversement introduits, enchâssant notamment quelques récits secondaires, tandis que plusieurs pages consacrées aux commentaires des photos d'un album suivent leur classement et datation (de fin 1944 aux dix/onze ans de Romain).

L'auteur s'appuie par ailleurs efficacement sur de nombreux symboles, comme ceux de la lumière et des ténèbres ou du feu..., ne se montrant pas avare de métaphores (certaines me semblant parfois un peu alambiquées), et il puise à bon escient dans plusieurs champs lexicaux signifiants.

1) Couple et confiance, paternité, raison et mystère, vérité et mensonge, identité et mémoire, déterminisme familial et choix individuel …

 

 

L'action, complexe car en deux temps, se déroule sur quelques jours d'automne et  Jean-Simon Ottavi, homme de théâtre (2), sait bâtir solidement un scénario. Il a ainsi construit la trame de son intrigue en enchaînant les événements au sein de cinq parties divisées en plusieurs chapitres, la quête de vérité du héros s'élaborant dans un habile va-et-vient entre deux mondes permettant de rompre le silence et de dévoiler le secret par étapes.

S'ouvrant sur la «fuite catastrophée» de Romain vers le refuge illusoire de sa maison d'enfance, la première partie introduit le personnage principal et le contexte, plantant le décor et installant tonalités et thèmes principaux, ainsi que les deux éléments déclencheurs (successifs) de l'action.

Dans la seconde, le héros, prêt à la réflexion et «d'humeur épique», affronte avec courage cette maison chaotique, mystérieuse et même menaçante à laquelle son existence semble liée. Les péripéties se multiplient et la tension monte, provoquant à nouveau la panique chez lui.

Il quitte alors cet espace enclavé dans le monde des vivants et semblant obéir à une autre temporalité (dans la troisième partie) pour aller chercher de l'aide à l'extérieur et permettre à Rose de s'expliquer. Il lui faut en effet «savoir la vérité sur ce qui [s'est] passé». Et, retrouvant leur entente, il réussit ainsi à reconstituer son premier puzzle.

Avec elle désormais, «lui faisant suffisamment confiance pour l'emmener dans des tréfonds qu'il pressentait d'une dense noirceur», il reviendra affronter les fantômes de son passé dans la quatrième partie : «Ce projet était devenu l'horizon qu'ils s'étaient fixés. Ils avançaient ensemble vers un but commun qui les occupait.» Jusqu'à ce qu'une étrange découverte semblant recéler l'ultime clef du mystère les fasse demander assistance à Valérie, enjoignant à la mère du héros de sortir de son silence.

Ce n'est ni seul, ni avec Rose mais avec sa mère que le héros repartira alors une troisième fois à l'attaque dans la cinquième partie. Mais cela ne sera pas suffisant et il faudra de nouveau sortir de la maison et faire appel à l'oncle Lucien, encore vivant, pour pouvoir enfin rompre le silence des fantômes.

Et à ces cinq actes d'une progression très théâtrale, Jean-Simon Ottavi ajoute malicieusement un court épilogue s'apparentant plutôt, lui, à la chute d'une nouvelle.

 

L'auteur donne de plus à son récit une dimension polyphonique, chacune des cinq parties se terminant par un chapitre à part, numéroté en chiffres arabes et non romains et  développant un fil courant (de 1 à 5) d'une partie à l'autre, qui est narré, lui, à la première personne. Un fil faisant entendre plusieurs voix dont la plus singulière est celle du feu allumé dans la cheminée, de ce feu lisant dans le regard de ceux qui s'abandonnent à lui (3) : «Je suis le Témoin et ton regard plein de paix et d'abandon dessine en moi ton histoire.» Viennent ensuite dans les chapitres suivants : la voix de l'enfant qu'était Romain, le récit plein de franchise de Rose, la voix intérieure de la mère et enfin celle du grand-père.

 

Le silence des fantômes est ainsi un roman dont la première qualité, au-delà de son ouverture à des mondes souterrains et de sa richesse thématique (dont je laisse la découverte aux lecteurs), est à mon sens l'efficacité et l'originalité de sa construction.

 

2) Ce qui se décèle déjà dans l'abondance des métaphores théâtrales

3) On notera que dans La part du feu, publié sur le site Praxis Negra le 28/02/14, l'auteur faisait déjà parler le feu : ici

 


 

 

 

 

Le silence des fantômes, Jean-Simon Ottavi, Òmara éditions, mai 2023,

232 p.

 A propos de l'auteur :

Jean Simon Ottavi est né en 1985 à Ajaccio. Après des études littéraires à Bastia et Paris, il publie en 2005 un recueil de nouvelles, Les Fourvoyés, aux éditions Publibook. Tout d’abord formateur dans l’Armée de l’Air, il part vivre à Mayotte, où il fonde la troupe théâtrale Les Masquards, pour laquelle il joue et écrit. Il enseigne aujourd’hui l’anglais et le théâtre au lycée français Saint-Exupéry de Brazzaville, au Congo. Le Silence des fantômes est son premier roman. (Òmara éditions)

 

EXTRAIT :

On peut lire les premières pages (p.11/13) sur le site de l'éditeur : ici

(cliquer sur "voir l'intérieur" sous la couverture du livre)

 

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Publié dans Fiction

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