"C'est ou", de Jean-François Agostini

Publié le par Emmanuelle Caminade

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Dans ce recueil de poèmes et de photographies intitulé C'est ou, Jean-François Agostini semble initier le lecteur à sa démarche poétique.
D'emblée, le pan de bois photographié en couverture arrête en effet son regard et lui parle. C'est une image toute en puissance : de longues veinures groupées vers une même direction dans un flux indomptable mais aussi les ruptures brutales d'une  matière  qui a joué avec le temps, de sombres fissures séparant des parties autrefois jointives ou isolant un noeud aux lignes concentriques. Et, étrangement fichée dans la craquelure cernant cette sorte d'empreinte digitale, comme dans un coeur blessé, une discrète plume grise se voit soudain révélée par son ombre portée. L'envol de l'écriture...

 Saisissant, fixant ce qui est , "c'est" une  photo qui donne un regard de poète capable de «faire improviser un au-dessous du monde», une photo à laquelle le poème – que le lecteur ne découvre qu'en quatrième de couverture  - vient faire écho jusque dans sa présentation. L'auteur y rompt en effet son texte pour le disposer de part et d'autre d'une sinueuse fracture et en souligne «l'écart» par un jeu – typographique cette fois – sur les couleurs.
A l'intérieur du livre, vingt-quatre photos captent l'étrangeté du quotidien qui chuchote à l'oreille de Jean-François Agostini, «cet oeil qui écoute». Une étrangeté déclinée en autant de poèmes en vers libres commençant tous par «c'est». Le poète reprend alors la main sur le photographe, son texte précédant toujours la photo de départ en vis à vis  dont il semble s'affranchir,  y ajoutant ses propres «brisures de sens» , ses blancs , ses silences, comme autant d'ouvertures vers l'âme du poème.
Et c'est alors la langue qui devient la «matière ligneuse» effleurée par le poète.

 

Jean-François Agostini illustre ainsi deux manières complémentaires de saisir «les chuchotements de la fracture», l'une très simple et naturelle, accessible à tous, et l'autre plus complexe, plus élaborée, l'auteur fragmentant ses mots ou les espaçant sur la page comme s'il cherchait à sonder l'inconscient du texte.
Et c'est cette alliance de spontanéité et d'élaboration associant la fraîcheur d'un regard  au travail d'une écriture poétique qui m'a intéressée et me semble faire l'originalité de ce  recueil.
Une double approche ambitieuse qui s'avère souvent très riche, l'auteur réussissant à toucher le lecteur et à l'entraîner très loin, mais qui n'est pas sans risque car il faut maintenir le juste équilibre entre ces deux composantes. Jean-François Agostini n'y parvient pas toujours à mon sens  et certains de ses poèmes  m'ont semblé un peu trop "artificiels". Ils m'ont, de ce fait, plus bloquée qu'emportée, ne me semblant guère enrichir les "chuchotements" entendus dans la photo qui les avait  inspirés...

 

  Jean-Francois-Agostini.jpg

photo de  terresdefemmes.blogs.com 

C'est ou, poèmes et photographies de Jean-François Agostini,  Les presses littéraires, 2011,51 p.

 

 

  EXTRAITS:

 

Quatrième de couverture :

 

C'est
              un oeil à l'écoute              Tout ce qu'il voit vient
de l'écart                       des chuchotements de la fracture
Le poème est en l'ombre                     et l'effleurement de
la matière ligneuse                                   brisures de sens
afin d'improviser                       un au-dessous du monde

 

 

  p.6/7 :

 

C'est
                            peut-être le nombre ou la direction
cette distance vide verte                          près du pré
cipice                le trou dans le temps qu'il reste à par
courir
             Me soufflaient quelques unes  pars cours et
ris après couler fort larmes                     Limon filtré

 

 

Autres-1418-copie-1.JPG

(aperçu incomplet de la photo)

Publié dans Poésie

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Commenter cet article
L
simple spontanéité plus communicatif que jamais
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R
<br /> Cela m'a l'air bien intéressant, cette alliance de mots et d'images et cette fragmentation de l'écorce du langage ... <br />
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