"C'est ou", de Jean-François Agostini
Dans ce recueil de poèmes et de photographies intitulé C'est ou, Jean-François Agostini semble initier le lecteur à sa démarche poétique.
D'emblée, le pan de bois photographié en couverture arrête en effet son regard et lui parle. C'est une image toute en puissance : de longues veinures groupées vers une même direction dans un flux indomptable mais aussi les ruptures brutales d'une matière qui a joué avec le temps, de sombres fissures séparant des parties autrefois jointives ou isolant un noeud aux lignes concentriques. Et, étrangement fichée dans la craquelure cernant cette sorte d'empreinte digitale, comme dans un coeur blessé, une discrète plume grise se voit soudain révélée par son ombre portée. L'envol de l'écriture...
Saisissant, fixant ce qui est , "c'est" une photo qui donne un regard de poète capable de «faire improviser un au-dessous du monde», une photo à laquelle le poème – que le lecteur ne découvre qu'en quatrième de couverture - vient faire écho jusque dans sa présentation. L'auteur y rompt en effet son texte pour le disposer de part et d'autre d'une sinueuse fracture et en souligne «l'écart» par un jeu – typographique cette fois – sur les couleurs.
A l'intérieur du livre, vingt-quatre photos captent l'étrangeté du quotidien qui chuchote à l'oreille de Jean-François Agostini, «cet oeil qui écoute». Une étrangeté déclinée en autant de poèmes en vers libres commençant tous par «c'est». Le poète reprend alors la main sur le photographe, son texte précédant toujours la photo de départ en vis à vis dont il semble s'affranchir, y ajoutant ses propres «brisures de sens» , ses blancs , ses silences, comme autant d'ouvertures vers l'âme du poème.
Et c'est alors la langue qui devient la «matière ligneuse» effleurée par le poète.
Jean-François Agostini illustre ainsi deux manières complémentaires de saisir «les chuchotements de la fracture», l'une très simple et naturelle, accessible à tous, et l'autre plus complexe, plus élaborée, l'auteur fragmentant ses mots ou les espaçant sur la page comme s'il cherchait à sonder l'inconscient du texte.
Et c'est cette alliance de spontanéité et d'élaboration associant la fraîcheur d'un regard au travail d'une écriture poétique qui m'a intéressée et me semble faire l'originalité de ce recueil.
Une double approche ambitieuse qui s'avère souvent très riche, l'auteur réussissant à toucher le lecteur et à l'entraîner très loin, mais qui n'est pas sans risque car il faut maintenir le juste équilibre entre ces deux composantes. Jean-François Agostini n'y parvient pas toujours à mon sens et certains de ses poèmes m'ont semblé un peu trop "artificiels". Ils m'ont, de ce fait, plus bloquée qu'emportée, ne me semblant guère enrichir les "chuchotements" entendus dans la photo qui les avait inspirés...
photo de terresdefemmes.blogs.com
C'est ou, poèmes et photographies de Jean-François Agostini, Les presses littéraires, 2011,51 p.
EXTRAITS:
Quatrième de couverture :
C'est
un oeil à l'écoute Tout ce qu'il voit vient
de l'écart des chuchotements de la fracture
Le poème est en l'ombre et l'effleurement de
la matière ligneuse brisures de sens
afin d'improviser un au-dessous du monde
p.6/7 :
C'est
peut-être le nombre ou la direction
cette distance vide verte près du pré
cipice le trou dans le temps qu'il reste à par
courir
Me soufflaient quelques unes pars cours et
ris après couler fort larmes Limon filtré
(aperçu incomplet de la photo)